16 novembre 2011

Syrie : un symbole politique n’est jamais anodin

Au sujet de ce qui se passe aujourd’hui en Syrie, toute personne dotée de la (télé) vision, n’a pas pu ne pas voir le drapeau que brandissent une grande partie des opposants au régime de Bachar Al-Assad. Ceci n’est pas anodin. Mais, l'écran fait écran, et les journalistes ne voyant rien et ne comprenant rien de ce qui se passent devant leurs yeux, des détails échappent souvent aux spectateurs, comme ce "nouveau" drapeau syrien. Il ne s'agit pas seulement de voir les images que nous déverse la télévision (1), il faut aussi les lire...

Le drapeau officiel de la Syrie est connu : rouge, blanc, noir, avec des étoiles vertes, au nombre de deux. En vigueur depuis 1980, il fut également utilisé durant les années 1958 à 1961. C’est le drapeau de la République arabe unie, créée de l'union de l'Égypte nassérienne et de la Syrie ; les deux étoiles vertes représentant les deux États constitutifs. Ces étoiles furent un temps au nombre de trois, lors de la tentative d’union entre l’Egypte, la Syrie et l’Irak (1963-1972) ; union qui ne se concrétisa jamais, faut-il ajouter. Quoi qu’il en soit, ces couleurs sont les symboles du panarabisme.
Le drapeau de la République Arabe Syrienne

Le drapeau actuellement brandi majoritairement depuis quelques mois par les opposants les plus actifs (et structurés), est sensiblement différent ; le rouge disparait au profit du vert ; les étoiles passant de deux à trois et du vert au rouge. Ces trois étoiles symbolisant les districts d'Alep, de Damas et de Deir ez-Zor. Hissé pour la première fois à Alep en 1932, il est officiellement adopté en 1936, suite au traité conférant une semi-indépendance à la Syrie. C'est également ce drapeau qui fut adopté lors de l'indépendance complète du pays, en 1946. Ces couleurs ont existé à deux reprises dans l’histoire de la Syrie : durant la période 1932-1958 et durant les années 1961 à 1963. Les manifestants actuels qui l’utilisent, le baptisent drapeau de la « Syrie libre ».
Le drapeau, dit de la "Syrie libre", brandi par les manifestants

Ce que l’on peut dire déjà avec cette reprise des anciennes couleurs, c’est la rupture manifeste d’avec le panarabisme, cette idéologie (nation, socialisme, laïcité) qui fut un ciment politique dans le Proche Orient ; une idéologie à l’opposé, faut-il le souligner, du panislamisme en expansion aujourd’hui, ici et là (Tunisie, Libye, Egypte, etc.), et bien sûr en Syrie. Avec ces nouvelles couleurs, nous revenons au statu quo ante, et surtout à la manifestation visible, nouvelle et flagrante des mouvements politiques salafistes à l’œuvre en Syrie : essentiellement le mouvement des Frères Musulmans et le Hizb-ut-Tahrir, le parti créé par Taqiuddin an-Nabhani (2).

Cela préjuge de ce que pourrait être la Syrie de demain, si le régime actuel tombait.

Note :
(1) Dans un petit opuscule, Pierre Bourdieu - qui n'est pas de ma chapelle, je m'empresse de le dire - disait des choses justes. Par exemple : "La télévision exerce une forme particulièrement pernicieuse de violence symbolique. (...) c'est une violence qui s'exerce avec la complicité tacite de ceux qui la subissent et aussi, souvent, de ceux qui l'exercent dans la mesure où les uns et les autres sont inconscients de l'exercer ou de la subir". Cf. Sur la télévision, suivi de L'emprise du journalisme, p.16 ; éditions Raisons d'agir (2008).
(2) Précisons toutefois que le drapeau du Hizb-ut-Tahrir est noir quant à lui ; en lettres blanches figure la phrase lā ’ilāha ’illa-llāh muḥammadun rasūlu-llāh (Il n’y a de dieu qu’Allah et Mohamed est le messager d’Allah). Notons que c’est la même phrase que l’on trouve sur le drapeau vert de l’Arabie Saoudite (agrémenté d’un sabre islamique) ; elle est également utilisée par les salafistes combattants partout dans le monde (ex-Yougoslavie, Tchétchénie, Irak, Afghanistan, Indonésie, Philippines, etc.), comme signe de ralliement idéologico-religieux (djihadistes, dirait un Gilles Kepel ou encore un Olivier Roy).