23 septembre 2009

Le reniement de soi, c’est le début de la fin

Le Colonel Roger Trinquier en Algérie

Rien n’est anodin et surtout pas l’utilisation de procédures étrangères, de concepts étrangers dans la vie active quotidienne.

Au sein de l’armée française, dans le cadre de l’intégration européenne et américaine - sur les théâtres d’opération où l’OTAN sévit et la France obéit (1) - nous pratiquons des procédures élaborées par des anglo-saxons.

Une procédure n’a rien de banal car elle induit une façon de conduire les opérations, en un mot de conduire la guerre, avec ses concepts, ses approches, ses référents, ses pratiques. Dans l’excellent blog du journaliste Jean-Dominique Merchet, j’ai lu un post récent (23 septembre 2009) qui rapportait des propos d’un « colonel de l'armée de l'air (anonyme) qui a été, en 2008, French Senior Representative - Air Component Command, au sein de l'Alliance - d'abord à Kaboul puis au Qatar. Il détaille les règles d'engagement (ROE) lors des frappes aériennes en Afghanistan ».
Voici les propos de ce colonel :

"L'essentiel du travail tend à limiter le collateral dommage estimate (CDE), poursuit l'officier français (sic !). S'il n'y a pas de CDE, on tape, si les dommages collatéraux sont possibles, ça dépend, notamment du troop in contact (TIC). Et sous feu ennemi, on s'autorisait, pour soustraire un groupe allié à casser un peu de maisons, pour autant qu'il n'y ait pas de risques pour la population civile". "Il existe une no strike list (NSL) comportant 15 à 20.000 points interdits de bombardements : école, mosquées... Quand les pilotes reçoivent les coordonnées, il vérifie si c'est ou non une NSL, ou si une NSL est à proximité. Une mosquée conserve son statut de NSL, sauf si elle est utilisée pour le combat. Si des anti-coalition militia utilisent la mosquée, elle a alors un statut de poste de tir".

On se demande déjà en un premier lieu pourquoi ce Colonel utilise tant de termes anglo-saxons (cela frise le grotesque) alors que des équivalents français simples existent. Vanité dans l'utilisation d'un jargon, peut-être ?

Deuxièmement, on se demande si ce Colonel a assez de recul sur son activité pour juger des aspects négatifs, nocifs, de l’utilisation de concepts et de procédures étrangères. A penser dans une autre langue, à évoluer dans des concepts étrangers, on en vient à penser la réalité avec des outils conceptuels qui ne sont pas issus de notre génie propre et inéluctablement on en vient à être bientôt dépossédé de soi-même.

Le problème c’est que ce genre de pratique existe non seulement au sein de l’armée de l’air mais aussi dans les deux autres composantes (Marine et Terre) de nos forces armées. La chose est grave et mérite que l’on s’en inquiète.

Notre culture nationale, et ici notre culture militaire, s’évanouit peu à peu pour faire place à une culture, à un mode de pensée de l’hégémon du moment.

Ceci est loin d’être banal car s’il est bon de posséder (au moins) une autre langue, il en va différemment quand on agit - quotidiennement - selon les injonctions de cette autre langue, les cadres de pensée et principes étrangers. On en vient à mener la guerre autrement, selon les règles et principes étrangers. Tout cela parce que l’on ne pense plus la guerre (en français), parce qu'on ne pense plus tout court. On agit tels des supplétifs décérébrés moyens, en bons petits soldats de l’hégémon, pour les intérêts, le bien et au service irréfléchi de celui-ci.

Pour maquiller cette défaite de la pensée, nos décideurs responsables et coupables de la chose, avancent des « nécessités pratiques conjoncturelles » (2), des économies d’échelle, etc. Il est bien connu que pour tuer son chien, il est bon de l’accuser d’avoir la rage…

Voilà par exemple que l’on redécouvre en France nos propres penseurs et stratèges militaires (après les avoir rejeté, banni) - tels Roger Trinquier et David Galula - pour la simple raison que les américains en font aujourd’hui l’éloge et en trouvent les mérites, au point même de mettre en pratique ces idées et principes (français d’origine) dans le conflit afghan.

Le Général US Petraeus sauveur de la pensée militaire française ? Il faut dire que le conflit indochinois (1946-1954) a confronté nos jeunes officiers - notamment les Capitaines, comme Trinquier (3) - à un type de guerre jusque là inconnu ; ces brillants soldats ont pensé le conflit qu’ils vivaient (la guerre révolutionnaire) et en ont tiré les enseignements (les RETEX comme on dit de nos jours) au point de théoriser ce que Trinquier appelait cette « guerre moderne », en mettant au point les principes de contre-guérilla, de contre-insurrection. Cet enseignement nous fut très utile en Algérie et il a porté ses fruits puisque le conflit fut gagné militairement par les français (4).

A ne plus penser par soi-même, on oublie très vite qui l'on est, d'où l'on vient et bien sûr où l'on va.


Notes:
(1) Parlons clair !
(2) practicle military necessity, comme dirait notre Colonel de l'armée de l'air anonyme...
(3) Il commença sa participation au conflit indochinois au sein des Commandos Ponchardier en 1946 pour ensuite devenir le chef des GCMA puis GMI.
(4) Politiquement, c’est autre chose… Ce fut une défaite dans laquelle nos soldats n’ont aucune responsabilité.

1 commentaire:

  1. Il existe un paradoxe français qui consiste, d’un côté, à faire montre d’une certaine condescendance à l’encontre des Américains du nord assimilés à des rustres et, d’un autre côté, à nous esbaudir de tout ce qui vient des Etats-Unis comme emblèmes d’une production de pointe.

    Ainsi Amérique rimerait avec modernité (dans l’acception la plus optimiste) sauf peut-être en matière de politique (car là, nous entendons afficher notre singularité), et il nous conviendrait hâtivement d’en éprouver les valeurs en terme de progrès divers en gobant à tout va de l’anglicisme ; tandis qu’une forme de snobisme endémique nous ferait rire de l’usage pataud qu’en font ses exportateurs du Nouveau Monde.
    Et j’en veux pour autre exemple, plus qu’agaçant, les conceptions « modernes » employées dans le monde du travail dans lequel tout bon « manager » se doit de savoir « coacher » ses équipes avec un enthousiasme d’annonce promotionnelle de supermarché !

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