Un rapport de l'OTAN, présenté comme secret, en date du 6 janvier 2012, et intitulé « State of the Taliban – Detainee perspectives » fait couler beaucoup d’encre.
Il a été établi suite à 27 000 interrogatoires menés sur près de 4 000 détenus talibans ou combattants étrangers pris les armes à la main, voire simplement de civils. Ce rapport fait état, entre autres choses : des liens étroits entre les combattants talibans d’Afghanistan avec les services de renseignement et d’action pakistanais, l’Inter-Service-Intelligence (ISI), du fait que cette dernière sait exactement où se trouvent les chefs Taliban, les manipule à son gré, sans que lesdits talibans n’aient d’autres interlocuteurs et donc de marge de manœuvre ; ce document révèle aussi le soutien très étendu (profond) dont les Talibans afghans bénéficient auprès de la population afghane.
Le rapport en question a « fuité », fortuitement, et il a atterri sur les bureaux de journalistes de la BBC ; ces derniers l’ont, bien entendu, commenté et cité assez abondement sur leur site (1), déclenchant, par caisse de résonance, une cascade d’articles, de commentaires dans les médias du monde entier.
Mais que nous apprend ce document ? Rien que nous ne connaissions déjà depuis dix ans ! On se demande donc pourquoi avoir estampillé « Secret » ce rapport, et l’avoir fait « fuiter », tel un document rare. Mais, comme le disait Leibnitz, nihil est sine ratione, rien n'est sans raison. La chose est donc mise en scène et elle semble un moyen de mettre – une fois de plus – les pakistanais face à leurs responsabilités, sans pour autant accuser ce pays de front. Depuis dix ans au moins nous connaissons le trouble-jeu des pakistanais dans l’affaire afghane (2), et l'on ne voit donc pas a priori l’impact que va avoir un énième rapport, une énième étude, sur les liens existants entre l’ISI et l’insurrection talibane contre Kaboul.
Vraisemblablement, avec ce rapport « secret », largement commenté dans la presse, il s’agit pour les États-Unis d’agir sur les pakistanais afin que ces derniers ne soient plus seuls à « traiter » (3) les chefs Taliban, sachant que les américains cherchent à mettre en place un accord avec eux dans la perspective non seulement d'un retrait total des troupes de l'OTAN prévu pour 2013, mais encore pour reprendre les discussions, avec les Taliban, en vue d'un accord sur la construction d'un pipe-line traversant l'Afghanistan du Nord au Sud, pour acheminer le pétrole de la mer Caspienne vers les mers chaudes (ici, l'Océan Indien).
Ce n’est plus un secret : le Président Karzaï n’est plus en odeur de sainteté à Washington depuis qu’il a fait montre d’indépendance et surtout depuis que les américains savent que la République Islamique d’Afghanistan n’est pas viable, fiable, qu’elle n’a aucune légitimité, ni perspective d’avenir, qu’elle est corrompue, qu’elle fait du favoritisme ethnique, qu’elle n’a que peu de contacts avec les chefs tribaux (Malik) et les religieux locaux (Mollah) ; d'aucuns disent d'ailleurs du Président Karzaï, qu'il n'est que le « maire de Kaboul » (4). Depuis l’arrivée d’Obama au pouvoir en novembre 2008, la décision a rapidement été prise de penser un « après-Karzaï », de négocier avec les Taliban, et de voir avec eux les possibilités et conditions d’une paix en Afghanistan et aussi de trouver des accords pour des activités commerciales (il leur faut contrer l'activisme chinois en matière de business; Pékin se faisant une spécialité d'investir économiquement les pays à risque, dont l'Afghanistan).
Ce document de l’OTAN (ISAF) dont on parle, poursuit donc différents buts :
1) Faire pression sur Islamabad.
2) Faire indirectement sentir aux autorités de Kaboul et à Hamid Karzaï en particulier, qu’ils ne sont plus légitimes ou reconnus comme tel par Washington.
3) Tenter d’opérer une scission entre les Taliban qui combattent sur le sol afghan et le comité central Taliban (la Shura centrale) basé à Quetta, au Pakistan.
Mais surtout envoyer un signe aux Taliban actifs en Afghanistan, ceux du "terrain", pour leur signaler :
1) que les États-Unis veulent négocier avec eux, et non pas avec les responsables membres de la Shura centrale manipulée par l’ISI.
2) qu’ils cherchent à desserrer l’étau de l’ISI et ses paravents, afin que ces chefs Taliban sur le terrain aient une autonomie la plus grande possible et soient en mesure d’entamer (avec les États-Unis) des négociations en pleine légitimité et liberté.
Notes :
(1) Cf. http://www.bbc.co.uk/news/world-asia-16821218
et http://www.bbc.co.uk/news/world-asia-16829368
(2) Cf. pour un écrit en Français, le chapitre de l'auteur de ces lignes, intitulé Le trouble jeu de l'Inter Services Intelligence, paru dans l’ouvrage collectif « Guerre secrète contre Al-Qaeda », aux éditions Ellipses (2001).
(3) Dans le vocabulaire du renseignement, une centrale est en relation avec des sources, des contacts par l’intermédiaire d’Officiers-traitants ; ces interlocuteurs sont ainsi « traités ».
(4) Cf. Epilogue Afghanistan and the Pax Americana, par Atiq Sarwari et Robert D. Crews, paru dans « The Taliban and the crisis of Afghanistan », Harvard University Press (2008), p.319.
(5) Cf. Démocratie, socialisme et théocratie, in « Le nouveau moyen âge », p.126. Ed. de L’Âge d'Homme (1985).
Iconographie :
http://www.bbc.co.uk/news/world-asia-16821218
Il a été établi suite à 27 000 interrogatoires menés sur près de 4 000 détenus talibans ou combattants étrangers pris les armes à la main, voire simplement de civils. Ce rapport fait état, entre autres choses : des liens étroits entre les combattants talibans d’Afghanistan avec les services de renseignement et d’action pakistanais, l’Inter-Service-Intelligence (ISI), du fait que cette dernière sait exactement où se trouvent les chefs Taliban, les manipule à son gré, sans que lesdits talibans n’aient d’autres interlocuteurs et donc de marge de manœuvre ; ce document révèle aussi le soutien très étendu (profond) dont les Talibans afghans bénéficient auprès de la population afghane.
Le rapport en question a « fuité », fortuitement, et il a atterri sur les bureaux de journalistes de la BBC ; ces derniers l’ont, bien entendu, commenté et cité assez abondement sur leur site (1), déclenchant, par caisse de résonance, une cascade d’articles, de commentaires dans les médias du monde entier.
Mais que nous apprend ce document ? Rien que nous ne connaissions déjà depuis dix ans ! On se demande donc pourquoi avoir estampillé « Secret » ce rapport, et l’avoir fait « fuiter », tel un document rare. Mais, comme le disait Leibnitz, nihil est sine ratione, rien n'est sans raison. La chose est donc mise en scène et elle semble un moyen de mettre – une fois de plus – les pakistanais face à leurs responsabilités, sans pour autant accuser ce pays de front. Depuis dix ans au moins nous connaissons le trouble-jeu des pakistanais dans l’affaire afghane (2), et l'on ne voit donc pas a priori l’impact que va avoir un énième rapport, une énième étude, sur les liens existants entre l’ISI et l’insurrection talibane contre Kaboul.
Vraisemblablement, avec ce rapport « secret », largement commenté dans la presse, il s’agit pour les États-Unis d’agir sur les pakistanais afin que ces derniers ne soient plus seuls à « traiter » (3) les chefs Taliban, sachant que les américains cherchent à mettre en place un accord avec eux dans la perspective non seulement d'un retrait total des troupes de l'OTAN prévu pour 2013, mais encore pour reprendre les discussions, avec les Taliban, en vue d'un accord sur la construction d'un pipe-line traversant l'Afghanistan du Nord au Sud, pour acheminer le pétrole de la mer Caspienne vers les mers chaudes (ici, l'Océan Indien).
Ce document de l’OTAN (ISAF) dont on parle, poursuit donc différents buts :
1) Faire pression sur Islamabad.
2) Faire indirectement sentir aux autorités de Kaboul et à Hamid Karzaï en particulier, qu’ils ne sont plus légitimes ou reconnus comme tel par Washington.
3) Tenter d’opérer une scission entre les Taliban qui combattent sur le sol afghan et le comité central Taliban (la Shura centrale) basé à Quetta, au Pakistan.
Mais surtout envoyer un signe aux Taliban actifs en Afghanistan, ceux du "terrain", pour leur signaler :
1) que les États-Unis veulent négocier avec eux, et non pas avec les responsables membres de la Shura centrale manipulée par l’ISI.
2) qu’ils cherchent à desserrer l’étau de l’ISI et ses paravents, afin que ces chefs Taliban sur le terrain aient une autonomie la plus grande possible et soient en mesure d’entamer (avec les États-Unis) des négociations en pleine légitimité et liberté.
Le rapport « secret » de l’ISAF
Passent les rapports « secrets », demeurent les objectifs stratégiques. Les ressources en hydrocarbures n'ont pas fini de nourrir l'histoire contemporaine, du moins pour quelques temps encore, et d'autant plus que, comme le disait Nicolas Berdiaev, « l'âme reste l'âme ancienne du vieil Adam, pleine de cupidité, d'envie, d'animosité et de vengeance » (5).
Notes :
(1) Cf. http://www.bbc.co.uk/news/world-asia-16821218
et http://www.bbc.co.uk/news/world-asia-16829368
(2) Cf. pour un écrit en Français, le chapitre de l'auteur de ces lignes, intitulé Le trouble jeu de l'Inter Services Intelligence, paru dans l’ouvrage collectif « Guerre secrète contre Al-Qaeda », aux éditions Ellipses (2001).
(3) Dans le vocabulaire du renseignement, une centrale est en relation avec des sources, des contacts par l’intermédiaire d’Officiers-traitants ; ces interlocuteurs sont ainsi « traités ».
(4) Cf. Epilogue Afghanistan and the Pax Americana, par Atiq Sarwari et Robert D. Crews, paru dans « The Taliban and the crisis of Afghanistan », Harvard University Press (2008), p.319.
(5) Cf. Démocratie, socialisme et théocratie, in « Le nouveau moyen âge », p.126. Ed. de L’Âge d'Homme (1985).
Iconographie :
http://www.bbc.co.uk/news/world-asia-16821218
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