J’ai visionné, il y a quelques temps, un film réalisé par Christophe de Ponfilly, intitulé « l’Etoile du soldat ». Un film que son réalisateur n’a pas vu sur les écrans puisqu’il est malheureusement décédé le 16 mai 2006, peu de temps avant la sortie en salle, en novembre de cette même année.
L'affiche du film.
Le film relate les tribulations de Nicolaï (Sacha Bourdo), jeune chanteur de rock dans un petit groupe de musicien d'une ville de province. Nous sommes en 1984. Appelé au service militaire (deux ans tout de même !) Nicolaï se retrouve en Afghanistan comme tant d’autres soviétiques ; il y découvre la guerre, la violence, la mort.
Nicolaï prisonnier.
Un jour, au cours d’une patrouille dans un village de la vallée du Panchir, alors qu’il voulait cueillir des raisins dans la cour intérieure d'une maison, il est fait prisonnier par les Afghans ; il restera de longs mois chez les insurgés. Une chance pour lui, il est chez les Tadjiks, lesquels ne le maltraiteront pas.
Les Tadjiks, poètes guerriers (image du film); à gauche du musicien, Nicolaï.
Se liant d’amitié avec le Commandant Najmoudine, le chef du groupe de combat, ainsi qu’avec un poète guerrier, qui lui apprendra à jouer d’un instrument à corde local, Nicolaï s’acclimate peu à peu à cette nouvelle vie ; il suit les Mudjahidines dans leurs pérégrinations, leur quotidien, leurs combats - mais ne va tout de même pas jusqu’à tirer sur ses compatriotes. Nicolaï rencontre également un journaliste français, Vergos (Patrick Chauvel) ; le russe, qui a appris le français à l’école, est ravi de cette rencontre. Vergos qui accompagne les combattants afghans, capte sur ses pellicules les témoignages de cette guerre ; c’est lui le narrateur.
Barbu, chevelu, vêtu à l’afghane, méconnaissable, bien accepté parmi les Afghans, Nicolaï sera finalement libéré. Vergos, qui doit lui aussi quitter le territoire afghan pour témoigner avec ses films, accompagne Nicolaï vers la frontière pakistanaise.
Le film s’arrête alors que les deux étrangers sont à vue de la frontière orientale [1].
Nicolaï et Vergos.
« L’étoile du Soldat » est le seul film de fiction réalisé par Christophe de Ponfilly. Le sujet, il le connaît bien, lui qui a arpenté ces vallées rudes du Nord Est de l’Afghanistan comme reporter pendant de nombreuses années, et ce, dès 1981. Il est un des journalistes français qui a beaucoup fait pour porter à la connaissance du plus grand nombre la réalité de ce conflit, multipliant les reportages, les photos, les conférences de presse, les livres, etc. C’est d’ailleurs grâce à Christophe de Ponfilly et à ses reportages que nous connaissons bien le Commandant Massoud. Grâce à ses films, Ponfilly a fait connaître le conflit afghan en France et ailleurs dans le monde.
Le Lion du Panshir, Achmad Shah Massoud.
Cependant, avec le recul, surtout quand on voit ce qui se passe aujourd’hui en Afghanistan, on peut se demander si cela a servi à quelque chose. Christophe de Ponfilly s’est donné beaucoup de mal et n’a pas vraiment été entendu par les politiques, malgré un succès pour ses reportages. Ce silence et l'inaction de ces politiques blessa fortement le réalisateur. De plus, il a eu des difficultés à surmonter le décès brutal de Massoud, son ami. C'est peut-être la raison pour laquelle il a voulu s’attaquer, dans sa dernière oeuvre, à une fiction pour faire partager autrement son sentiment sur ce conflit, sa vision du monde.
Le film a été tourné sur place, dans la vallée du Panchir, avec des Afghans, des Tadjiks. Tous ces ingrédients font que le film sonne « vrai ». Certes, ce n’est pas un film hollywoodien, avec des moyens extraordinaires. Non, c’est un film simple, authentique ; d’aucuns, il est vrai, ont pu se plaindre du manque de maîtrise dans la réalisation de certaines scènes d’action. Reste que c’est un film juste, relatant le combat mené par ces hommes du Nord-Est de l’Afghanistan.
Christophe de Ponfilly avec un de ses acteurs sur le tournage du film.
Auprès de ces Tadjiks combattants, nous sommes loin des « islamistes », des radicaux, de ceux que les hommes de Massoud appelaient eux-mêmes, non sans un certain mépris d'ailleurs, des « arabes ». Les combattants de la vallée de Panchir déploraient le fait que les armes qui remplissaient les râteliers des islamistes les plus radicaux, fussent d'origine américaine. Ces armes étaient amenées clandestinement via le Pakistan et ses Services (l’Inter Services Intelligence, l'ISI) – avec l’appui du fameux Charlie Wilson, membre de la commission du budget de la Défense américain (décédé le 10 février 2010, d’ailleurs) et acteur clef de l'Opération cyclone [2].
L'inénarrable Charlie Wilson...
Les hommes du Commandant Massoud n’ont pas bénéficié de cette manne, eux. Pourquoi ? Trop… nationalistes, peut-être ? Pas assez manipulables ? Il n’en demeure pas moins que ce sont bien les Etats-Unis qui ont armé les islamistes et les plus radicaux, de surcroit ; les plus puritains de ces islamistes partageaient ainsi quelques « affinités électives » avec les puritains protestants américains. On connaît la suite...
Quand les Talibans sont arrivés au pouvoir, cela n’a dérangé personne ; à commencer par les Etats-Unis eux-mêmes. Les médias parlaient, certes, de ces Talibans au pouvoir, mais sans plus. D’aucuns louaient les actions menées par les nouveau maîtres de Kaboul contre les cultures de chanvre. Le pavot, lui, continuait de pousser. Il est même entré dans une stratégie antioccidentale (« pourrir les occidentaux infidèles avec la drogue »).
Curieusement, ce n’est que lorsque les Talibans - après avoir repoussé à plusieurs reprises différentes propositions - ont finalement refusé catégoriquement de signer avec les entreprises américaines un contrat pour la construction de pipe-lines acheminant le pétrole de la Mer Caspienne vers l’océan Indien (via le Pakistan, province du Baloutchistan) que les talibans sont devenus « infréquentables », d’affreux « islamistes rétrogrades », marqués du sceau de l’infamie à l’échelle mondiale. La machine médiatique internationale se mettait en marche (cette avant-garde des troupes US et américanomorphes), disant là où était le bien, là où était le mal, ce qu’il fallait penser de la situation en Afghanistan, de la nécessité d’intervenir au plus tôt pour mettre fin à la barbarie, rétablir les Droits de l'Homme, etc.
Belle photo de Massoud par le photographe iranien Reza.
Massoud et ses hommes étaient de pieux musulmans ; cependant, la rigueur de le Foi ne les amenait pas à imposer au monde entier ce en quoi ils croyaient. Toutefois ils entendaient défendre avec ténacité leur terre, leurs coutumes, leurs familles, leur liberté. C'est pourquoi ils auraient d'ailleurs refusé eux-aussi de signer ce contrat touchant aux pipe-lines s’ils avaient été au pouvoir. De plus, ils n’auraient pas accepté une seconde de voir leur pays occupé par des militaires Otaniens, essentiellement états-uniens.
Massoud a été assassiné le 9 septembre 2001. Peu d’échos médiatiques sur cet assassinat facilité par le Pakistan et ses Services. Cela n’arrangeait pas seulement Islamabad que Massoud fut éliminé, mais Washington également...
Il y a deux belles étoiles de plus au ciel depuis ce temps ; celles de deux poètes, Massoud et Christophe de Ponfilly. Elles doivent être proches l’une de l’autre… Nous ne les oublierons pas.
Massoud et Christophe de Ponfilly
Notes :
[1] Christophe de Ponfilly s'est inspiré d'une histoire vraie. Massoud avait gardé un prisonnier russe avec lui un certain temps et il l'avait finalement libéré. Cependant, après avoir traversé la frontière afghane, alors qu'il était sur le territoire du Pakistan, ce russe fut tué. On peut voir d’ailleurs dans le générique de fin du film, quelques images de ce prisonnier alors avec Massoud, des images tirées d'un des documentaires de Christophe de Ponfilly.
Vous ne parlez pas du tout de Nikolaï dont le sort fut lui aussi tragique. Assassiné au Pakistan dès sa sortie d'Afghanistan... Ce pauvre jeune russe qui n'avait rien demandé à personne...
RépondreSupprimerDans ma note (1), je parle du vrai prisonnier qui a inspiré le personnage de Nicolaï et du sort fatal qui fut le sien une fois sur le sol pakistanais.
RépondreSupprimerChristophe de Ponfilly, qui avait magnifiquement narré la geste du Lion du Panshir, contre les soviétiques.
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