15 février 2012

La France perd 6 000 km² de territoire

A huit mille kilomètres de la métropole, la Guyane française. Région administrative, la Guyane est également le plus grand département français, avec un peu plus de 83 000 km².

La Guyane est bordée sur le flanc Est et Sud par le Brésil, pays avec lequel elle partage près de 730 kilomètres de frontière ; sur le flanc Ouest, la Guyane est flanquée par le Surinam, sur  plus de 500 kilomètres de frontière.

Si la frontière avec le Brésil est à présent fixée et reconnue par les deux parties et internationalement (1), celle du Surinam ne l’est pas du tout. Qui plus est, dans les cartes officielles du Suriname, une large portion de territoire français (2) est tout simplement annexée.


Blason de la Guyane française

La France ne semble pas réagir outre mesure, laissant les surinamiens revendiquer et fixer indûment une frontière qui entame sérieusement notre Guyane. Est-ce un argument que de faire aussi peu de cas d’une large portion du territoire national sous le prétexte que peu d’habitants y résident et que les enjeux ne sont pas importants ?

Il s’agit d’une question d’histoire, de géographie, certes, mais aussi de principes.

Le Suriname est devenu indépendant le 25 novembre 1975. Avant cette date, c’était un territoire colonial hollandais. C’est d’ailleurs avec ce pays que la France a cherché à délimiter les frontières exactes et ce depuis le dix-septième siècle. (3) En août 1939, les deux pays étaient d’accord sur le tracé. Toutefois, la rédaction définitive du projet de convention fut remise au ministère des Pays-Bas à Paris le 6 avril 1940 ; mais du fait de la guerre, cet accord ne fut jamais ratifié et l’on ne parla alors plus de cette frontière. Ce n’est qu’en novembre 1975 que sera signé à La Haye, un Protocole de conclusions et recommandations entre les délégations de deux pays (4). Ce document reprenait en grande partie les travaux d’avant-guerre, avec quelques modifications sur le point de tri-jonction Guyane hollandaise/Guyane française/Brésil.

C’est avec l’indépendance du Surinam, qu’advient la perte de territoire notée plus haut. Il y a bien eu, en février 1977, un projet de convention entre la France et le Surinam ; mais celui-ci ne fut jamais signé par les négociateurs et il reste encore aujourd’hui le dernier acte passé entre les deux pays.


L’annexion

Profitant de ce flou juridique, le Surinam a modifié unilatéralement sa frontière Sud avec la Guyane - d’Antécume Pata (5) à la rivière Marouini - avançant ainsi de plus de soixante kilomètres vers l’Est, amputant de facto pas loin de 6 000 kilomètres carré de territoire à la France.

Sur la question des principes à présent, l’on peut légitiment se demander ce que font les autorités françaises depuis plus de trente ans pour affirmer ses droits sur cette portion de  territoire national. Celui-ci est à juste titre et incontestablement un « territoire perdu de la République ». Rien n’a été fait pour faire valoir les droits de la France tant vis-à-vis des autorités de Paramaribo (la capitale du Surinam) qu’auprès des organisations internationales.


Ainsi, le temps passe, les pratiques s’instaurent et la carte officielle du Surinam avec ses tracés frauduleux ne sont pas contestés par la France. N’oublions pas que dans les instances internationales, le droit qui prévaut est plutôt de type anglo-saxon, ce qui veut dire, en l’occurrence, que pour les autorités de la justice internationale (ICJ) - si tant est que cette question était portée devant cette cour - le temps, l’usage et le fait seront autant d’arguments en faveur du Surinam qui pourrait donc, en définitive, avoir gain de cause.

Le grand silence français

Le silence et le laisser-faire, en matière de litige frontalier, sont-elles vraiment les bonnes tactiques, on peut en douter. Mais personne ne s’émeut en France de ce problème, personne ne relève officiellement la chose et le temps joue contre nos intérêts...

Alors que les élections présidentielles françaises ne sont plus loin maintenant, il serait fort à propos que nos valeureux candidats s’inquiètent de cette question d’intérêt national, s’emparent de ce problème et tentent de le régler définitivement en faisant valoir notre droit et nos principes.

 

 NB : Les propos tenus ici n’engagent, bien entendu, que l’auteur.

Notes :
(1) Avec le Brésil, la France a renoncé à la frontière originelle de l’Orénoque après moult péripéties et négligence aussi, faut-il le rappeler. Mais tel n’est pas notre sujet.
(2) une superficie approchant les 6 000 km², soit l’équivalent du département de l’Eure.
(3) Soulignons que les concessions accordées par Louis XIII à la Compagnie de Rouen, et en 1663 par Louis XIV à la Compagnie de la France Equinoxale, vont de l’Orénoque à l’Amazone. En 1689, lors d’une guerre avec les Hollandais, la frontière est alors considérée sur le Maroni. Moins d’un siècle plus tard, en 1770, un traité d’extradition réciproque des noirs marrons (les nègres-marrons), confirme le choix du Maroni, la France renonçant officiellement et définitivement à l’Orénoque.
(4) Cf. Les frontières de la Guyane, pp.5-9. Pierre Frenay, IGN Paris, mars 1993.
(4) le village fondé par le célèbre André Cognat, lyonnais, indien d’adoption et chef coutumier.

Références :
On pourra se rapporter notamment aux ouvrages de l’ingénieur géographe Jean Hurault sur la Guyane, dont Le contesté du Maroni entre la Guyane Française et le Suriname, IGN Paris 1953 ; ainsi qu’au fascicule Sur la frontière Guyane-Brésil 1956-1961-1962-1991, Cahier Historique n°5, IGN, janvier 2005, établi par les ingénieurs géographes Pierre Frenay et Jean Hurault.


Carte : Cf. carte de la Guyane (Janvier 2009) réalisée par la Division géographique de la direction des Archives du ministère des Affaires étrangères et européennes. Les modifications, dont  le contesté frontalier avec le Suriname, sont de l'auteur de ces lignes.

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