23 mars 2011

Aube ou crépuscule ?

« Aurore aux doigts de rose… ». Homère (Odyssée, chant XII).

Dans l’opération lancée contre le pouvoir libyen de Kadhafi, il apparait que ce soit davantage « Odyssey Dawn » (Aube de l’Odyssée) que l’« Harmattan » (vent d’Afrique de l’Ouest en provenance du Sahara) qui donne le cap et tienne les rênes. Si le pouvoir Elyséen tente de nous faire accroire - avec la complicité patente (voire patentée…) des médias français - que la France est à la pointe de l’action menée dans les sables libyens, la réalité pratique est tout autre : les commanditaires, les donneurs d’ordre sont américains, les français des exécutants, des sbires.

Plus clairement, les forces armées françaises sont sous les ordres du Général Carter F. Ham et de l’Amiral Samuel J. Locklear III, le premier commandant en chef de l’United States Africa Command (AfriCom), et le second, commandant pour l’Europe et l’Afrique des forces navales américaines (la Navy). Ces deux stratèges transmettent leurs ordres à partir du navire de commandement d’État-Major, l’USS « Mount Whitney » (LCC/JCC 20), lequel croise en Méditerranée. Quant au Quartier Général de l’AfriCom, il se trouve lui en Allemagne, à Stuttgart ; c’est là également que se trouve le Special Operations Command-Africa (SOCAfrica).

Deux hommes sur un bateau :
le Général Carter F. Ham, l’Amiral Samuel J. Locklear III et l'USS « Mount Whitney »

Ainsi, les ordres d’attaque partent-ils originellement des postes de commandement du « Mount Whitney » et de la base de Stuttgart, et non du Palais de l’Élysée, du bureau opération de l’Amiral Édouard Guillaud ou de la BA 117 (État-Major de l’Armée de l’Air). Au résultat donc, les aviateurs, les marins et aussi les forces spéciales français, agissant sous le paravent tricolore de l’« Harmattan », obéissent tout bonnement et simplement aux ordres des États-Unis dans le cadre de l’opération « Odyssey Dawn ». Ils sont donc les sous-traitants ou - pour utiliser un terme plus exact - les supplétifs des forces armées américaines. On cherche en vain l’indépendance d’action de la France dans une telle structure de commandement sur laquelle flotte la bannière étoilée. Cherchez l’erreur ou plutôt l’omission.

L’ironie dans tout cela, c’est que le chant XII de l’Odyssée d’Homère est le passage où il est question des dangers que subit Ulysse et ses compagnons, entre les deux terribles écueils, Charybde et Scylla… Bien loin est l’île du soleil et encore plus Ithaque ! Mais « Odyssey Dawn », cette entreprise militaire contre le pouvoir en place actuellement à Tripoli, est avant tout l’aube bien avancée d’une incertitude : celle de sa finalité. Quels sont en effet les buts de guerre ? Le dossier qui les renferme n’est sûrement pas à l’Élysée...

Crédit photo :
http://en.wikipedia.org/wiki/File:Carter_F._Ham_GEN_2008.jpg
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/f/f3/Locklear.jpg
http://www.mtwhitney.navy.mil/default.aspx
http://www.africom.mil/images/AfricomCrest_HiRes.png

11 mars 2011

Indonésie : vers une pakistanisation de l’archipel ?

Des événements récents en Indonésie reposent une fois encore la question de la sécurité, de la protection et de la survie des minorités dans ce vaste pays. En quelques mois, des minorités musulmanes et chrétiennes ont été les victimes de groupes islamistes radicaux détruisant des mosquées, des églises, des habitations, des biens, et surtout provoquant trois morts au cœur même de l’Indonésie, à Java, où vivent plus de 60% de la population de l’archipel lequel compte près de 240 millions d’habitants. Le problème ne s’arrête pas là, puisque un certain nombre de province ont promulgué des décrets interdisant la pratique « visible » du culte et tout prosélytisme pour la communauté Ahmadiyah, ceci « pour la préservation de l’ordre public et de la sécurité des Ahmadis ».
Hadhrat Mirza Ghulam Ahmad (1839-1908),
fondateur de la congrégation des Ahmadis
En quelques mois, les islamistes indonésiens (animés par le Front des Défenseurs de l’Islam, le FPI, mais aussi par d’autres groupuscules d’activistes) ont attaqué non seulement des  membres de la secte Ahmadiyah (à Cikeusik, province de Banten, le 6 février dernier), mais encore la petite communauté chiite (école Al-Ma’hadul à Kenep, Pasuruan, sur Java Est, le 15 février) et aussi des catholiques et des protestants (à Temanggung, sur Java Centre, le 8 février). Au résultat, ce sont trois morts (des Ahmadis), de nombreux blessés, ainsi que de nombreux dégâts matériels ; cependant les autorités ne font rien, juste quelques déclarations vagues et ne visant nommément aucun groupe extrémiste, alors que ces derniers sont connus de tous et ne se cachent pas, avançant bannières au vent, brassard au bras.
Pire, ces groupuscules sont reçus par les plus hautes autorités de l’Etat, prenant part avec d’autres mouvements religieux, aux discussions sur la question des minorités et les possibilités de législation en la matière ! On croit rêver. Mais ce n’est pas tout. Des ministres en exercice ont fait des déclarations accusant les victimes de fomenter les troubles par leur pratique d’un Islam « déviant » (Cf. les déclarations de Gamawan Fauzi, ministre de l’intérieur et celles du ministre des affaires religieuses, Suryadharma Ali).
Mohammad Habib Rizieq, chef du Front des Défenseurs de l’Islam (FPI)
Un autre homme politique de la coalition au pouvoir, HM Busro, membre du Golkar (ancien parti de Suharto), avançait il y a quelques semaines des solutions aux problèmes rencontrés par les Ahmadis : trouver une île inhabitée, assez grande pour pouvoir regrouper géographiquement tous les Ahmadis indonésiens. Une autre « solution » proposée par cet élu (et par d’autres hommes politiques), celle qui consisterait pour les membres de la Ahmadiyah, de ne plus se reconnaître musulman et de créer une nouvelle religion distincte de l’Islam.
Mais ces « solutions » n’en sont pas. Sans insister sur l’idée scandaleuse d’un parcage géographique, à l’image des réserves à la mode américaine (on sait d’ailleurs ce qu’il est advenu des indiens et de leurs libertés), le « choix » de changer de religion ne tient pas non plus face à la réalité des exactions commises par les extrémistes islamistes. Il suffit de voir ce qu’il arrive déjà aux minorités non musulmanes pour juger de cette « solution » : les chrétiens (catholiques et protestants) sont victimes régulièrement de mesures d’intimidation, voire d’actions punitives menées par les islamistes radicaux, sans que les autorités politiques, policières et judiciaires ne bougent. Même les chiites, pourtant musulmans « reconnus » - davantage que les Ahmadis, ne serait-ce que sur le plan strictement légal ; question théologique mise à part - sont attaqués par ces mêmes extrémistes.
Abdurrahman Wahid (1940-2009), ancien Président indonésien,
en compagnie de l’auteur (coll. Pers.)
Alors que l’Indonésie est un pays prometteur, qu’il fait montre de rejoindre à juste titre les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), qu’il acquiert une visibilité internationale par son engagement notable à l’ONU, qu’il a les moyens humains, intellectuels, les ressources naturelles, la stature géostratégique pour ce faire, voilà que ce qui était un modèle de société de tolérance (entre ethnies et religions) semble s’effriter et la politique intérieure indonésienne prendre un cap dangereux avec cette liberté d’action laissée aux extrémistes radicaux musulmans. C’est un cap dangereux puisque non seulement le nombre de ces exactions et agressions contre les minorités augmentent (Cf. les rapports du Setara Institute et du Wahid Institute) mais elles ne sont pas réprimées, réprimandées, critiquées avec vigueur par les autorités légitimes et démocratiques. Seuls quelques instituts et groupes divers de défense des droits de l’Homme, des minorités, réagissent et tentent de faire entendre le Droit (bafoué) et la raison (perdue).
Mais le temps du consensus mou « à la mode javanaise » n’est plus de mise quand des hommes meurent, quand des édifices religieux sont détruits, des biens de communautés religieuses minoritaires sont détruits.
Vu la tournure des événements en Indonésie, il n’est pas incongru de penser au Pakistan, « ce pays en guerre contre lui-même » - pour reprendre le titre d’une thèse parue en décembre 2010 à Monterey au Etats-Unis (Naval Post-Graduate Studies ; thèse du Colonel Raju S. Baggavalli). La question du blasphème légiféré à la mode islamiste radicale, la question du droit des minorités bafouées, la restriction des libertés religieuses, le radicalisme islamique grandissant, la violence tolérée par le pouvoir politique, font que la République d’Indonésie actuelle ressemble de plus en plus au Pakistan des années 1970, quand Islamabad a pris la voie de la radicalisation « par le haut » avant de passer le cap décisif vers l’islamisme d’Etat que représenta l’arrivée au pouvoir de Zia Ul Haq en 1978, et notamment avec l’Ordonnance XX de 1984, criminalisant les Ahmadis (soit dit en passant, cette Ordonnance n’a en rien diminuée la violence envers les membres de la secte, tout au contraire).
Garuda, Ksatria Mandala Museum, Jakarta (coll. Pers.)
C’est l’image de l’Indonésie prometteuse qui est ainsi ternie et pour longtemps avec ces événements ; parallèlement, c’est l’unité future de l’Indonésie qui est menacée, au moment où le mondialisme fragilise et broie justement l’identité des nations à travers le monde. Il faut espérer que de vrais hommes politiques - et pas seulement des intellectuels, des universitaires ou des activistes divers - émergent bientôt et se fassent entendre et qu’ils montrent la voie de la raison et de la sagesse ancestrale et traditionnelle indonésienne. La devise de la République Unitaire d’Indonésie, que le fier Garuda tient entre ses serres, n’est-elle pas « Bhinneka Tunggal Ika », c'est-à-dire : Unité dans la diversité ? Il serait temps que les responsables politiques indonésiens s’en souviennent. Ces mêmes hommes politiques devraient également se souvenir du préambule de la Constitution de leur pays - le Pancasila (cinq principes), qui fonde la République notamment sur "la croyance en une humanité juste et civilisée" - et de l'article 29-2 de ladite Constitution qui stipule que  "L'Etat garantit à chacun la liberté de choisir sa propre religion et d'en exercer les devoirs selon ses dogmes et ses croyances".
Il y a presque trois ans maintenant, j’écrivais un papier (Cf. : http://philippe-raggi.blogspot.com/2008/12/indonsie-la-question-de-la-secte.html ) sur la question des Ahmadis et des minorités en général en Indonésie ; il est toujours d’actualité.

La cathédrale Sainte-Marie de Jakarta (coll. Pers.)

PS: on peut également voir une intervention de l'auteur sur ce sujet à cette adresse, lors d'une émission sur la télévision KTO, en mars 2011
http://www.ktotv.com/videos-chretiennes/emissions/eglises-du-monde/eglises-du-monde-indonesie/00056806


Crédit photo :
Habib Rizieq : http://www.dakwatuna.com/wp-content/uploads/habib-rizieq-syihab.jpg
Mirza fondateur de la Ahmadiyah : http://stat.kompasiana.com/files/2010/10/mirza-ghulam-kabarnet1.jpg

10 mars 2011

Le ravage des Syrtes

Depuis près d’un mois à présent, depuis le 13 février 2011, la Lybie connait une insurrection. Cependant, force est de constater que depuis ce temps, analystes et commentateurs ne nous disent rien sur ce qui s’y passe, raccrochant ces événements à ce que nous avons connu en Tunisie d’une part et en Egypte d’autre part, parlant de « révolution populaire », « d’actions démocratiques armées », etc. Mais qu’en est-il vraiment ? Que sait-on de la nature de la révolte, des révoltés en Lybie ?

Ce que l’on peut constater également dans ces commentaires, c’est le parti pris quasi unanime contre Kadhafi. La grande conscience universelle, Bernard-Henri Lévy, a parlé et nous le dit : Kadhafi est un « criminel, suicidaire et dangereux pour le monde » (Cf. les déclarations de l’envoyé spécial élyséen BHL). Il faut donc en finir avec lui. Seulement pourquoi aujourd’hui plus qu’hier ? Et s’il y a guerre civile aujourd’hui en Libye, en quoi « le monde » est-il menacé plus qu’hier ? Loin de vouloir défendre ce despote, loin de soutenir son régime autocratique, d’avaliser les actions terroristes du tyran, on peut se demander comment quelqu’un qui a été vanté par tel ou tel politique français (1), qui a reçu sur son sol un grand nombre de chefs d’Etat lors du 3ème sommet Afrique-Union Européenne les 29 et 30 novembre 2010, comment une personne qui a été reçue en décembre 2007, en grande pompe à l’Elysée (2), est aussi vite lâchée, critiquée, vilipendée, honnie, rejetée, bref vouée aux gémonies et à l’opprobre internationale (hormis l’inénarrable Hugo Chavez).

Le grand Boufti de Tripoli

Nous savons depuis longtemps que la roche Tarpéienne est proche du Capitole, mais qu’est-ce qui a bien pu faire que ledit Kadhafi est passé ainsi dans le « côté obscur de la force », passant en deux jours à peine, de chef d’Etat reconnu, accepté par le concert des nations unies (bien que l’on sache parfaitement ce qu’il faisait depuis plusieurs dizaines d’années dans son pays, et la manière avec laquelle étaient traités ses concitoyens), à la représentation archétypale du dictateur sanguinaire et d’autocrate fou ?

Dans l’analyse de ce qui se passe en Lybie, il y a un élément très important à noter : la composante tribale et clanique. A l’instar de l’Irak, ce pays divers et bigarré, n'a pu trouver un équilibre du pouvoir que par l’alliance des tribus les plus importantes. Quand Kadhafi est arrivé au pouvoir en 1969, ce fut non seulement parce qu’il venait d’une des tribus les plus puissantes du pays mais aussi parce qu’il avait passé des alliances avec d’autres tribus, que ce soit par mariage, concussion et marchandage divers. Exit le roi Idris 1er.

Quoi qu’il en soit, il est toujours amusant de regarder comment nos journalistes « traitent » l’information et observer le choix des mots qu'ils utilisent. Par exemple, les soldats Libyens fidèles à Kadhafi lancent des « offensives meurtrières » ; mais rien n’est dit de la qualité des offensives menées par les rebelles ; seraient-elles « douces » ou encore « tendres » ? Par ailleurs, nous avons vu apparaître assez rapidement à l’image un drapeau ; du moins sautait-il aux yeux des observateurs. Ce drapeau, il a fallu un mois avant que les journalistes ne nous en parlent. Mais que représente-t-il réellement pour les rebelles interrogés ? Est-il le symbole de la monarchie renversée ? Est-il juste un signe de ralliement anti-Kadhafi ? Notons  que pour la grande majorité des Libyens, ce drapeau n’existait déjà plus au moment de leur naissance ! 

 Drapeau de la monarchie

Kadhafi avance qu’il est attaqué par des membres d’Al-Qaeda eux-mêmes aidés par des puissances étrangères, occidentales notamment. Cet opposition au Grand Boufti de Tripoli semble donc, si l’on croit Kadhafi, des plus hétéroclites, oxymoriques ; Al Qaeda et les puissances occidentales alliés contre Kadhafi, rien que çà !

Néanmoins, qui peut dire si des islamistes ne sont pas derrière certains de ces multiples groupements dits de « libération » qui grouillent à présent en Lybie ? Qui peut dire si des groupes salafistes de combat de sont pas présents dans cette turbulente et sanglante agitation depuis un mois dans les sables du désert de la cyrénaïque ? Selon les critères de certains islamistes inspirés par Ibn Taymiyya (qui n’est pas seulement l’auteur d'une seule Fatwa, certes fameuse, mais d’une abondante littérature exégétique faut-il le préciser), Kadhafi est un impie, et donc justiciable de la Jihad ; il mérite d’être renversé, voire tué. Pour les islamistes radicaux, ce qui importe dans les travaux d’Ibn Taymiyya, c’est que justification (un cadre juridique islamique, la Fatwa) est donnée d’attaquer et de renverser les dirigeants musulmans d'un pays, si ces derniers ne mènent pas une politique islamiste « rigoureuse », sur « les pas du prophète », et dans l’exercice de la Shari’ah. C’est ainsi que - grâce à une fatwa prononcée en son temps par ledit Ibn Taymiyya - fut lancée et justifiée l’attaque contre les Mongols, déclarés « musulmans de complaisance », bref mahométans de papier, juste digne de passer au fil du sabre.

Cénotaphe d’Ibn Taymiyya à Damas

Par ailleurs, qui peut dire si certaines puissances occidentales, instrumentalisées par des groupes industriels et financiers cosmopolites, mais ayant siège à New-York ou Londres - des groupes pétroliers par exemple - ne verraient pas d’un œil compatissant le renversement de la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire socialiste et la mise en place à Tripoli d’un gouvernement docile, plus « démocratique », plus enclin et « ouvert » aux investisseurs étrangers ? N’oublions pas que le pétrole est une richesse importante de la Lybie et que cette énergie fossile est nationalisée depuis 1969, date de l’arrivée au pouvoir de celui qui s’était inspiré de Nasser. Quand nous nous renseignons un peu, nous voyons très vite ce qu’il en est : La Libye est le  deuxième  producteur de pétrole brut en Afrique, après le Nigeria et devant l'Algérie. Mais la Libye dispose de la plus grande réserve de pétrole d’Afrique, ses réserves étant estimées à 46,4 milliards de barils en 2011 (Cf. US Energy Information Administration). La Libye est ainsi un des acteurs majeurs de l’OPEP. De plus, apprend-t-on, le pétrole libyen est de très bonne qualité. Pensez-vous donc que de grands groupes pétroliers, aux chiffres d’affaires (voire aux bénéfices) supérieurs à ceux d’un grand nombre d’Etat du monde, ne seraient pas heureux de s’occuper « sérieusement » de ce pétrole « nationalisé » et de « l’ouvrir au marché » ? Nous connaissons la philanthropie de ces sociétés (3).

Nous avons entendu parler depuis la fin février 2011, d’un Conseil National de Transition (CNT), sensé représenter les forces nouvelles libyennes, « le visage de la Libye pendant la période de transition ».; et la France en la personne du Président, de reconnaître le CNT, comme "seul représentant légitime de la Libye" (une petite claque à la superbe du nouveau Ministre des affaires étrangères, Alain Juppé, lequel a découvert cette reconnaissance officielle de la France ...par voie de presse). Des émissaires dudit Conseil sont même venus à l’Elysée et ont été reçu par Nicolas Sarkozy, himself. Ces représentants du CNT (à ne pas confondre avec la Confédération Nationale des Travailleurs, le CNT français) ont été reçu également par des membres du Parlement européen. Le CNT est  déjà quasi reconnu comme représentant officiel de « la future nouvelle Libye ». Mais Mahmoud Djebril, Omar Hariri et Ali Essaoui représentent-ils vraiment la Libye et les libyens de la révolte ? Sont-ils des représentants autochtones ou sont-ils à l’image d’un Hamid Karzaï en Afghanistan, des produits « choisis » par quelques intérêts étrangers ? Nos commentateurs avisés se garderont de nous le dire. Par contre, pour Monsieur Bernard-Henri Lévy, il n’y a aucun doute, le CNT, c’est « la démocratie libyenne en marche ».

Hamid Karzaï,
ancien cadre d’UNOCAL et ancien représentant de Delta-Oil...
devenu Président afghan

Qu’apprend-t-on, que sait-on grâce aux journalistes sur ce qui se passe en Lybie en ce moment ? Rien ! Du sable et du vent, un peu de bruit et de la fumée. Et les commentateurs patentés de relater qu’il y a « des avancées », des « contre-offensives », bref, que l’on se bat. Les insurgés sont à l’Est, les fidèles et irréductibles du lider maximo de la Jamahiriya sont à l’Ouest (complètement ?). Que représente cette polarisation géographique ? Est-ce un hasard ? Très peu le soulignent. Cette fracture entre belligérants reprend en fait les divisions ethniques et tribales existantes (4). Elle nous montre un élément important du conflit, nous donne quelques clefs. Alors, est-ce une révolte contre le régime ou une guerre civile entre clans et tribus ? Les deux pouvant se combiner, quelle est donc la part de l’une et de l’autre ? Personne ne le dit.

Les plus hardis des acteurs "démocratiques" prônent l’action militaire directe ; d’autres, juste la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne. L’OTAN est pressentie, les armes sont astiquées, les réservoirs des AWACS et des chasseurs sont déjà remplis de kérosène. Seulement, même pour la seconde option, cela équivaut à un acte de guerre et ne pourra se faire sans morts. Qui plus est, il faut (normalement) un accord international pour ce faire, et il n’est pas encore entériné… Acheter les votes, cela coûte de l’argent. Alors, les esprits se font prudents, comme notre Ministre des affaires étrangères, Alain Juppé. Le souvenir de l’Irak n’est pas si loin, avec ses armes de destructions massives que l’on cherche encore, sans oublier l’Afghanistan. On trouve toujours de bonnes raisons pour attaquer, renverser ; le seul problème, c’est que ce ne sont jamais les vraies…
Entre offensives, contre-offensives, déclarations de presse de l’un et l’autre camp, opérations de charme de Kadhafi et de ses fils, envois d’émissaires ici et là, mesure prises contre les avoirs de Kadhafi, et autre plans d’instauration d’une zone d’exclusion aérienne, nous ne sommes pas sorti de l’écheveau, ni encore entré dans la clarté des faits. S’il est certain que Kadhafi a fait son temps, reste à savoir qui aura la légitimité pour reprendre le pouvoir. Vraisemblablement, la légalité du futur nouveau pouvoir à Tripoli s’obtiendra plus par l’aval des « instances internationales » que par le peuple libyen ; quant à la légitimité, elle sera « décrétée »; plus tard. La démocratie est en marche, c’est sûr…

Le jeune officier Aldo, du Rivage des Syrtes, ne reconnaitrait plus l’horizon de son affectation choisie ; immobilisme et ennui ne sont plus de mise. Toutefois, tâchons comme lui, de lire entre les lignes, de déceler les signes ; nous sommes des observateurs. Mais nous ne devons cependant pas souffler sur les braises et provoquer  par mégarde, comme le malheureux (?) Aldo, le début des hostilités.

Notes :
(1) Tel le « Frère trois points » Ollier, Président de « France-Libye » et accessoirement mari à la ville de MAM, ancienne MAE aujourd'hui libérée de ses obligations.
(2) On peut souligner le rôle joué par l’éminent Ambassadeur de France en Tunisie - à l’époque conseiller de Nicolas Sarkozy - Boris Boillon, dans cette invitation et légitimation de Kadhafi.
(3) Le 29 mai 2007, British Petroleum a signé un contrat de prospection gazière de 900 millions de dollars avec la National Oil Corporation (la compagnie nationale libyenne). Le temps semble venu pour l’extraction et la production à grande échelle, en révisant quelque peu les royalties (un peu comme au Timor oriental et le pétrole de la Mer de Timor).
(4) En Cyrénaïque (Est du pays) il y a les tribus Majabrah, Darsa, Arafah, Barasa, Abiid, Abaydat, Awaqir, Mugharbah, Zuwayah, Awajilah, Fawakhir et Minifah. A l’Ouest de la Libye, il y a les tribus Siaan, El Magarha, El Hasauna.

Crédit photo :
Kadhafi : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/3/36/Muammar_al-Gaddafi_at_the_AU_summit.jpg
Cénotaphe d’Ibn Tayymiyah : https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhCsxfh1YSppHFD-6M7cFxUC7nUA4ciHllJ2CtKKmdWOLIw1b0c2EK_EloU-g5lL4C2I92DuyjU4Dp-Kt79t7hoXsJChmYS9ws1-YuA12C5g4ow8RZW49Hn_UDivb-XxiXMmRB9sluDq8IM/s1600/IbnTamiyyah1.jpg
Hamid Karzaï : http://www.latribune.fr/img/46-1824375-0/430641-img-50790-hr.jpg.jpg

2 mars 2011

Quelques traits relatifs à la politique étrangère

La France a connu en cette fin de février 2011 un remaniement ministériel conséquent en terme de poste touché, avec des portefeuilles « lourds », régaliens en somme, comme la Défense, l’Intérieur et les Affaires étrangères affectés. Ces ministères voient arriver des têtes « nouvelles », ou pas si nouvelles que cela d’ailleurs, tant les ministres choisis appartiennent bien au sérail, pour certain depuis plusieurs décennies.

Voilà donc que les Affaires étrangères touchent un Senior Minister (1), avec la venue d’Alain Juppé. Plusieurs fois ministre, Premier Ministre même, Alain Juppé est incontestablement à l’opposé du « ministre gadget » comme il y en a (eu) tant. Après un très bref passage à la Défense (tout juste 105 jours !) Alain Juppé retrouve le Quai d’Orsay qu’il a pratiqué entre 1993 et 1995.

Si Juppé est assurément un homme d’Etat, un serviteur rompu aux arcanes du gouvernement et de la politique, reste à savoir ce qu’il sera en mesure de faire jusqu’en Avril 2012, c'est-à-dire en seulement un an, jusqu’aux prochaines élections présidentielles. 

Un grand commis de l’Etat pour les affaires étrangères, 
ou un consciencieux agent d’équarrissage de la politique extérieure de la France ?

Alain Juppé fait partie d’une génération d’hommes politiques ayant assez de mémoire, d’expériences et de « bagages » pour œuvrer dans le sens des intérêts du pays - c’est le moins que l’on puisse demander à un ministre d’Etat. Mais aura-t-il non seulement les coudées franches (comme il le souhaitait avant d’accepter ledit marocain) mais aussi tout ce qu’il faudra par ailleurs pour conduire sa tâche ardue ? Si, sur le premier point - l’exercice entier du pouvoir de Ministre des affaires étrangères - la chose semble avoir été réglée, avec le départ de Claude Guéant, nommé à l’Intérieur, et celui de Jean-David Levitte (2), reste en question le plus important : mettre en œuvre la politique étrangère de la France.

C’est LA question cruciale ; c’est là que tout apparaît sans voile, sans fard, à nu. Malheureusement, même un ministre comme Alain Juppé, malgré toutes ses qualités, n’y pourra rien en la matière car s’il peut et doit mettre en œuvre la politique décidée par le chef de l’Etat - car telles sont ses fonctions - ce n’est pas le Ministre des Affaires étrangères qui trace et définit celle-ci mais le Président de la République, en l’occurrence Nicolas Sarkozy.

Or, qu’avons-nous vu en matière de politique étrangère française depuis 2007 ou même durant le dernier exercice du mandat de Jacques Chirac ? Rien. Les chancelleries ne connaissent qu’un seul mot d’ordre, qu’une seule directive : Droits de l’Homme et intégration européenne  On pourra dire ce que l’on voudra, mais les Droits de l’Homme ne font pas une politique étrangère (3). A la rigueur peuvent-ils l’accompagner, si tant est que l’on partage cette idéologie. Quant à la politique d'intégration européenne, c'est la mise en œuvre, le processus de déconstruction de notre souveraineté nationale; c'est-à-dire, pour un pays, l'équivalent d'un suicide. 

Lorsque la France ne doutait pas d'elle même, elle avait le Cardinal
(Richelieu, par Philippe de Champaigne)

Où sont les axes, la philosophie, l’articulation, et surtout les buts, de notre politique étrangère depuis ne serait-ce que dix ans ? Cette question nous amène sur le terrain des fondamentaux de l’étude de ce qu’est la politique étrangère ; le genre de questions abordées dans des cours de sciences politiques élémentaires.

Trois éléments participent à la question de la définition d’une politique étrangère. Premièrement, il y a au moins deux conditions nécessaires, les pré-requis : à savoir un état de souveraineté - puissance absolue et perpétuelle - de pleine autonomie et de liberté d’action, d’une part, (Cf. Jean Bodin Livre I, chap. viii de La République) ainsi qu’une analyse pointue, fine, exhaustive de l’état du monde, d’autre part. Deuxièmement, il y a ses objectifs, ses buts ultimes que l’on pourrait définir et résumer ainsi : le maintien et l’accroissement de la puissance de l’Etat. Enfin, il y a les moyens pour y parvenir, en dehors même de l’existence préalable d’une administration des affaires étrangères (avec ses fonctionnaires, sa culture propre, son histoire, son expérience, etc.), sans oublier son (ses) réseau(x) tissés avec le temps. Ces autres moyens étant, a minima, les politiques d’alliances (entretien et création), les manœuvres diplomatiques (officielles ou non, et de nature multiple, tant le terrain pourra être celui de l’économique, du culturel, du militaire, etc.).

La venue de Monsieur Juppé va-t-elle donc changer la donne de la politique étrangère française ? Pour répondre à cette question, considérons-le comme un conducteur de poids lourd employé d’une société de transport. Ainsi faut-il à Alain Juppé tout d’abord un véhicule équipé d’un moteur, du carburant, un volant, une marchandise, mais surtout… un cap, une direction. Si la plupart des ingrédients sont là, reste que les roues du véhicule ont un rayon de braquage trop étroit, que le carburant est limité, que la remorque du camion est quasiment vide, et surtout que le cap est inexistant, non donné par son commanditaire. A partir de ce moment, il est aisé de comprendre que la facilité pousse le conducteur et son employeur, à faire en sorte que le poids lourd trouve et monte très vite sur le plateau d’un autre véhicule (plus gros) qui, lui, sait où il va. L’essentiel n’est pas de bouger pour bouger et aller là où les circonstances peuvent mener, mais là où l’on doit aller, là où il faut (faudrait) aller, là où l’on a décidé d’aller, dans un but sensé, rationnel, particulier, propre.

Souvent à contre-courant, à juste titre, à bon escient : Hubert Védrine

Compte tenu de ces différentes circonstances défavorables, le talent de Monsieur Juppé n’y pourra rien. Il n’y aura pas de politique étrangère de la France. Alain Juppé s’en tiendra aux affaires courantes, de façon sûrement digne, honnête mais finalement dérisoire. Ces affaires courantes consistant à suivre, à accompagner, des buts, des stratégies, des politiques étrangères à la France et à ses intérêts vitaux. C’est bien vraisemblablement pourquoi, en son temps (en 2007) Hubert Védrine avait refusé de prendre le poste que lui proposait le Président nouvellement élu ; Monsieur Védrine savait pertinemment qu’il ne pourrait exercer sa tâche sérieusement, qu’il ne serait Ministre des affaires étrangères que de papier timbré.

Il n’y a plus de politique étrangère de la France car il n’y a plus de France, en tout cas plus de conditions suffisantes pour sa propre survie en tant que Nation, en tant qu’Etat. La France ne se pense plus, ne se projette plus. La France ne croit plus en elle-même, en ses valeurs, en ce qu’elle a incarné et incarne dans l’histoire. Nous sommes passés du doute méthodique au doute systématique, du questionnement nécessaire sur notre réalité et à sa poursuite féconde, au renoncement inqualifiable à vouloir dire que l’on est, tout simplement, que l’on ose se poser comme nation distincte à la face du monde, avec une volonté, une identité, un destin propre. La France ne veut plus tracer de traits, et délimiter le dedans et le dehors, bref, ne serait-ce que penser et dessiner la simple ligne qui fait l’ordonnancement du monde et le début de la politique (4). La fondation de Rome, dit-on, commença simplement par un trait tracé sur le sol avec l’aide d’une charrue. La simplicité, la pureté du commencement…

Une charrue, un homme, un peuple, une volonté, …un Empire.
(La fondation de Rome, par Giuseppe Cesari)

Notes :
(1) Nous n’avons pas cette notion en France contrairement à d’autres pays ; toutefois, notons que le titre de « Ministre d’Etat » s’en rapproche quelque peu.
(2) Il devait prendre la direction du futur Conseil national de sécurité, envisagé par le président de la République, organisme  calqué sur le modèle américain.
(3) Hubert Védrine, le meilleur des ministres des affaires étrangères que la France ait connu depuis au moins 30 ans, parle de « l’invocation de grands principes vagues et généraux » ; nous sommes dans le même registre. Cf. son intervention aux 11 ème conférences stratégiques de l’IRIS en 2006.
(4) On lira avec plaisir et attention le dernier petit ouvrage de Régis Debray, « L’éloge des frontières » (Gallimard), qui regroupe quelques conférences données par l’auteur au japon en 2010.

Crédit photo :
Alain Juppé : http://fr.novopress.info/wp-content/uploads/2010/09/Alain-Jupp%C3%A9-4.jpg
Hubert Védrine : http://www.corporate-photos.com/portraits/images/09_Hubert-Vedrine.jpg
Le Cardinal de Richelieu, par Philippe de Champaigne : http://presseecrite.unblog.fr/files/2010/09/richelieu61.jpg
La fondation de Rome, par Giuseppe Cesari : http://www.ac-grenoble.fr/lycee/diois/Latin/archives/ico/analyses%20et%20commentaires/Cesari-%20fondation%20de%20Rome%20par%20Romulus.jpg