5 septembre 2019

Kesari

En France et en Europe, peu de films indiens parviennent dans les salles, hormis quelques rares exceptions ; on se souvient de Mother India (1957), de Salaam Bombay (1988) et de Lagaan (2001). L’on sait pourtant que le cinéma indien est le plus productif au monde. L’argument souvent avancé pour justifier ce déficit de représentation est le trop grand décalage culturel entre l’Inde et l’Europe en général. Ce n’est certes pas un argument totalement dénué de sens. Toutefois, certains de ces films mériteraient largement d’être diffusé car ils véhiculent, sur le fond, un message à portée universelle.


L'affiche du film Kesari.

C’est le cas avec le film d’Anurag Singh, Kesari, sorti en mars 2019. Neuvième film du réalisateur, Kesari est un immense succès en Inde, mais il n’est pas connu en France à ce jour. 


Le réalisateur Anurag Singh.

C'est un film historique, épique, relatant le combat mené par une section du 36ème  Régiment Sikh de l’Armée Britannique en Inde (British Indian Army). Ce combat eut lieu le 12 septembre 1897, dans un affrontement entre l’armée coloniale Britannique et les tribus essentiellement Pachtounes de l’Ouest de l’Empire (aujourd’hui Pakistan et Afghanistan). Vingt et un soldats du 36ème Sikh, stationnés dans le fort de Saragarhi, feront ainsi face héroïquement à plus de dix mille Pachtounes. 


Soldats du 36ème Sikh du Fort de Gulistan,
un des trois forts avec celui de Saragarhi et de Lockhart.

Sous les ordres d’un sous-officier Sikh, le Sergent (Havaldar) Ishar Singh, les valeureux soldats se battront jusqu’au dernier face aux assauts répétés des hordes tribales venues de l’Ouest et du Nord. Leur sacrifice est toujours honoré aujourd’hui et leur mémoire ravivée notamment par deux monuments commémorant la bataille. Cette bataille est une sorte de Camerone [1] pour les Indiens ; le symbole du sacrifice militaire, du dévouement.


Les 21 valeureux du 36ème Sikh autour de leur chef Ishar Singh (tiré du film).

Le film Kesari retrace ce combat au travers du héros, le Sergent Ishar Singh. On le suit quelques temps avant son affectation au Fort de Saragarhi [2], l’on assiste à son retour dans son village pour une permission durant laquelle il rencontre celle qui deviendra sa femme, avant de reprendre le sac et rejoindre ce qui sera son dernier poste. 


Ishar Singh sur la route vers le fort de Saragarhi.

Arrivé au Fort, il fait connaissance avec les soldats dont il aura la charge. La prise en main de cette troupe ne se fera pas sans quelques difficultés, tant le Sergent cherche à redonner une discipline militaire aux soldats jusqu’à lors quelque peu désœuvrés dans ce Fort où il ne se passait pas grand’chose. Grâce au charisme et à l’entrain du Sergent, la section formera bientôt corps, redevenant une troupe de vrais soldats ; cette reprise en main arrive à point nommé, sachant que bientôt la menace des tribus Pachtounes gronde jusqu’à ce qu’elle prenne forme et éclate. La dernière partie du film relate ce combat, on ne peut plus asymétrique, qui se terminera par la prise du Fort et l’anéantissement des valeureux du 36ème Sikh.


Explosion au sein des assaillants Pachtounes.

Kesari est un film épique, réalisé avec de grands moyens et virtuosité. Nous y apprécions tout à la fois les paysages grandioses de ces contrées aux marches de l’Empire des Indes, que les portraits subtils des différents protagonistes. Bien entendu, la part belle est celle faite au Sergent Ishar Singh. Vrai meneur d’hommes, son allure est martiale, son visage exprimant une détermination dans faille, Ishar Singh est surtout une personne dotée d’une Foi inébranlable et profonde. 



Ishar Singh (joué par l'acteur Akshay Kumar),
arborant le Nishan Sahib.

Le Sikhisme ainsi que ses symboles sont bien mis en avant tout le long du film, montrant bien que, sans religion, sans Dieu (ici Gurus) l’Homme n’est rien. Turban couleur safran [3] (Keseri) et son anneau d’acier circulaire bien fixé (Chakkar), petit fanion triangulaire safran (Nishan Sahib) marqué du khaṇḍā , le symbole religieux sikh [4], tambour traditionnel (dhol), bref, autant d’éléments marqueurs face aux Pachtounes musulmans et jihadistes, dépeints comme autant de guerriers brutaux et cruels dans l’ensemble, comme le vil Gul Badshah Khan. On ne peut pas ici, ne pas penser à ce qui se passe en Inde depuis une dizaine d'années, à savoir au retour du nationalisme indien, et aux valeurs traditionnelles, à l'Hindutva [5], ce concept définissant ce qui est hindou, ce qui est indien.


Gul Badshah Khan, joué par l'acteur indien Ashwath Bhatt.

Notons que les Pachtounes ne sont pas tous dépeints négativement. La nuance est un des éléments constants du film. Ainsi, un des chefs musulmans (Khan Masud) est-il présenté comme un guerrier fier et noble, à l'instar d'un Achmad Shah Massoud (lui Tadjik, en l’occurrence). Cette coïncidence patronymique n'étant d'ailleurs pas forcément fortuite.

Si le film diffère quelque peu de la réalité historique, avec quelques éléments rajoutés ou modifiés par rapport aux faits [6], la trame de fond  reste largement conforme à ce qui s'est passé lors de cette bataille.  Par ailleurs, comme dans la plupart des films indiens, quelques séquences musicales viennent ponctuer judicieusement et agréablement la projection. Le film n'est pas exempt d'humour également, ce qui ne gâche rien ; il nous rend d'autant plus attachant les protagonistes du Fort. 


Le Sergent Ishar Singh (Akshay Kumar) et sa femme Parineeti Chopra (Jivani Kaur).

Kesari, au travers des différentes séquences et anecdotes, nous dépeint des hommes valeureux, dévoués, un chef plein d’humanité et de détermination. Il nous dépeint des valeurs telles que la noblesse d’âme, l’abnégation, le don de soi pour « la plus grande gloire de Dieu », pourrait-on dire, et la défense de sa communauté d’appartenance, sans oublier l’honneur du 36ème Sikh ; autant de valeurs traditionnelles que celles du don de soi pour la défense de sa Foi, des siens, de son territoire. Bref, Kesari est un film qui nous montre la grandeur de l’Homme et sa possibilité ; un film remarquable, bien réalisé, d’une portée universelle et qui mérite donc notre attention.

Déplorons ici que ce film ne soit pas distribué et projeté en France car il mériterait une audience française. Il est bien malheureux que l'on ne trouve pas un producteur pour ce faire. Mais ne désespérons pas, la chose pourrait, pourquoi pas, se réaliser.


Guerrier Sikh contemporain
(ordre des Nihang, sorte de moines guerriers)

Post-scriptum :

On pourra voir la bande annonce de ce film à cette adresse :
https://www.youtube.com/watch?v=JFP24D15_XM

Pour les musiques du film, on se rendra à cette adresse :
https://www.youtube.com/watch?v=KQ7FTytpGPk

Le khaṇḍā, symbole religieux sikh.

Notes :

[1] Camerone est LA bataille de la Légion Étrangère, laquelle se déroula au Mexique, mettant en scène 62 légionnaires face à 2 000 soldats mexicains. Elle se déroula le 30 avril 1863.
[2] situé aujourd’hui à Khyber Pakhtunkhwa, au Pakistan.
[3] la couleur safran est, dans le sikhisme, la couleur du sacrifice, de la valeur.
[4] l'équivalent de la croix pour le christianisme.
[5] Ce concept d'Hindutva - qui ne se limite en rien à la religion hindoue - a été crée au début des années 1920 par Veer Savarkar, un homme politique indien nationaliste. L'Hindutva promeut, entre autres choses, le mode de vie et la culture indienne, son ethos. Les Sikhs sont, bien entendu, partie intégrante de l'Hindutva.
[6] comme la trêve et les pourparlers (les hommes du 36ème Sikh ne sont jamais sortis du Fort) ou encore l'affectation d'Ishar Singh au Fort de Saragarhi comme punition suite à un acte d'insubordination (cela n'a jamais été le cas) ; l'indiscipline des soldats du Fort avant l'arrivée du Sergent (tel n'était pas le cas) ; les combats hors du Fort (aucun des soldats n'est sorti pendant les 6 heures et demie que dura la bataille). Mais cela ne relève-t-il pas de la licence poétique ?

Iconographie :

Soldats du 36ème Sikh du Fort Gulistan : http://sikhhistoryblog.blogspot.com/2016/09 

Guerrier Sikh contemporain : 
https://potd.pdnonline.com/wp-content/uploads/2014/05/mark-hartman-nihang-sikhs-01-715x716.jpg