28 novembre 2015

Lutte-t-on vraiment contre l’Etat islamique ?

Sortir de l’idéologie et entrer dans le réalisme. C’est le premier pas qui s’agit d’entamer pour commencer le chemin vers un bon diagnostic pouvant porter des fruits. En effet, faut-il le rappeler, à diagnostic erroné, prescriptions erronées, résultats erronés.

Reprenons les choses depuis le début en posant les données du problème. Un état islamique autoproclamé s’est installé à cheval entre l’Irak et la Syrie. Ce pseudo-Etat a sous sa coupe une grande partie des zones riches en hydrocarbure (Gaz et pétrole). Une « Coalition » est sensée lutter contre cet état islamique.

En un premier point, constatons que les puits de pétrole et de gaz, ainsi que toutes l’infrastructure comme la logistique qui y participe (raffineries, bâtiments, pipelines, camions citerne, etc.) font que l’Etat islamique engrange chaque mois des dizaines de millions de dollar. Ce devrait donc être des cibles de choix à bombarder, raser. Mais personne ne le fait. Une chose d’autant plus curieuse que ces dites cibles sont répertoriées, cartographiées, photographiées en temps réel ; notons de surcroît qu’elles le sont depuis de plusieurs décennies. L’on ne peut donc qu’en arriver à la conclusion suivante, à savoir que si ces cibles ne sont pas touchées, c’est qu’il y a une volonté de ne pas le faire.

Second point important. Le pétrole comme le gaz issus de ces puits (1) sont vendus sur le marché international depuis au moins trois ans au bénéfice de l’Etat islamique. Pour ce faire, ces hydrocarbures sont acheminés vers des ports où ils sont transportés via des tankers ou d’autres pipelines jusqu’aux acheteurs. Il y a deux possibilités d’acheminement depuis la source de production : les pipelines et les convois routiers. Dans les deux cas, une seule porte  de sortie possible (2) pour ce pétrole et ce gaz : le port méditerranéen de Yumurtalik, via Ceyhan, situés en Turquie. Ankara sait d’où viennent le pétrole et le gaz ; il y a traçabilité des produits. Mais personne ne dénonce la Turquie pour complicité avec l’Etat islamique. D’un autre côté, les acheteurs savent - ou peuvent savoir - d’où vient ce qu’ils ont acheté. Mais qui dénonce le fait qu’en achetant le pétrole et le gaz issus des territoires occupés par l’Etat islamique, on finance les caisses de l’Etat islamique ? A toutes fins utiles, soulignons que parmi les acheteurs, il y a la France ; mais elle n’est pas la seule, il y a aussi les autres pays européens, les Etats Unis, etc. Pour finir, la dite Coalition n’a toujours pas pensé, à ce jour, à la mise en place d’un blocus de cet Etat islamique, un « Etat » de plus enclavé, rappelons-le !

Quand on décide d’une guerre contre un Etat (ou un pseudo Etat), on doit s’attaquer non seulement aux forces armées adverses, mais aussi aux financements, aux sources de revenus de cet Etat. Mais tant que les deux points, abordés plus haut, ne sont pas tirés au clair, le pseudo-Califat aura de beaux jours devant lui. On pourra faire des déclarations tonitruantes, en appeler à la mobilisation, à l’Etat d’urgence et autres billevesées, mais rien sur le fond ne sera résolu.

D’où la question simple : lutte-t-on vraiment contre l’Etat islamique ?

Post-scriptum : pour éviter que les questions posées plus haut ne dérangent, il faut couper l'herbe sous le pied des éventuels empêcheurs de tourner en rond, allumer des contre-feux. Ainsi, un article (anonyme) de presse paru sur le site internet Atlantico (qui porte bien son nom, au passage) vient incriminer le Président syrien dans l'achat de pétrole issu des puits de pétrole de l'Etat islamique. Cette information est issue...du Département du Trésor américain. Autre contre-feu, celui lancé par des agences de presse (neutres, bien entendu ; nous le savons !) et qui publient des articles avançant que si les puits de pétrole de l'Etat islamique ne sont pas bombardés par les avions de la "coalition", c'est pour des raisons...écologiques ! Parfait. Belle synchro avec la COP21. Au passage, COP signifie flic... Dernière invention en date : si l'US Air Force n'a pas bombardé les convois routiers pétroliers (vers la Turquie), c'est parce que les chauffeurs étaient des civils ! Effectivement, on connait les consignes de tir très restrictives au sein des forces armées américaines. Il n'y a que très rarement de dommages collatéraux, c'est bien connu.

Notes :

(1) Rappelons-le, propriétés des compagnies ExxonMobil, Shell, Total, British Petroleum, Lukoi, Petronas, Korea Gaz Corporation, ENI, China National Petroleum, Chevron, etc.

(2) l’Etat islamique n’a aucun port et ne peut les acheminer vers le Sud, vers l’Etat irakien (ou ce qu’il en reste) depuis le chaos instauré par Washington dans ce pays. Le seul pipeline en fonction sortant des territoires sous la coupe de l’Etat islamique ou ses alliés, passe par la Turquie (via Midyat).


Cartographie : http://energypolicyinfo.com/wp-content/uploads/2014/07/iraq-map-6-16.jpg

14 mars 2015

La désinformation se poursuit

Entre 1949 et 1990, le monde connut une période de tensions et de confrontations idéologiques et politiques entre les deux super-puissances d’alors, les Etats-Unis et l’Union Soviétique. Cette période fut celle de la « guerre froide ». Et si la « guerre froide » se distingue de la « guerre chaude » - ou conflit ouvert entre deux Etats souverains -, elle peut aussi malheureusement la précéder…

Durant cette période de la guerre froide, avec le développement de la communication de masse, la propagande devint un art majeur pour les deux camps. Dans le camp « occidental » - c’est-à-dire celui mené par les Etats-Unis - il était de bon ton de dénoncer les manipulations soviétiques dans le domaine de l’information ; c’était passer sous silence que les Etats-Unis et les Etats affidés manipulaient, eux-aussi, tout autant. Mais les termes étaient choisis. Ainsi, si le « camp des Rouges » espionnait, le « camp du monde libre », lui, se renseignait ; si les Rouges faisaient de la propagande, le camp occidental, lui, informait. Bref, les mots avaient (déjà) un sens biaisé. Ils en ont toujours…

C’est à cette période de la guerre froide que naquit le terme de « désinformation » (du russe dezinformatsiya), censé désigner des pratiques exclusivement capitalistes visant à l'asservissement des masses populaires. Le terme passe ensuite en anglais (disinformation) au début des années 1970. En France, ce terme fut popularisé par un romancier (et ancien agent de renseignement Français) Vladimir Volkoff. Selon ce dernier (A, p.31), il eut été plus judicieux de parler de « mé-s-information », ce mot permettant en effet de faire comprendre immédiatement de quoi l’on parle : le préfixe « mé » induisant l’idée une information détournée (de son but, mais aussi éventuellement de sa source initiale). La dé-s-information, quant à elle, signifiant a priori, avec le préfixe « dé », plutôt une information cachée, voire ôtée. Cependant c’est le second terme qui fît florès et s’imposa...
La définition du terme de « désinformation » qu’en donna Vladimir Volkoff  était simple (A, p.31) : La désinformation est une manipulation de l’opinion publique, à des fins politiques, par des moyens détournés de traitement d’une information véridique ou non. Les acteurs de cette manipulation pouvant être des officines publiques ou privées (comme les bénéficiaires in fine d’ailleurs). Dans un autre de ses ouvrages (B, p.24), Volkoff définissait et précisait la désinformation comme « une technique permettant de fournir à des tiers des informations générales erronées les conduisant à commettre des actes collectifs ou à diffuser des jugements souhaités par les désinformateurs ».

La guerre froide ayant cessé en 1990 avec la désintégration de l’URSS, le monde connût « un moment unipolaire » ; une seule super-puissance restait en lice, les Etats-Unis. Néanmoins, la désinformation ne cessa pas pour autant, tout au contraire. Nous pensions être libérés de l’idéologie, nous y plongions entièrement, sans aucune espèce de retenue. Le monde occidental préfigurait effectivement le « mondialisme », une idéologie totalitaire qui ne dit pas son nom. Une confusion, parfaitement entretenue d’ailleurs par les tenants de cette idéologie, laisser accroire qu’il n’y avait pas de différence entre mondialisme et mondialisation. Avec la fin de l’Union Soviétique, il n’y avait alors plus de repoussoir, d’épouvantail permettant la constitution de facto d’un « Nous » objectif, constituant. Avec cette nouvelle idéologie, fut perdue également toute la distanciation nécessaire à la réflexion. Dupés par les Etats complices de ce processus - présenté bien entendu comme « inéluctable » -, les peuples se sont retrouvés très vite noyés dans l’idéologie, au point de ne plus la déceler.
Les exemples de désinformation abondent et il n’est pas ici l’objet de les recenser tous. Citons juste, avec les éléments de langage en vigueur : l’Irak de Saddam Hussein avec ses « armes de destruction massive » et « quatrième armée du monde », l'ex-Yougoslavie et les « épurations ethniques » pratiquées par les Serbes sur les Kossovars (Albanais du Kossovo), la « couche d'ozone », le « réchauffement climatique », la Russie et « le maître du Kremlin » sorte d'hydre maléfique à la conquête du monde, la Syrie et « le régime de Bashar Al-Assad » responsable de tous les maux, etc.

Arrêtons-nous juste un peu sur l’Ukraine et la désinformation au sujet de ce qui s’y passe. Effectuons un petit zoom sur un point particulier survenu à la fin du mois de février 2015.

Un article paru dans un journal russe a été abondamment relayé dans les médias français. L’article original a été publié en langue russe (1). Le site en anglais du même journal ne relaie pas cet article en question (2) ; il n’est donc indisponible en Anglais. Néanmoins, les médias français en parlent (3) ; ils citent le journal russe mais pas la version sur laquelle ils ont effectivement travaillé - si tant est qu’il ait véritablement « travaillé » ou bien plutôt qu’ils l’aient été...  On peut déjà légitimement se demander d’où leur vient l’information « brute » laquelle leur a permis d’écrire leur papier respectif, sachant qu’il est peu probable que les russophones soient légion au sein des rédactions françaises.

Quoi qu’il en soit, l’article original sur le site Novaya Gazeta (en Russe) est signé Dmitri Muratov (Дмитрий Муратов). Que dit cet article si l’on s’en tient aux médias français ? De quoi s’agit-il ?

L’on apprend des choses « horribles » ! L’on découvre bien entendu, une fois de plus, l’affreux Poutine aux commandes de la manœuvre ; le « maître du Kremlin » serait ainsi - « preuves » à l’appui - derrière la déstabilisation de l’Ukraine, derrière le conflit qui oppose Kiev aux rebelles du Donbass (Ukraine orientale). Horrible Poutine. S’il n’existait pas, il faudrait l’inventer tant il est une sorte de Deus ex machina (bien commode au demeurant), une sorte de référent du mal, l’élément qui expliquerait tout, une main pas si invisible que cela d’ailleurs, à tel point qu’elle signerait même ses méfaits !

Cet article (d’origine incontrôlée, non identifiée, rappelons-le) fait état d’un document apparemment écrit par l’homme d’affaires Konstantin Malofeev (aucune preuve sur ce point également), lequel document décrirait « comment la Russie va organiser des manifestations d’opposition aux autorités de Kiev, avec comme revendications la fédéralisation de l’Ukraine et l’adhésion à l’Union douanière, pour aboutir à une demande de souveraineté, puis d’adhésion à la Russie ». Le document décrirait « comment les manifestants doivent condamner les velléités séparatistes de l’ouest du pays qui menaceraient l’intégrité du pays, et exiger une réforme constitutionnelle facilitant le recours au référendum ». Nous aurions ainsi la preuve que les événements dans l’Est de l’Ukraine seraient le résultat d’un complot de la Russie. Le scoop !

Si ce document était réel, loin d’être une feuille de route du complot moscovite, il ressemble davantage à une note d’analyse de situation avec recommandations, un travail demandé dans la plupart des pays structurés et en capacité, à de nombreux services d’Etat (diplomatiques, de renseignements, financiers, etc.). Le service en question analysant une situation et présentant aux instances dirigeantes, les différentes pistes qu’elles pourraient prendre pour préserver l’intérêt national et stratégique du pays. La Russie, tout comme la France d’ailleurs, a ce genre de « services » lesquels produisent quotidiennement ce type de note. Il n’y a, là-dedans, aucun élément relevant de la machination ; ce n’est qu’un travail d’analyse et de prospective à fin d’action pour l’intérêt et la sauvegarde de l’Etat.

Mais, comme il s’agit de la Russie, comme il s’agit de Poutine, c’est… un complot du « maître du kremlin ».
Les symptômes de la désinformation sont là (A, chapitre 2): Tout le monde dit la même chose ; nous sommes informés à satiété sur un aspect de la question et à peine tenus au courant des autres ; tous les bons sont d’un côté et tous les mauvais de l’autre ; enfin, l’acquiescement de l’opinion débouche sur une psychose collective.

Tous les éléments de « la grille Volkoff » sont présent (A, chapitre 4). Il y a : le client ; l’agent ; une étude de marché ; le support ; les relais ; le thème ; le traitement du thème ; et finalement, la diabolisation.

Résumons-nous :
un journal russe fait paraître un article douteux en langue russe ;
les journaux Français en parle abondamment mais en ne renvoyant curieusement aucun lien sur sa traduction anglaise ;
on évoque un document que personne n’a vu et dont on ne connait pas l’auteur ;
on fait prendre des vessies pour des lanternes aux lecteurs, en faisant passer un document de travail habituel émanant de services de l’Etat (si tant est qu’il est véridique) pour une preuve ultime de complot, de manipulation par Moscou dans l'affaire ukrainienne.
Bref, nos « journalistes » ont participé à un travail de désinformation manifeste…

Ces journalistes pensent-ils développer leur crédit auprès des lecteurs/auditeurs/téléspectateurs en agissant de la sorte ? On cherche en vain la déontologie dans ce « travail » d’information. Une information tellement « travaillée » qu’elle est devenue désinformation au service d’intérêts politiques et géopolitiques qui ne sont jamais nommés. Des intérêts qui sont ceux des Etats-Unis en premier lieu mais aussi de l’Union Européenne, en bonne vassale de Washington qu’elle est.

Notes :
(1) L’article incriminé (en langue Russe) qui fait les gorges chaudes de nos journalistes propagandistes du clan belliciste (OTAN, Etats-Unis, Grande-Bretagne, France, etc.) :
(2) Site de Novaya Gazeta en anglais : http://en.novayagazeta.ru/
(3) Quelques relais de la propagande en France :

Références :
(A) « Désinformation flagrant délit ». Ed. du Rocher (1999).
(B) « Petite histoire de la désinformation ; du cheval de Troie à Internet ». Ed. du Rocher (1999).
On lira aussi avec intérêt son ouvrage « La désinformation arme de guerre ; textes de base présentés par Vladimir Volkoff ». Ed. de L’Age d’Homme (1986).

Iconographie : 
http://poasterchild.deviantart.com/art/If-We-Want-Your-Opinion-403200312
http://tylerchampion.deviantart.com/art/Koopa-Propaganda-163042077
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12 janvier 2015

Hypothèses de travail

Face un événement, quel qu’il soit, si l’on veut le comprendre et en tirer des conséquences, il importe de l’analyser, c’est-à-dire de voir ce qui en serait à l’origine. Dans cette perspective, aucune hypothèse ne doit être exclue ; l’éventail des possibles doit être ouvert, sans exclusive.

***

Dans les événements qui se sont déroulés en région parisienne dans la deuxième semaine de janvier 2015, il y a eu donc - pour rappel - d’une part, cet attentat dans les locaux de Charlie Hebdo dans Paris et, d’autre part, la prise d’otages à la porte de Vincennes, sans oublier les policiers abattus à Montrouge. Il y a eu dans ces tueries trois acteurs, aujourd’hui identifiés et éliminés, en la personne des deux frères Kouachi et d’Amedy Coulibaly. Au moins un de ces deux hommes serait passé par le Yemen et y aurait suivi une sommaire formation paramilitaire et doctrinale par Al Qaeda dans la Péninsule Arabique (AQPA), d’où cette attitude qualifiée, par certains commentateurs, de « professionnelle » dans l’exécution de leur action (sang froid, détermination, maîtrise des armes).

Incohérences

Les frères Kouachi et Coulibaly étaient, nous dit-on, très liés et faisaient partie du même groupe depuis plusieurs années, impliqués dans « la filière des Buttes Chaumont » active dans l’envoi de Jihadistes pour l’Irak au bénéfice de la branche irakienne d’Al Qaeda.

Dans les « confessions » filmées de Coulibaly - disponibles après la fin de la prise d’otages - l’on apprend que ce dernier se revendique explicitement (drapeau derrière lui et revendication verbale) de l’Etat Islamique.

Dans une interview téléphonique avec BFM-TV donnée le 9 janvier 2015, un des frères Kouachi, alors qu’il est retranché dans une entreprise de papeterie de Dammartin-en-Goële, se revendique pour sa part d’« Al-Qaeda au Yemen » (Al Qaeda dans la Péninsule Arabique, AQPA).

Quand on sait que les relations entre les deux entités (AQPA et Etat Islamique) ne sont pas au beau-fixe, l’on a du mal à comprendre comment se peut-il que ces membres de « la filière des Buttes Chaumont » se réclament de deux entreprises en grande partie concurrentes et exclusives.

Ces revendications respectives sont-elles donc valides ? Et quelle valeur peut-on alors leur donner ? Il est plus que certain que les liens entre Couylibaly et les deux frères Kouachi sont davantage de nature personnelle qu'en rapport quelconque avec leurs référents respectifs.

Les ratés

Des éléments viennent perturber la qualification des frères Kouachi et de Coulibaly décrits comme terroristes « professionnels » ; ainsi certains « ratés » dans le déroulé et la préparation de l’opération (erreur d’adresse, carte d’identité) mettent-ils en doute le « professionnalisme » des terroristes.

L’erreur d’adresse tout d’abord. Le fait d’être entré au départ dans le mauvais immeuble témoigne d’une impréparation manifeste de l’opération. Certes, l’endroit n’était pas indiqué explicitement ; il n’y avait pas d’enseigne à l’entrée de l’immeuble précisant que Charlie Hebdo y avait ses locaux et à quel étage. Mais quand on se lance dans une telle opération, c’est un travail en amont (information, repérage) qui ne peut être omis, si tant est que l’on soit un peu « professionnel » et « cortiqué ». N’oublions pas que les deux assaillants ne savaient pas par contre à quel étage se trouvait la rédaction de Charlie Hebdo. Ils ont été en premier lieu conduit au 3ème étage par une personne de l’immeuble alors que la rédaction est au second. Puis ils se sont ravisés et se sont finalement fait ouvrir la porte à ouverture codée du second étage menant aux locaux de Charlie Hebdo.

Reste que les frères Kouachi savaient que la réunion de la rédaction se tenait le mercredi et qu’ils avaient donc effectué quelques « reconnaissances » en amont de leur opération pour le savoir. Quant à Coulibaly, il portait sur lui une caméra de type GoPro, ce qui signifie que son acte était parfaitement prémédité, d’autant plus qu’il avait enregistré un témoignage filmé, ceci vraisemblablement avant son action contre les policiers à Montrouge et certainement avant sa prise d’otages à la Porte de Vincennes.

Deuxièmement, la question de la carte d’identité « oubliée ». Faire une telle opération en emportant sur soi ses papiers soulève quelques questions ; pire, les oublier dans le véhicule que l’on abandonne, relève d’une négligence surprenante. Néanmoins, avoir ses papiers sur soi permet d’éviter une interpellation par des forces de l’ordre et donc un blocage sur le chemin de l’aller ou du retour du forfait, et ceci ne peut a priori être totalement critiqué de manière négative. Mais perdre ses papiers est, par contre, totalement inconséquent lorsque l’on monte une telle opération.

Notons que l’assaut des frères Kouachi a été effectué cagoulé, ce qui pourrait signifier a priori que ce n’était pas une mission-suicide ; un Kamikaze ne cache pas son visage. Mais agir cagoulé - faut-il quand même ajouter - c’est aussi d’emblée instaurer une situation de sidération et de peur envers toute personne rencontrée. Il n’y a donc pas à conjecturer là sur le port des cagoules. De son côté, si Coulibaly portait une cagoule lors de son action à Montrouge (cagoule qu’il a perdue d’ailleurs dans sa fuite, permettant son identification ADN) il ne la portait pas lors de sa prise d’otages à la Porte de Vincennes.

Usage du doute

Dans n’importe quelle situation, l’usage du doute est important dans le cheminement de pensée afin de parvenir à une analyse sérieuse. Or, si ce doute doit être méthodique et opératoire, il ne doit en aucun cas être systématique, au risque de se perdre dans des théories hallucinantes et grotesques.

Ainsi, certains esprits tortueux ont cru déceler, par exemple, une machination dans une pseudo-étude des images filmées et notamment en ayant décelé un changement de couleur des rétroviseurs de la voiture des frères Kouachi (la voiture du début de l’opération ne serait ainsi pas celle de la fuite). Le bon sens vient vite balayer cette « découverte », puisque l’on sait que le reflet du ciel sur la peinture d’une voiture suffit à faire accroire que la couleur (au demeurant  noire) de certaines parties du véhicule apparaissent argentées à l’image, voire très claires.

Instruments ou acteurs autonomes

Si l’on veut prendre comme hypothèse que les deux assaillants ont été des instruments et non des acteurs autonomes, alors plusieurs pistes s’ouvrent. D’autant plus de pistes à mon sens d’ailleurs, si des Services d’un Etat souverain sont les commanditaires, que s’il s’agissait d’une organisation terroriste. Quand des Services « montent » une opération, il peut y avoir deux modalités d’actions : directe ou indirecte. Directe, quand les assaillants savent exactement qui les envoie à l’action et sont sûrs que ces commanditaires n’ont pas d’autres commanditaires. Indirecte, c’est une machinerie très complexe car différentes situations peuvent se présenter, en fonction des différents degrés et de profondeur dans la manipulation de ceux qui conduiront au final l’opération (les assaillants) ; les assaillants peuvent croire être agit par A alors que cela peut-être B derrière A, voire C derrière B, lui-même derrière A ! Bref, les exécutants ne savent pas forcément qui les conduits, qui tirent les ficelles au final. Ainsi ne peut-on que très difficilement se prononcer sur la manipulation, sachant qu’une opération « réussie », en la matière, est absolument indécelable.

Voyons maintenant qui ou quel pays pourrait avoir agit, si tel était le cas. Pour réussir une telle opération de manipulation, il faut avoir des Services très qualifiés en la matière. Peu de pays sont en mesure de monter et de réussir la chose. Voyons les pays qui sortent du lot ; parmi les premiers, nous avons : les Etats-Unis, la Russie, la France, Israël et la Grande-Bretagne. De ces cinq pays, il faut réussir à déterminer lequel avait un intérêt suffisant et nécessaire pour se lancer dans une telle manipulation. Il faut aussi déterminer quel était le but final de cette manipulation pour ce pays en question. La connaissance de ce but est incontournable pour poursuivre l’hypothèse de travail. Pour finir, compte-tenu des conséquences imprévisibles, très diverses et très aléatoires, une telle opération de manipulation est extrêmement délicate. Cela démontrerait une maîtrise parfaite de toute la chaîne (c’est-à-dire jusqu’au but final recherché, au-delà des attentats), ce qui est quand même fortement improbable. Cette hypothèse de manipulation peut donc être écartée à mon sens (1).

Les sous-doués du Jihad

Si l’on prend les derniers terroristes islamistes qui sont passé à l’action - que ce soit Mohammed Merah, Nemmouche, les frères Kouachi et Coulibaly - l’on constate que ces derniers relèvent plus de la catégorie des « recalés du Jihad » que d’autres choses, sachant  qu’ils n’ont jamais été intégré effectivement ni dans les combattants de l’Etat Islamique, ni dans les groupes d’Al Qaeda (AQMI, AQPA, etc.). Certains, mais pas tous, sont allés néanmoins sur « zone » (Yemen, Afghanistan, Pakistan, etc.) mais quoi qu’il en soit, aucun n’a été intégré dans une structure combattante. Le profil psychologique de l’ensemble de ces tueurs révèle, par ailleurs, qu’ils sont au-dessous de la moyenne. En ce sens, ces terroristes sont en quelques sortes des « sous-doués du Jihad ».

Un fin analyste, Xavier Rauffer, nous dit à ce sujet des choses justes et de bon sens. Al Qaeda ou l’Etat Islamique, qui voient venir vers eux de nombreux prétendants au Jihad, ne s’embarrassent pas de branquignoles, de pieds-nickelés ; ils les écartent. Dans un groupe de combat, la survie est l’affaire de tous. Un maillon faible dans l’équipe et c’est la sécurité du groupe qui est mise à mal. Un lot de consolation consiste donc à faire entendre à ces « ratés » qu’ils rendraient un fier service à « la cause » en agissant plutôt « chez eux », en l’occurrence en Europe, qu’au sein de l’organisation (EI ou Al Qaeda).

Pathos en pâture et la vraie manipulation

Au vu de ce qui s’est passé les jours suivants, et surtout de la grande manifestation qualifiée d’« historique » organisée à Paris (à laquelle ont participé des dirigeants internationaux, dont certaines  personnes peu qualifiées pour se poser en défenseurs des libertés et/ou du pluralisme), on peut légitimement dire où se trouve la manipulation. La récupération politique de l’événement est LA manipulation qui a vraiment eu lieu dans cette affaire.

Opération de communication, mobilisation d’une opinion publique (au moment où les Français sont plus que dubitatifs sur l’action et la légitimité du gouvernement), action de la présidence et d’un gouvernement sur leur côte de popularité, répétition générale d’une action politique future contre un parti politique qui est arrivé premier aux dernières élections (européennes) ; bref, les ficelles sont grosses même si malheureusement la population n’a que peu été lucide et sensible à cette mascarade, tant elle fut engluée de pathos en continu, en « direct live », par les médias. Mais, on le sait, « les Français sont des veaux » avait d’ailleurs dit le Maréchal Juin au Général De Gaulle (lequel a repris à son compte cette description de ses administrés). Ce qui est paradoxal, c’est le fait que l’on ait entendu dans les médias parler d’« Union nationale », de « cohésion nationale », cela de la part de personnes qui depuis 50 ans ont participé à l’entreprise systématique de déconstruction de tout ce qui relève justement du national - y compris les victimes de Charlie Hebdo, faut-il le souligner.

Si ces actes terroristes doivent être condamnés, l’on est pas obligé pour autant de tomber dans le panneau du « Je suis Charlie », de la sympathie pour l’idéologie de l’hebdomadaire ciblé. Mais il faut pour cela assez de recul, d’esprit critique, choses du monde pas vraiment partagée en ces temps de décervellement/d’asservissement généralisé et industriel… Dire « Je suis Charlie », c’est aussi oublier et passer au second plan les autres victimes (policiers et clients du super marché attaqué). Enfin, ce n’est pas « la liberté d’expression » ou « la République » qui était visée mais simplement la France, en tant que telle, et tout ce qu’elle peut représenter pour les fondamentalistes islamiques (pays européen, de race blanche, de tradition chrétienne).

L’Islam en question

Ce que met en question ces derniers attentats, c’est l’Islam et ses liens avec le terrorisme. Énonçons-le d’emblée, il n’y a pas UN mais DES Islams ; ceci pour les hystériques islamophobes. L’Islam pratiqué en Indonésie, n’est pas celui du Nigéria ou de Bosnie, ni celui d’Arabie Saoudite ou d’Iran. Il ne faut donc pas catégoriser et s’exonérer de la connaissance du réel. Il ne faut pas tomber dans le travers des « islamistes radicaux » eux-mêmes, lesquels ne reconnaissent qu’une seule forme d’Islam sur l’ensemble du globe. En cela, les islamistes radicaux et les islamophobes se rejoignent ; pour les deux parties il n’y a qu’un seul « vrai Islam », l’Islam radical, salafiste, faisant l’impasse et omettant sciemment les cultures nationales, l’Histoire, la Tradition, les ethnies, en un mot : en évacuant le réel. 

Ajoutons également qu'une grande partie des musulmans de France est dans une situation d'inquiétude, de peur, ceci à cause du chantage et de la surenchère à la piété (la pratique du "holier than you" que l'on retrouve dans la plupart des pays musulmans d'ailleurs) exercée par des extrémistes salafistes lesquels naviguent dans leur communauté. Et il est inadmissible qu'en France une communauté (quelle qu'elle soit d'ailleurs) ait peur, subissent les intimidations de la part d'une minorité d'activistes. Une sorte d'omerta règne dans la communauté musulmane et ces individus indésirables ne sont donc pas signalés alors qu'ils devraient l'être ; ici, ce sont les musulmans eux-mêmes qui sont responsables de la chose et qui devraient se remettre en cause. Une prise de conscience est incontournable pour pallier cette carence. Une des difficultés réside dans le fait qu'il n'y a pas une mais plusieurs communautés musulmanes en France, une autre dans ce qui caractérise l'Islam même : l'absence de clergé et donc d'autorité vraiment légitime (dans l'Islam sunnite). L'Etat est également défaillant pour sa part, n'étant pas en mesure de faire le nécessaire pour poursuivre en justice ces idéologues politico-religieux islamiques. Il s'agit pourtant d'une oeuvre de sécurité publique.   

Cependant, il est un fait - écarté sciemment par la plupart des hommes politiques et des journalistes, du fait du « pasdamalgame » - c’est celui que les terroristes, qui ont agit lors de ces attentats, l’ont fait « au nom de l’Islam », « du Prophète ». Ces terroristes sont donc des « terroristes islamistes », des « islamistes radicaux ». Il faut les nommer car tenir des propos tels : « Nous faisons la guerre au terrorisme », sans parler de l’idéologie qui sous-tend est profondément stupide, tant on ne lutte pas contre un mode d’action (le terrorisme) mais contre un adversaire possédant une idéologie (politique et/ou religieuse) bien définie. Il est tout aussi stupide de dire que « Nous n’avons pas à mener une guerre, à être en guerre, quand bien même elle nous aurait été déclarée par les terroristes » ; rappelons à ce sujet les propos de Julien Freund au moment de sa soutenance de thèse, le 26 juin 1965 : « (…) vous pensez que c'est vous qui désignez l'ennemi, comme tous les pacifistes. Du moment que nous ne voulons pas d'ennemis, nous n'en aurons pas, raisonnez-vous. Or c'est l'ennemi qui vous désigne. Et s'il veut que vous soyez son ennemi, vous pouvez lui faire les plus belles protestations d'amitiés. Du moment qu'il veut que vous soyez son l'ennemi, vous l'êtes. (…) ». Il n’y a donc aucune échappatoire quand un groupe vous a désigné comme ennemi, quand il vous a déclaré une guerre.

Par ailleurs, les idéologues de l’islamisme radical sont connus ; ils ont pour nom Ibn Tayymiya, al-Mawdudi, Sayed Qutb, Hassan al-Banna, Taqiuddin an-Nahbani, Abdullah Azzam, etc. Mais disons-le clairement, les Kouachi et Coulibaly les ont-ils lu, si tant est qu’ils en aient jamais eu connaissance. Ils ont plutôt été endoctrinés de façon bien plus élémentaire (« basique » pourrait-on dire), avec des arguments à la portée de leurs intellects (limités) respectifs, ceci par d’autres individus et qui, eux, sont toujours en liberté, bien vivants et pas forcément connus des services de Police.

Là réside plutôt, à mon sens, la gravité de la situation actuelle car il y existe en France de nombreux Kouachi et Coulibaly en déshérence, en rupture de ban avec la société, souvent de petits délinquants au sang chaud, en quasi totalité de culture musulmane et réceptifs à des propos politico-religieux binaires, meubles à un endoctrinement leur redessinant un monde en noir et blanc où ils ont leur place et dans lequel ils peuvent se racheter de leurs conduites passées tout en agissant pour ce qu’ils considèrent comme une cause supérieure légitime (transcendante).

 

Il s’agit de mettre en œuvre une politique de traque de ces idéologues-relais, de ces réels prédicateurs de haine, de ces vrais dangers, ce qui demande la mise en œuvre d’une effective et nouvelle politique de renseignement intérieure. Un travail-amont qui demande moyens humains et matériels, bref, une action prioritaire dépassant les contingences budgétaires. 


Mais a-t-on seulement des politiques à la hauteur du défi ? On ne peut qu’être malheureusement dubitatif.


Note :
(1) Une autre hypothèse de travail peut être écartée de la même manière, celle que les attentats soient le fait de Services - cette fois Français - qui auraient « laissé faire » ; cette thèse étant accréditée par le fait que les individus neutralisés étaient bien connus des services, selon l'expression consacrée. Tout comme l’hypothèse « manipulation », la non maîtrise des conséquences est ici par trop aléatoire pour envisager cette hypothèse comme recevable. A moins, bien sûr, que les commanditaires ne soient des partisans de la théorie du Chaos contrôlé et pensent en tirer des bénéfices.