L’ennui avec une idéologie, quelle
qu’elle soit, c’est que son approche de la réalité est rarement conforme avec
les faits. Lénine disait qu’il n’y avait que deux idéologies, l’idéologie
bourgeoise ou l’idéologie socialiste (1). En cela, comme sur d’autres points
d’ailleurs, il avait tort. Il y en a une troisième : l’idéologie de
l’Islam militant ou islamisme. Ainsi Jules Monnerot avait-il bien raison de
dire que l’Islam serait le communisme du XXème siècle (2). Cette affirmation se
révèle et se constate tous les jours. L’actualité nous en donnant des éléments
à flot constant. Pour l’illustrer, nous nous pencherons sur ce qu’il se passe
en Asie du Sud-Est, précisément au Myanmar, l’ancienne Birmanie.
Le grand public a découvert ces
dernières années et plus encore ces derniers mois, une minorité dont elle
ignorait jusqu’à lors l’existence : les Rohingyas. Minorité ethnique et
religieuse, elle est une de celles qui composent l’ensemble des habitants du
Myanmar, avec la majorité Birmane bouddhiste. Malheureusement, ce public
approche le conflit en question, par les informations qui lui sont données, de
façon tronquée ; l’explication qui lui est donnée est monocausale. Rien
n’est plus faux, surtout en matière géopolitique.
Un tiers exclu
Les Rohingyas sont un sous-groupe du peuple bengalais situé sur le territoire de l’actuel
Myanmar suite aux affres de la colonisation britannique. Les Britanniques ayant
utilisé les Rohingyas dans la répression contre les Birmans, que ce soit lors
de la conquête de ce qui allait devenir le Raj britannique ou au moment de l’indépendance birmane, cette minorité n’a
jamais été considérée par la quasi totalité des habitants de la Birmanie (puis
du Myanmar) comme faisant légitimement partie des peuples constituant la
« nation birmane ». Des groupes ethniques, le Myanmar en compte de
nombreux - pas loin de 130 (3) - et pas toujours en sympathie avec le pouvoir
de la capitale actuelle, Naypyidaw (4). En effet, que ce soit avec les Chans,
les Chins, les Karens bien sûr, de nombreux conflits ont émaillé les rapports
avec le pouvoir en place depuis l’indépendance en janvier 1948, notamment sous
la junte militaire entre 1962 et 2011 et ce jusqu’à aujourd’hui.
Les Rohingyas ne parlent quasi exclusivement que le
Bengali, et ne sont ni intégrés et encore moins assimilés à leurs compatriotes
bouddhistes. Depuis longtemps discriminés et persécutés dans le pays (ils n’ont
pas le droit de sortir du Rakhine, n’ont pas de papiers d’identité), ils ne
sont véritablement des citoyens mais ont le statut d’« associés » à
la Birmanie ; bref, ils sont dans une situation bien plus difficile
comparativement aux autres minorités ethniques ou religieuses, elles mêmes
souvent persécutées.
Géographiquement, les Rohingyas se
regroupent à l’Ouest du Myanmar, près de la frontière avec le Bangladesh, dans
le Nord de la province de l’Arakan (Etat de Rakhine), en un territoire ouvert
sur le Golfe du Bengale. Ils constituent une des minorités dans ladite
province, face aux Arakanais (bouddhistes) majoritaires.
Minorité ethnique, les Rohingyas sont aussi une minorité
religieuse en ceci qu’ils sont musulmans. C’est là qu’intervient l’approche
idéologique du conflit (dont nous parlions au préambule), c’est là que les
faits sont travestis, que s’ouvre le Story telling. Alors que l’on nous
présente le conflit sous un angle exclusivement religieux (gentils musulmans
contre méchants bouddhistes), nous pourrions dire en utilisant un terme de
juriste, que l’Islam n’est en définitive pas le « fait générateur »
du conflit. En effet, il y a d’autres fortes minorités musulmanes au
Myanmar : il y a ceux d’origine indienne et ceux d’origine chinoise (Panthays). Or, que
constate-t-on ? Que ces deux autres minorités musulmanes du Myanmar n’ont
aucun souci d’intégration et qu’elles ne font pas l’objet de discrimination et
de mépris de la part du pouvoir et/ou de la population du Myanmar, qu’il n’y a
pas de conflit de la nature dont sont partie prenante les Rohingyas. Ainsi,
présenter ce qui s’y passe sous l’angle d’une minorité musulmane opprimée du
fait seul qu’elle professe l’Islam ne tient pas la route. Par contre, ceux qui
ont un intérêt particulier à ce que le conflit soit perçu de la sorte sont les
idéologues : les islamistes et les mondialistes.
Les islamistes
Les premiers idéologues sont les islamistes, qu’ils soient
locaux (Rohingyas, Bangalais), régionaux (du Sud de la Thaïlande, de Malaisie,
des Philippines et d’Indonésie) et aussi bien sûr, ceux de la mouvance
islamique pro-califat (Al-Qaida, Etat Islamique, Hizb-ut-Tahrir, etc.). Par la mise en avant de cette posture victimaire, « les » musulmans n’apparaissant plus
médiatiquement avec le label « barbares terroristes »,
« oppresseurs » et « sanguinaires » mais comme des
opprimés, un statut privilégié qui apitoie l’opinion et exonère de toute
analyse (5), tant l’émotion tue la raison. De plus, en appeler à l’action des
musulmans du monde contre les responsables au pouvoir à Naypyidaw, permet à ces
idéologues non seulement de permettre l’ouverture d’un nouveau foyer-creuset
pour combattants jihadistes, mais encore de mobiliser les musulmans du monde (la Oumma) face à l’ennemi impie en une cause transnationale, globale.
Soulignons que dans ce conflit, les armes ne sont pas que
d’un seul côté. Les Rohingyas ne sont pas que des victimes, tuant et détruisant
eux aussi ; et ce, avec autant de sauvagerie, de haine que les extrémistes
birmans bouddhistes, civils ou militaires. Les Rohingyas ne sont pas épars et
sans structures combattantes. Ils ont des groupes armés, mobiles et entraînés, dont le Harakah al-Yaqin qui se fait appeler Arakan Rohingya Salvation Army (ARSA) lorsqu'il communique avec des journalistes occidentaux.
Enfin, ce conflit n’est pas circonscrit aux seules limites du territoire birman
de l’Arakan. Un certain
nombre de combattants Rohingyas sont des jihadistes militants, en liaison
étroite avec le Harakat al Jihad al Islami du Bengladesh voisin, ayant été
entraînés par l’ISI (les Services pakistanais), souvent passés par les
madrassas pakistanaises et ayant connu le théâtre afghan. Des liens ont été
observés, par ailleurs, notamment entre les insurgés des trois provinces du Sud
thaïlandais et les musulmans birmans des organisations Rohingya Solidarity
Organization (RSO), Arakan Rohingya Islamic Front (ARIF)
et de l’Arakan Rohingya National Organization (ARNO).
Il est à noter, au passage, que la plupart de ces groupes islamistes armés ont
leur siège au Bengladesh et qu’ils bénéficient de la bienveillance des
Etats-Unis et de la Grande Bretagne.
Les mondialistes
Les autres idéologues sont les mondialistes. Ces derniers utilisent,
eux, un autre ressort idéologique : les « droits de l’Homme »,
ceci pour de simples mais colossaux intérêts financiers. Ces mondialistes appartiennent
à deux groupes qui ne sont pas sans liens : des intérêts privés et des
intérêts étatiques. Les premiers étant de grands groupes pétroliers
(notamment britanniques et américains, tels Exxon, British Petroleum, mais aussi Shell, etc.). En effet,
on constate que le groupe Total présent au Myanmar depuis 1992, subit depuis
deux décennies des attaques incessantes via des ONG anglo-saxonnes, des
organisations « humanitaires » poussées et financées par les
groupes pétroliers ; le but de ces actions aux paravents « droits de
l’hommistes » étant d'accuser le groupe français de "collusion avec le régime birman sanguinaire" et ainsi d’évincer au final Total de sa licence d’exploitation des
ressources en hydrocarbure (gaz et pétrole) au Myanmar et en particulier du
champ gazier off shore de Yadana (dont Total est opérateur à hauteur de 31,2 %)(6),
une éviction qui se ferait au profit de ses concurrents (7).
Les autres mondialistes étant les Etats-Unis dans une action visant non pas Naypyidaw directement en tant que tel, mais bien plutôt la Chine, pilier du régime birman, en un jeu de billard à plusieurs bandes. Rappelons qu’un pipe-line a été construit, reliant le Yunan (Kunming) aux rives du Golfe du Bengale (port de Kyaukphyu, dans la province de l’Arakan) ; un pipe-line financé par les Chinois et qui compte beaucoup en tant que voie d’acheminement énergétique pour Pékin. Il est aisé de comprendre que des troubles dans la région, un conflit armé et un pipe-line endommagé et/ou rendu inopérant, un pays (le Myanmar) mis au ban des nations pour ses exactions directes ou indirectes sur une partie de sa population, gênerait la République Populaire de Chine (8).
Les autres mondialistes étant les Etats-Unis dans une action visant non pas Naypyidaw directement en tant que tel, mais bien plutôt la Chine, pilier du régime birman, en un jeu de billard à plusieurs bandes. Rappelons qu’un pipe-line a été construit, reliant le Yunan (Kunming) aux rives du Golfe du Bengale (port de Kyaukphyu, dans la province de l’Arakan) ; un pipe-line financé par les Chinois et qui compte beaucoup en tant que voie d’acheminement énergétique pour Pékin. Il est aisé de comprendre que des troubles dans la région, un conflit armé et un pipe-line endommagé et/ou rendu inopérant, un pays (le Myanmar) mis au ban des nations pour ses exactions directes ou indirectes sur une partie de sa population, gênerait la République Populaire de Chine (8).
Un plate-forme gazière exploitée par Total sur le champ de Yadana, blocs M5-M6
*
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Ces deux types d’idéologues, par delà leurs motivations
respectives, ne peuvent donc qu’applaudir si ce n’est pousser à la mise en
avant de ce conflit (au détriment d’autres sur la planète), car pour l’un, il
mobilise au niveau mondial non seulement la Oumma, mais la tendance islamiste
radicale et jihadiste en un nouvel abcès de fixation et de trouble régional ;
et pour l’autre, il permet d’avancer des
intérêts économiques et de déstabiliser un rival de poids, ceci par le biais
d’organisations relais aux intentions « humanistes » qu’ils financent
et qu’ils manipulent (9).
Jusqu’à lors louée par les capitales occidentales, Aung San Suu Kyi se voit reprocher aujourd’hui de ne rien dire sur ce conflit. Il faut dire que l’ancienne égérie des mondialistes - coqueluche des droits de l’hommistes, enfant chérie de l'hyper-classe et lauréate du Prix Nobel de la Paix - qui avait été utilisée pour diminuer le pouvoir de la junte dans les années 1990-2010, étant Birmane et bouddhiste ne peut se désolidariser de la majorité de son peuple composé à 88 % de bouddhistes. Par ailleurs, elle sait l’importance de Pékin et de l’aspect vital du pipe-line chinois. Elle mesure également l’influence au sein de la population des bouddhistes nationalistes, qu’ils soient du Mouvement 969 du moine Ashin Wirathu ou de la Fondation Philanthropique Buddha Dhamma dirigée par le moine Tilawka Biwuntha. Ainsi, Aung San ne défendra-t-elle jamais la cause des Rohingyas et son éclat d’icône de la démocratie bâtie dans les années 90 sera vraisemblablement de plus en plus terni dans les médias mainstream. Il est donc fort à craindre que ces affrontements ne cessent, compte-tenu du fait qu’ils sont nourris et souhaités tant en interne, par des extrémistes bouddhistes et militaires ainsi que des Rohingyas, qu’à l’extérieur du pays par des idéologues islamistes et mondialistes.
Notes :
Notes :
(*) Comprenons-le bien, le terme « Rohingyas » est ici utilisé pour des raisons de pure commodité langagière. En effet, il n'y a pas de « Rohingyas » en Birmanie dans la région traitée dans cet article, mais des musulmans de l'Arakan et que les Birmans dénomment "Bengalis".
(1) Les Origines intellectuelles du léninisme, éd. Calmann-Lévy, 1977.
(2) Sociologie du communisme, échec d'une tentative
religieuse au XXe siècle, Paris, éd. Libres-Hallier, 1979.
(3) Officiellement, il y en a 135.
(4) L’ancienne capitale, Rangoun demeurant néanmoins capitale économique.
(5) On lira avec intérêt le livre de François Thual, Les
conflicts identitaires, éd. Ellipses, 1995.
(6) Lire : http://www.total.com/fr/medias/actualite/communiques/myanmar-total-met-en-production-le-projet-gazier-badamyar?xtmc=exploration%20production%20myanmar&xtnp=1&xtcr=3
(7) Cf.
l’étude faite par Eric Denécé, directeur du Centre Français de Recherche sur le
Renseignement, sur le sujet de ces ONG en Birmanie
(http://www.cf2r.org/fr/editorial-eric-denece.php).
(8) Le pipe-line pourra approvisionner en pétrole brut la République Populaire de Chine à hauteur de 6% du total de ses importations. Le transport de gaz est, lui, déjà opérationnel. (Cf. https://www.ft.com/content/21d5f650-1e6a-11e7-a454-ab04428977f9)
(8) Le pipe-line pourra approvisionner en pétrole brut la République Populaire de Chine à hauteur de 6% du total de ses importations. Le transport de gaz est, lui, déjà opérationnel. (Cf. https://www.ft.com/content/21d5f650-1e6a-11e7-a454-ab04428977f9)
(9) Cette instrumentalisation d’idiots utiles en arrive à
un tel point que l’on devrait requalifier certaines ONG en GONG, des
Governemental ONG, comme le dirait Eric Denécé.
Iconographie :
Ma-Ba-Tha
http://www.freemalaysiatoday.com/category/world/2017/05/27/myanmars-hardline-monks-gather-despite-ban/
Manifestation Islam Pro-Rohingyas
http://www.newagebd.net/article/3532/atrocities-on-rohingyas-protests-rage-across-asia
Yadana blocs M5-M6
http://www.total.com/fr/news/total-au-myanmar-un-developpement-continu
Conseiller d’Etat Aung San Suuu Kyi et Premier Ministre Xi
Jinping
https://www.voanews.com/a/chinese-burmese-leaders-look-to-strengthen-ties/3471814.html
Excellent article, merci!
RépondreSupprimerExcellent article qui nous change de la bouillie médiatique actuelle sur le sujet. Permettez-moi de le reprendre sur mon blog, en vous citant, bien évidemment.
RépondreSupprimerCdlt,
Je vous en prie. Avec plaisir.
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