24 février 2012

Une autre réalité dans les relations internationales

Curieusement, la politique internationale ne semble pas passionner nos candidats à la présidentielle. Celle-ci est purement et simplement « zappée », à croire que ce qui peut se passer ici où là n’interroge pas la France et ceux qui aspirent à la diriger. La réalité, c’est que c’est tout le contraire qui est vrai. Ce qui se passe en Syrie, par exemple, doit être débattu ; car il y a à débattre, c’est le moins que l’on puisse dire...

Pour paraphraser un peu Descartes, nous pourrions dire que par les temps qui courent, l'équité, l'objectivité ne sont pas les choses du monde les mieux partagées. C'est bien simple, ne sont diffusé par les médias de masse que ce qui va dans « le bon sens idéologique » du moment ; tout est orienté dans un seul but : présenter une situation binaire, avec d'un côté « les bons », de l'autre les « méchants ». Tout est tellement plus simple après... Le seul problème c'est que la réalité n'est jamais aussi si simple que cela... Et prendre des décisions à partir d’une réalité tronquée, viciée, inadéquate ne peut conduire qu’à des actions erronées, néfastes, dangereuses pour la paix et la stabilité des relations internationales.


Une vidéo

Il y a une vidéo qui circule sur internet depuis quelques jours au sujet de la Syrie. On y voit une jeune femme française, journaliste au Figaro, (blessée au court d'un affrontement entre les forces de l'ordre syriennes et des insurgés) ; cette journaliste demande son rapatriement pour raison médicale. La vidéo en question, tournée par les insurgés, est purement et simplement "mise en scène". Certes, la jeune femme est sûrement blessée, et son état mérite vraisemblablement une évacuation vers la France.
The medium is the message : Savoir communiquer...


Mais regardez donc bien la vidéo. Observez le cadrage, observez la lumière (la vidéo est pourtant tournée à « presque 15H00 » dit la jeune femme). Tout est fait pour dramatiser la séquence. Ce n'est pas un hasard ; c'est juste de la manipulation. Ce qui ne veut pas dire que c'est faux ! Juste "arrangé"... 

Par une vidéo comme celle-ci, ce qui est visé, ce n’est pas la raison mais le pathos ; ce n’est pas l’intelligence mais l’émotion. La technique est connue : on prend un élément vrai au départ, et l'on y ajoute des "ingrédients" pour faire passer un « autre message », plus… subtil. Mais qui dit cela ? Dans quel média souligne-t-on ce fait ? Nulle part. Pourtant la presse est libre en France, dit-on.

Un appel téléphonique à l’Ambassade de France ne suffisait-il pas pour que les autorités françaises soient au courant de la situation d’Edith Bouvier ? Ces journalistes n’avaient pas de téléphone portable ? Ils n’avaient pas le numéro de l’Ambassade ? Le confrère photographe d’Edith Bouvier  - qui intervient, lui aussi dans la vidéo - dit qu’il a pu accéder à internet (certes difficilement précise-t-il). Par internet ne pouvait-il donc pas contacter la même Ambassade ? Internet ne marche « pas très bien », ajoute le journaliste ; mais ils ont pu néanmoins passer la vidéo sur Youtube.

Ces journalistes sont avec les insurgés ; la journaliste du Figaro est, dit-on, « actuellement soignée dans un hôpital clandestin tenu par l'opposition ». Même si ces journalistes ne prennent pas partie (ce qui reste à voir), le fait qu’ils soient dans l’un des deux camps, les rend particulièrement et nécessairement vulnérables aux assauts menés par l’autre camp. Ainsi entendre le (décevant) ministre des affaires étrangères, Alain Juppé, dire «La responsabilité du régime syrien est pleinement engagée», et aussi le « boss » de celui-ci (Nicolas Sarkozy) qualifier jeudi 23 février «d'assassinat» la mort des deux journalistes, fait que nous ne sommes plus dans le discours rationnel et sérieux. Nous sommes, par ce genre de propos, dans le champ du récit fabriqué.

On se rappelle qu’un autre journaliste français, Gilles Jacquier, est mort à Homs le 11 janvier 2012 ; les autorités françaises avaient immédiatement incriminé les forces de l’ordre fidèles à Damas. Cependant, encore à ce jour, rien ne permet d’affirmer que les auteurs de cette mort soient les forces de l’ordre en question. Il semblerait même que ce soit le contraire (1), sachant que des policiers syriens ont été tués au même moment, au même endroit, par le même tir de mortier.

On le voit, tout est fait pour « axer » la réalité, tout est fait pour incriminer toujours le même camp ; nous sommes typiquement en présence de ce que l’on appelle un « story telling », un discours-écran de fumée (la réalité n'étant jamais monocausale), un récit (re)construit, pour masquer les faits et générer, induire une adhésion (forcée) du public.


Une multitude d’acteurs dans les relations internationales; et plus uniquement étatiques.
Nous sommes dans un monde post-Westphalien…


Les idées à l’endroit

Dans son dernier ouvrage, The future of Power (2011), Joseph S. Nye Jr., souligne qu’aujourd’hui, dans nos sociétés de l’information, « le récit devient la devise (currency) du soft power* » (p.104). L’expérience syrienne nous en apporte un bel exemple, si l’on peut dire. Les lignes de communication, l’information, nous dit également le professeur à la Kennedy School of Government de l'Université Harvard, ne circulent plus désormais en lignes droites (entre deux gouvernements) mais bien plus comme dans une structure en étoile (avec des lignes entre gouvernements, publics, sociétés, médias et organisations non gouvernementales). Les choses sont plus compliquées. Par ailleurs, ajoute-t-il, pour vaincre dans ce monde de réseaux, les acteurs doivent penser davantage en termes d’attraction et de co-option plutôt qu’en terme de commandement (p.101). Ainsi, l’on ne dit pas, brutalement, « nous allons renverser le pouvoir syrien (ceci  pour servir tel intérêt particulier) car tel est notre volonté » ; mais l’on tient un discours plus « sophistiqué » : les autorités syriennes répriment de « gentils insurgés », elles oppressent « le peuple syrien », font souffrir des journalistes qui font « honnêtement » leur travail, ce qui demande donc, de la façon la plus urgente, une intervention militaire extérieure pour venir en aide aux populations.

Une fois l’adversaire déshumanisé, il devient « légitime » et plus aisé de l’éliminer, l’opinion étant « formatée », les consciences anesthésiées. La rengaine est connue ; rappelons-nous la Serbie, l’Irak, la Libye, etc. Il ne s’agit pas de défendre tel ou tel chef d’État, tel ou tel régime ; mais simplement de tenir un discours réaliste et non idéologique sur les relations internationales. Une rude tâche !

Notes :
* Nous prenons l’option ici de ne pas traduire ce terme, sachant qu’il est assez complexe et qu’il va bien au-delà, dans son acception, de ce que peuvent nous dire tel ou tel vulgarisateur journaliste. Définir ici, en quelques lignes, ce concept serait non seulement ridicule mais aussi hors sujet. Renvoyons plutôt le lecteur intéressé, à l’ouvrage de Nye, Soft Power: The Means to Success in World Politics (2004) ou alors à son dernier ouvrage dans lequel il reprend et développe également le sujet.
Ajoutons néanmoins l'intelligence des québécois avec leur traduction du terme "soft power" par  "puissance discrète". Il n'y a pas mieux, à mon sens.

(1) Le journal Le Figaro dit que le grand reporteur aurait été la victime d’une « bavure » des insurgés. Cf. http://www.francesoir.fr/actualite/international/syrie-gilles-jacquier-a-t-il-ete-tue-par-des-rebelles-176416.html

16 février 2012

Comprendre les enjeux de la crise syrienne

Afin de ne pas subir la désinformation à l’œuvre au sujet de ce qui se passe en Syrie, un excellent rapport est à lire sur le site du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R). Ce travail a été accompli suite à un voyage effectué du 3 au 10 décembre 2011 en Syrie par une délégation internationale d’experts, non seulement du CF2R mais aussi du Centre International de Recherche et d’Études sur le Terrorisme & d’Aide aux Victimes du terrorisme (CIRET-AVT).

En plus de dénoncer la stratégie de désinformation, ce rapport développe avec clarté et impartialité le contexte, les enjeux de ce qui se passe à Damas. Eric Denécé (directeur du CF2R), qui parle de « libanisation fabriquée », souligne que le dossier iranien conditionne largement la gestion de la crise syrienne. Dans son compte-rendu, il décrypte les événements survenus depuis le 15 mars 2011, catégorise et détermine les acteurs de l’opposition au régime de Bachar al-Assad, critique les atermoiements, les rigidités et les erreurs de jugement du pouvoir syrien, donne les éléments sur la dimension internationale du conflit, et propose des pistes de réflexion sur ce qui pourrait advenir de la situation.

Avec ce rapport, nous avons enfin les éléments pour apprécier les enjeux de la crise syrienne ; ce qui n’était pas facile jusqu’à présent, il faut le dire, compte-tenu du bombardement médiatique intensif conjoint anglo-saxon, qatari et israélien (relayé avec zèle par les médias français).

Il faut souligner cet excellent travail, à la fois salutaire et nécessaire, lequel nous permet d'exercer notre jugement en toute connaissance de cause.

On peut lire le rapport en suivant ce lien :
http://www.cf2r.org/images/stories/RR/rr11-syrie-une-libanisation-fabriquee.pdf 



Post scriptum :
Parfois, lorsque l’on veut avoir un avis sur un film que l’on envisage de voir, on se tourne vers certains critiques bien précis. S’ils démolissent le film, s’ils l’éreintent, c’est que le film  est assurément bon, tant on connaît parfaitement les « goûts » de ces critiques et qu’ils sont aux antipodes des nôtres.
Ainsi, en va-t-il de ce rapport du CF2R sur la Syrie. Voilà qu’un affidé du journal Le Monde  - un ancien diplomate, Ignace Leverrier - l’attaque méchamment ce jour (16/02/2012) sur son blog ("blog invité", comme ils disent). Cette attaque est un très bon signe ; le rapport a touché juste, c'est certain. 
Est-il besoin de rappeler que Le Monde est le journal de la pensée unique, quintessence du politiquement correct, parangon de la vertu pharisienne, véhiculant ad nauseam la vulgate des élites mondialisées, porte-voix et relai de la vision américano-centrifugée du monde, le bulletin des ploutocrates antinationaux ?

Cf. pour les courageux :
http://syrie.blog.lemonde.fr/2012/02/16/un-nouveau-rapport-sur-la-syrie-partiel-partial-et-fabrique/

15 février 2012

La France perd 6 000 km² de territoire

A huit mille kilomètres de la métropole, la Guyane française. Région administrative, la Guyane est également le plus grand département français, avec un peu plus de 83 000 km².

La Guyane est bordée sur le flanc Est et Sud par le Brésil, pays avec lequel elle partage près de 730 kilomètres de frontière ; sur le flanc Ouest, la Guyane est flanquée par le Surinam, sur  plus de 500 kilomètres de frontière.

Si la frontière avec le Brésil est à présent fixée et reconnue par les deux parties et internationalement (1), celle du Surinam ne l’est pas du tout. Qui plus est, dans les cartes officielles du Suriname, une large portion de territoire français (2) est tout simplement annexée.


Blason de la Guyane française

La France ne semble pas réagir outre mesure, laissant les surinamiens revendiquer et fixer indûment une frontière qui entame sérieusement notre Guyane. Est-ce un argument que de faire aussi peu de cas d’une large portion du territoire national sous le prétexte que peu d’habitants y résident et que les enjeux ne sont pas importants ?

Il s’agit d’une question d’histoire, de géographie, certes, mais aussi de principes.

Le Suriname est devenu indépendant le 25 novembre 1975. Avant cette date, c’était un territoire colonial hollandais. C’est d’ailleurs avec ce pays que la France a cherché à délimiter les frontières exactes et ce depuis le dix-septième siècle. (3) En août 1939, les deux pays étaient d’accord sur le tracé. Toutefois, la rédaction définitive du projet de convention fut remise au ministère des Pays-Bas à Paris le 6 avril 1940 ; mais du fait de la guerre, cet accord ne fut jamais ratifié et l’on ne parla alors plus de cette frontière. Ce n’est qu’en novembre 1975 que sera signé à La Haye, un Protocole de conclusions et recommandations entre les délégations de deux pays (4). Ce document reprenait en grande partie les travaux d’avant-guerre, avec quelques modifications sur le point de tri-jonction Guyane hollandaise/Guyane française/Brésil.

C’est avec l’indépendance du Surinam, qu’advient la perte de territoire notée plus haut. Il y a bien eu, en février 1977, un projet de convention entre la France et le Surinam ; mais celui-ci ne fut jamais signé par les négociateurs et il reste encore aujourd’hui le dernier acte passé entre les deux pays.


L’annexion

Profitant de ce flou juridique, le Surinam a modifié unilatéralement sa frontière Sud avec la Guyane - d’Antécume Pata (5) à la rivière Marouini - avançant ainsi de plus de soixante kilomètres vers l’Est, amputant de facto pas loin de 6 000 kilomètres carré de territoire à la France.

Sur la question des principes à présent, l’on peut légitiment se demander ce que font les autorités françaises depuis plus de trente ans pour affirmer ses droits sur cette portion de  territoire national. Celui-ci est à juste titre et incontestablement un « territoire perdu de la République ». Rien n’a été fait pour faire valoir les droits de la France tant vis-à-vis des autorités de Paramaribo (la capitale du Surinam) qu’auprès des organisations internationales.


Ainsi, le temps passe, les pratiques s’instaurent et la carte officielle du Surinam avec ses tracés frauduleux ne sont pas contestés par la France. N’oublions pas que dans les instances internationales, le droit qui prévaut est plutôt de type anglo-saxon, ce qui veut dire, en l’occurrence, que pour les autorités de la justice internationale (ICJ) - si tant est que cette question était portée devant cette cour - le temps, l’usage et le fait seront autant d’arguments en faveur du Surinam qui pourrait donc, en définitive, avoir gain de cause.

Le grand silence français

Le silence et le laisser-faire, en matière de litige frontalier, sont-elles vraiment les bonnes tactiques, on peut en douter. Mais personne ne s’émeut en France de ce problème, personne ne relève officiellement la chose et le temps joue contre nos intérêts...

Alors que les élections présidentielles françaises ne sont plus loin maintenant, il serait fort à propos que nos valeureux candidats s’inquiètent de cette question d’intérêt national, s’emparent de ce problème et tentent de le régler définitivement en faisant valoir notre droit et nos principes.

 

 NB : Les propos tenus ici n’engagent, bien entendu, que l’auteur.

Notes :
(1) Avec le Brésil, la France a renoncé à la frontière originelle de l’Orénoque après moult péripéties et négligence aussi, faut-il le rappeler. Mais tel n’est pas notre sujet.
(2) une superficie approchant les 6 000 km², soit l’équivalent du département de l’Eure.
(3) Soulignons que les concessions accordées par Louis XIII à la Compagnie de Rouen, et en 1663 par Louis XIV à la Compagnie de la France Equinoxale, vont de l’Orénoque à l’Amazone. En 1689, lors d’une guerre avec les Hollandais, la frontière est alors considérée sur le Maroni. Moins d’un siècle plus tard, en 1770, un traité d’extradition réciproque des noirs marrons (les nègres-marrons), confirme le choix du Maroni, la France renonçant officiellement et définitivement à l’Orénoque.
(4) Cf. Les frontières de la Guyane, pp.5-9. Pierre Frenay, IGN Paris, mars 1993.
(4) le village fondé par le célèbre André Cognat, lyonnais, indien d’adoption et chef coutumier.

Références :
On pourra se rapporter notamment aux ouvrages de l’ingénieur géographe Jean Hurault sur la Guyane, dont Le contesté du Maroni entre la Guyane Française et le Suriname, IGN Paris 1953 ; ainsi qu’au fascicule Sur la frontière Guyane-Brésil 1956-1961-1962-1991, Cahier Historique n°5, IGN, janvier 2005, établi par les ingénieurs géographes Pierre Frenay et Jean Hurault.


Carte : Cf. carte de la Guyane (Janvier 2009) réalisée par la Division géographique de la direction des Archives du ministère des Affaires étrangères et européennes. Les modifications, dont  le contesté frontalier avec le Suriname, sont de l'auteur de ces lignes.

2 février 2012

Un rapport « secret » de l’OTAN sur l’Afghanistan

Un rapport de l'OTAN, présenté comme secret, en date du 6 janvier 2012, et intitulé « State of the Taliban – Detainee perspectives » fait couler beaucoup d’encre.

Il a été établi suite à 27 000 interrogatoires menés sur près de 4 000 détenus talibans ou combattants étrangers pris les armes à la main, voire simplement de civils. Ce rapport  fait état, entre autres choses : des liens étroits entre les combattants talibans d’Afghanistan avec les services de renseignement et d’action pakistanais, l’Inter-Service-Intelligence (ISI), du fait que cette dernière sait exactement où se trouvent les chefs Taliban, les manipule à son gré, sans que lesdits talibans n’aient d’autres interlocuteurs et donc de marge de manœuvre ; ce document révèle aussi le soutien très étendu (profond) dont les Talibans afghans bénéficient auprès de la population afghane.

Le rapport en question a « fuité », fortuitement, et il a atterri sur les bureaux de journalistes de la BBC ; ces derniers l’ont, bien entendu, commenté et cité assez abondement sur leur site (1), déclenchant, par caisse de résonance, une cascade d’articles, de commentaires dans les médias du monde entier.

Mais que nous apprend ce document ? Rien  que nous ne connaissions déjà depuis dix ans ! On se demande donc pourquoi avoir estampillé « Secret » ce rapport, et l’avoir fait « fuiter », tel un document rare. Mais, comme le disait Leibnitz, nihil est sine ratione, rien n'est sans raison. La chose est donc mise en scène et elle semble un moyen de mettre – une fois de plus – les pakistanais face à leurs responsabilités, sans pour autant accuser ce pays de front. Depuis dix ans au moins nous connaissons le trouble-jeu des pakistanais dans l’affaire afghane (2), et l'on ne voit donc pas a priori l’impact que va avoir un énième rapport, une énième étude, sur les liens existants entre l’ISI et l’insurrection talibane contre Kaboul.

Vraisemblablement, avec ce rapport « secret », largement commenté dans la presse, il s’agit pour les États-Unis d’agir sur les pakistanais afin que ces derniers ne soient plus seuls à « traiter » (3) les chefs Taliban, sachant que les américains cherchent à mettre en place un accord avec eux dans la perspective non seulement d'un retrait total des troupes de l'OTAN prévu pour 2013, mais encore pour reprendre les discussions, avec les Taliban, en vue d'un accord sur la construction d'un pipe-line traversant l'Afghanistan du Nord au Sud, pour acheminer le pétrole de la mer Caspienne vers les mers chaudes (ici, l'Océan Indien).


Ce n’est plus un secret : le Président Karzaï n’est plus en odeur de sainteté à Washington depuis qu’il a fait montre d’indépendance et surtout depuis que les américains savent que la République Islamique d’Afghanistan n’est pas viable, fiable, qu’elle n’a aucune légitimité, ni  perspective d’avenir, qu’elle est corrompue, qu’elle fait du favoritisme ethnique, qu’elle n’a que peu de contacts avec les chefs tribaux (Malik) et les religieux locaux (Mollah) ; d'aucuns disent d'ailleurs du Président Karzaï, qu'il n'est que le « maire de Kaboul » (4). Depuis l’arrivée d’Obama au pouvoir en novembre 2008, la décision a rapidement été prise de penser un « après-Karzaï », de négocier avec les Taliban, et de voir avec eux les possibilités et conditions d’une paix en Afghanistan et aussi de trouver des accords pour des activités commerciales (il leur faut contrer l'activisme chinois en matière de business; Pékin se faisant une spécialité d'investir économiquement les pays à risque, dont l'Afghanistan).

Ce document de l’OTAN (ISAF) dont on parle, poursuit donc différents buts :

1) Faire pression sur Islamabad.
2) Faire indirectement sentir aux autorités de Kaboul et à Hamid Karzaï en particulier, qu’ils ne sont plus légitimes ou reconnus comme tel par Washington.
3) Tenter d’opérer une scission entre les Taliban qui combattent sur le sol afghan et le comité central Taliban (la Shura centrale) basé à Quetta, au Pakistan.

Mais surtout envoyer un signe aux Taliban actifs en Afghanistan, ceux du "terrain", pour leur signaler :

1) que les États-Unis veulent négocier avec eux, et non pas avec les responsables membres de la Shura centrale manipulée par l’ISI.
2) qu’ils cherchent à desserrer l’étau de l’ISI et ses paravents, afin que ces chefs Taliban sur le terrain aient une autonomie la plus grande possible et soient en mesure d’entamer
(avec les États-Unis) des négociations en pleine légitimité et liberté.

Le rapport « secret » de l’ISAF 

Passent les rapports « secrets », demeurent les objectifs stratégiques. Les ressources en hydrocarbures n'ont pas fini de nourrir l'histoire contemporaine, du moins pour quelques temps encore, et d'autant plus que, comme le disait Nicolas Berdiaev, « l'âme reste l'âme ancienne du vieil Adam, pleine de cupidité, d'envie, d'animosité et de vengeance » (5).


Notes :

(1) Cf. http://www.bbc.co.uk/news/world-asia-16821218
 et http://www.bbc.co.uk/news/world-asia-16829368
(2) Cf. pour un écrit en Français, le chapitre de l'auteur de ces lignes, intitulé Le trouble jeu de l'Inter Services Intelligence, paru dans l’ouvrage collectif « Guerre secrète contre Al-Qaeda », aux éditions Ellipses (2001).
(3) Dans le vocabulaire du renseignement, une centrale est en relation avec des sources, des contacts par l’intermédiaire d’Officiers-traitants ; ces interlocuteurs sont ainsi « traités ».

(4) Cf. Epilogue Afghanistan and the Pax Americana, par Atiq Sarwari et Robert D. Crews, paru dans « The Taliban and the crisis of Afghanistan », Harvard University Press (2008), p.319.
(5) Cf. Démocratie, socialisme et théocratie, in « Le nouveau moyen âge », p.126. Ed. de L’Âge d'Homme (1985).

Iconographie :
http://www.bbc.co.uk/news/world-asia-16821218