10 juillet 2012

Quelques réflexions sur la paix

« Une doctrine devient le plus utile dans la pratique,
plus elle facilite et simplifie la compréhension et l'analyse des faits. »
Gaetano Mosca, Elementi di scienza politica, Chap. XII, (1896).


Depuis le début des événements en Syrie, les médias nous rapportent les désirs de paix émanant des « Amis du peuple syrien ». Cependant, à y regarder de près, on se demande bien, d’une part, de quelle paix il peut bien s’agir, comment elle se construit et, d’autre part, qui sont vraiment ces « amis » et comment ils entendent le mot « peuple ».

Lorsque l’on veut aboutir à un accord de paix, les discussions et les tables rondes doivent nécessairement mettre en présence tous les acteurs en lisse, toutes les parties prenantes. Cela est logique, cela tombe sous le sens ; comme le disait Jacques Bainville dans son ouvrage magistral et visionnaire de 1920, dans ce processus qu’est la paix, il faut partir « de quelques principes tirés de l’expérience et du bon sens » (1) loin de toute approche technicienne, tant la politique est chose subtile. Une paix négociée se gagne, une paix négociée s’obtient uniquement de la sorte, par la confrontation dans un cadre diplomatique des parties, de toutes les parties, sous l’égide - si possible - d’un organisme international légitime, facilitateur et impartial. Le but de cette confrontation pacifique cette fois, étant de parvenir à la désescalade, par des mesures de renforcement de la confiance, de négociations, de pourparlers de paix. C’est en effet avec son ennemi que l’on fait la paix, pas entre soi !
Laurent Juppius et Alain Fabé
(ou l'inverse, tant leurs politiques sont siamoises)

La paix est un processus connu, éprouvé, à long terme, où il ne s’agit pas seulement de penser et de voir la fin du conflit, des hostilités, mais aussi de travailler à la réduction a minima de la possibilité de conflits futurs, tant une « mauvaise paix » est une « mécanique homicide » (Cf. Bainville), le germe d’une guerre future. On le sait, « dans les affaires humaines, la stabilité est artificielle et le changement naturel » (2). C’est pourquoi, parvenir à la paix n’est pas d’emblée chose aisée ; c’est une confrontation d’une autre nature que celle du conflit, exigeant une approche holistique, une intelligence politique, un recul historique, un éclairage sociologique, et non une posture partisane, des présupposés idéologiques, un esprit malveillant, un désir de vengeance.

Enfin, l’on peut se poser quelques questions au sujet de ces « Amis du peuple syrien ». Qui sont-ils ? Quels intérêts « profonds » défendent-ils ? Quelle idéologie les sous-tend ? Recherchent-ils vraiment la paix ou bien alors la victoire d’un camp sur un autre, ou encore la néantisation pure et simple de cet « autre » ? Pensent-ils vraiment à l’avenir de ce pays et à la sécurité future des composantes ethno-religieuses qui le composent, au vrai « Peuple syrien » en son ensemble ? Bref, ce sont des « amis » assez curieux, voire suspects.
Basilique de Saint Siméon, au Nord de la Syrie (*) ; 
au centre de la photo, l'endroit où se trouvait la colonne du stylite (Coll. pers.)

Lors des dernières réunions et conférences « internationales » sur la Syrie, que ce soit celle de Turquie ou celle de Paris récemment, les participants étaient tous du même camp, sans parvenir d’ailleurs à un accord, ce qui est assez paradoxal ! En fait, il n’y a pas UNE opposition au régime de Bashar Al-Assad, mais DES oppositions. Et non seulement ils ne s’entendent pas entre eux, s’entredéchirent mais, de plus, toutes les parties ne sont conviées à ces « conférences ». N’oublions pas que le régime de Bashar Al-Assad n’est pas monolithique et qu’il y a, en son sein, différentes composantes, avec des durs, des intransigeants mais aussi des franges ouvertes, raisonnables, disposées à la composition. Ainsi, à polariser le tableau, l’on ne fait qu’envenimer la situation, développer les facteurs belligènes, comme si la situation présente de guerre civile et ses (trop) nombreux morts ne suffisait pas. Résumer n’importe quel conflit à un affrontement entre bons d’un côté et les méchants de l’autre, c’est adopter une posture morale, subjective et par là même inopérante, invalide (invalidante) pour l’analyse objective des faits.

Toujours dans le crédit à accorder à ces Conférences des « Amis du peuple syrien »,  il ne faut pas oublier la non participation d’acteurs de poids, pourtant partie prenante et légitime, ni les exclusions de fait et absolument sans fondement de tel ou tel pays. Ce que l’on constate ces derniers temps, c’est qu’il n’y a plus de table de négociation mais des conférences d’exclusion (3). A Paris, par exemple, lors de la Conférences du 6 juillet dernier, l’on notait l’absence des représentants du gouvernement syrien, l’absence des représentants de l’ONU, de la Russie, de la Chine, de l’Iran. Cependant, rien de sérieux ni de concret n’en est sorti, si ce n’est la même rengaine, qui est l’objectif des résolus Frères Musulmans : le refus de toute négociation, le renversement de Bashar Al-Assad et une intervention armée extérieure menée - comme il se doit - par la fameuse « communauté internationale » (4).

Et quand Kofi Annan, l’émissaire international désigné pour résoudre le conflit, se rend à Damas le 9 juillet pour poursuivre les négociations en vue d’un accord de paix, les « Amis du peuple syrien  » font état de leur « malaise », expriment leur colère, crient au scandale et dénonce la démarche (5).

L’approche médiatique de l’affaire syrienne est totalement biaisée par des présupposés idéologiques, lesquels emboitent celles des partisans salafistes (et ses diverses composantes) à l’œuvre et à la manœuvre dans le conflit, avec la bénédiction du Qatar, de l’Arabie Saoudite, ces belles démocraties... Rappelons à toute fins utiles, que la seule source d’information utilisée par ces médias en question pour traiter la question syrienne (6), est l’OSDH, l’observatoire syrien des droits de l’homme, lequel assène ses chiffres sur les morts et les blessés, chiffres absolument invérifiables et surtout des chiffres qui ne précisent jamais qui est l’agresseur, l’agressé, le tueur et le tué - ou plutôt si, les tueurs sont toujours les autres. Cet OSDH qui est une officine dirigée depuis Londres par des Frères Musulmans, agit à l’instar des officines qui avaient œuvré en ex-Yougoslavie, en Irak et ailleurs, tel un parfait bureau de propagande et de désinformation. Juste un point, à titre d'exemple ; non seulement les partisans de l'ASL tuent mais ils martyrisent, mutilent, torturent. Cela n'est jamais rapporté par les médias dominants car l'ASL est dans le camp des "gentils". Oui, toutes les vérités syriennes ne sont pas toutes bonnes à dire, pour paraphraser le titre d’un ouvrage écrit par un journaliste de télévision à propos de l’ex-Yougoslavie (7).

***

Les mensonges au sujet de la "révolution roumaine" (comme les "charniers" de Timisoara), les mensonges de la guerre pour la libération du Koweït (comme la fable des couveuses détruites par la soldatesques irakienne), les mensonges de la guerre d’Irak (comme les armes de destruction massives - toujours introuvables d'ailleurs...), les mensonges de la guerre en ex-Yougoslavie (avec les "méchants serbes" martyrisant les "gentils kossovars") et tous les autres mensonges, n’ont-ils pas suffit pour comprendre qu’en temps de conflit la moraline coule encore plus à flot que de coutume dans les médias ? que l’information est propagande ? que le vocabulaire y est pervers ? que les images sont travesties ? que des forces - jamais nommées, ni présentées - jouent en profondeurs pour défendre et promouvoir leurs intérêts idéologiques et financiers ?  Comment encore être dupe ?

Que ceux qui ont des yeux voient !

Notes :

(1) Jacques Bainville, Les conséquences politiques de la paix, utilement réédité aux éditions Godefroy de Bouillon en 1996 (http://www.amazon.fr/cons%C3%A9quences-politiques-paix-Jacques-Bainville/dp/2841910229).
(2) Cf. Gaetano Mosca, Elementi di Scienza politica, chapitre XV, in The Ruling Class, McGraw-Hill Book Company, p.424. Au sujet de ce livre, on se demande bien pourquoi il n’existe aucune traduction française à ce jour, alors que cet ouvrage majeur de sociologie fut publié en Italie en… 1896. Pour information, en 1939, les Etats-Unis publiaient une traduction anglaise de l’ouvrage.
(3) Il suffit de se rappeler les propos d’Alain Juppé lorsqu’il fut MAE et ceux – du même tonneau - de son successeur, Laurent Fabius, au sujet de l’Iran, pays exclu a priori, sans explications rationnelles ; ceci en contradiction totale d’ailleurs avec les propos de Kofi Annan (Cf. http://www.france24.com/fr/20120709-kofi-annan-syrie-rencontre-bachar-al-assad-onu-ligue-arabe-negociations-morts-conflit).
(4) Une fumisterie parée des atours « démocratiques » et droits-de-l’hommistes.
(5) Cf. http://www.metrofrance.com/info/syrie-la-visite-de-kofi-annan-sous-le-feu-des-critiques/mlgi!0fdnFCP9IskQ/
(6) Rien que le nom de cet organisme est signifiant au plus haut point. A quoi avons-nous affaire ? A un "Observatoire Syrien des Droits de l'Homme".
C'est tout d'abord sensé être un "observatoire"; entendez donc, qu'il est neutre, impartial, scientifique. Un observatoire, renseigne, décrit, compte, en un mot il ne prend pas part aux faits qu'il décrit.
Et puis, c'est un observatoire des "Droits de l'Homme"; alors là, c'est l'onction suprême, la touche qui place les propos et les prétendus objectifs de cet organisme hors de toutes les attaques possibles.
La qualification "Droits de l'Homme" a cet avantage - aujourd'hui où cette idéologie est consubstantielle à la doxa mondialiste - de permettre à l'OSDH de se prémunir d'éventuels détracteurs, car les critiquer placerait immédiatement son (ses) auteur(s) dans le camp des "méchants", des non-politiquement corrects.
On ne critique pas un "observatoire" et encore moins un observatoire des "Droits de l'Homme". Bref, critiquer l'OSDH, c'est basculer irrémédiablement, de facto,  dans le "camp du mal et de la barbarie".
A mon humble avis, l'intitulé de cet organisme est le produit d'officines spécialisées - agences d'influence, privées ou non - tant il est parfait dans ses caractéristiques de paravent/masque et de  réflecteur/déflecteur.
(7) Cf. Jacques Merlino, Les vérités yougoslaves ne sont pas toutes bonnes à dire, édité chez Albin Michel en 1993 (http://www.amazon.fr/v%C3%A9rit%C3%A9s-yougoslaves-sont-toutes-bonnes/dp/2226066632). Immédiatement après la parution de son ouvrage, le journaliste était remercié et disparaissait des écrans de télévisions…
On lira avec attention, au sujet de la Yougoslavie (mais l'on peut tout à fait extrapoler, bien sûr),  l'interview que réalisa le journaliste Jacques Merlino, il y a quelques années de cela maintenant, in http://www.horizons-et-debats.ch/0709/20070310_05.htm

(*) Les trésors archéologiques de la Syrie sont en danger ; n'oublions pas ce qui s'est passé en Irak ! Dès à présent, des sites sont dégradés et pillés en Syrie. Les deux camps sont responsables.
(Cf. En Syrie, le patrimoine meurt aussi, in http://www.slate.fr/story/59093/syrie-patrimoine-sites-menace ).


Iconographie :  
Image tirée et modifiée des "Aventures de Buck Danny", album intitulé Pilote d'essai, Charlier et Hubinon, Dargaud éditeur, 1953.
Laurent Fabius et Alain Juppé :
http://photo.parismatch.com/media/photos2/actu/politique/laurent-fabius-et-alain-juppe/4781398-1-fre-FR/Laurent-Fabius-et-Alain-Juppe.jpg

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