Entre 1949 et 1990, le monde connut une période de
tensions et de confrontations idéologiques et politiques entre les deux
super-puissances d’alors, les Etats-Unis et l’Union Soviétique. Cette période
fut celle de la « guerre froide ». Et si la « guerre
froide » se distingue de la « guerre chaude » - ou conflit
ouvert entre deux Etats souverains -, elle peut aussi malheureusement la
précéder…
Durant cette période de la guerre
froide, avec le développement de la communication de masse, la propagande
devint un art majeur pour les deux camps. Dans le camp « occidental »
- c’est-à-dire celui mené par les Etats-Unis - il était de bon ton de dénoncer
les manipulations soviétiques dans le domaine de l’information ; c’était
passer sous silence que les Etats-Unis et les Etats affidés manipulaient,
eux-aussi, tout autant. Mais les termes étaient choisis. Ainsi, si le
« camp des Rouges » espionnait,
le « camp du monde libre », lui, se
renseignait ; si les Rouges faisaient de la propagande, le camp occidental, lui, informait. Bref, les mots avaient (déjà) un sens biaisé. Ils en ont
toujours…
C’est à cette période de la
guerre froide que naquit le terme de « désinformation » (du russe dezinformatsiya), censé désigner des pratiques exclusivement capitalistes visant à l'asservissement des masses populaires. Le terme passe ensuite en anglais (disinformation) au début des années 1970. En France, ce terme fut popularisé par
un romancier (et ancien agent de renseignement Français) Vladimir Volkoff.
Selon ce dernier (A, p.31), il eut été plus judicieux de parler de
« mé-s-information », ce mot permettant en effet de faire comprendre
immédiatement de quoi l’on parle : le préfixe « mé » induisant
l’idée une information détournée (de son but, mais aussi éventuellement de sa
source initiale). La dé-s-information, quant à elle, signifiant a priori, avec
le préfixe « dé », plutôt une information cachée, voire ôtée.
Cependant c’est le second terme qui fît florès et s’imposa...
La définition du terme de
« désinformation » qu’en donna Vladimir Volkoff était simple (A, p.31) : La
désinformation est une manipulation de l’opinion publique, à des fins
politiques, par des moyens détournés de traitement d’une information véridique
ou non. Les acteurs de cette manipulation pouvant être des officines publiques
ou privées (comme les bénéficiaires in fine d’ailleurs). Dans un autre de ses
ouvrages (B, p.24), Volkoff définissait et précisait la désinformation comme
« une technique permettant de fournir à des tiers des informations
générales erronées les conduisant à commettre des actes collectifs ou à
diffuser des jugements souhaités par les désinformateurs ».
La guerre froide ayant cessé en
1990 avec la désintégration de l’URSS, le monde connût « un moment
unipolaire » ; une seule super-puissance restait en lice, les
Etats-Unis. Néanmoins, la désinformation ne cessa pas pour autant, tout au
contraire. Nous pensions être libérés de l’idéologie, nous y plongions
entièrement, sans aucune espèce de retenue. Le monde occidental préfigurait
effectivement le « mondialisme », une idéologie totalitaire qui ne
dit pas son nom. Une confusion, parfaitement entretenue d’ailleurs par les
tenants de cette idéologie, laisser accroire qu’il n’y avait pas de différence
entre mondialisme et mondialisation. Avec la fin de l’Union Soviétique, il n’y
avait alors plus de repoussoir, d’épouvantail permettant la constitution de
facto d’un « Nous » objectif, constituant. Avec cette nouvelle
idéologie, fut perdue également toute la distanciation nécessaire à la
réflexion. Dupés par les Etats complices de ce processus - présenté bien
entendu comme « inéluctable » -, les peuples se sont retrouvés très
vite noyés dans l’idéologie, au point de ne plus la déceler.
Les exemples de désinformation
abondent et il n’est pas ici l’objet de les recenser tous. Citons juste, avec
les éléments de langage en vigueur : l’Irak de Saddam Hussein avec ses « armes de destruction
massive » et « quatrième armée du monde », l'ex-Yougoslavie et les
« épurations ethniques » pratiquées par les Serbes sur les Kossovars
(Albanais du Kossovo), la « couche d'ozone », le « réchauffement climatique », la Russie et
« le maître du Kremlin » sorte d'hydre maléfique à la conquête du monde, la Syrie et « le régime de Bashar
Al-Assad » responsable de tous les maux, etc.
Arrêtons-nous juste un peu sur
l’Ukraine et la désinformation au sujet de ce qui s’y passe. Effectuons un
petit zoom sur un point particulier survenu à la fin du mois de février 2015.
Un article paru dans un journal
russe a été abondamment relayé dans les médias français. L’article original a
été publié en langue russe (1). Le site en anglais du même journal ne relaie
pas cet article en question (2) ; il n’est donc indisponible en Anglais.
Néanmoins, les médias français en parlent (3) ; ils citent le journal
russe mais pas la version sur laquelle ils ont effectivement travaillé - si
tant est qu’il ait véritablement « travaillé » ou bien plutôt qu’ils
l’aient été... On peut déjà légitimement
se demander d’où leur vient l’information « brute » laquelle leur a
permis d’écrire leur papier respectif, sachant qu’il est peu probable que les
russophones soient légion au sein des rédactions françaises.
Quoi qu’il en soit, l’article original
sur le site Novaya Gazeta (en Russe) est signé Dmitri Muratov (Дмитрий
Муратов). Que dit cet article si l’on s’en tient aux médias français ? De
quoi s’agit-il ?
L’on apprend des choses
« horribles » ! L’on découvre bien entendu, une fois de plus,
l’affreux Poutine aux commandes de la manœuvre ; le « maître du
Kremlin » serait ainsi - « preuves » à l’appui - derrière la
déstabilisation de l’Ukraine, derrière le conflit qui oppose Kiev aux rebelles
du Donbass (Ukraine orientale). Horrible Poutine. S’il n’existait pas, il
faudrait l’inventer tant il est une sorte de Deus ex machina (bien
commode au demeurant), une sorte de référent du mal, l’élément qui expliquerait
tout, une main pas si invisible que cela d’ailleurs, à tel point qu’elle
signerait même ses méfaits !
Cet article (d’origine
incontrôlée, non identifiée, rappelons-le) fait état d’un document apparemment
écrit par l’homme d’affaires Konstantin Malofeev (aucune preuve sur ce point
également), lequel document décrirait « comment la Russie va organiser des
manifestations d’opposition aux autorités de Kiev, avec comme revendications la
fédéralisation de l’Ukraine et l’adhésion à l’Union douanière, pour aboutir à
une demande de souveraineté, puis d’adhésion à la Russie ». Le document
décrirait « comment les manifestants doivent condamner les velléités
séparatistes de l’ouest du pays qui menaceraient l’intégrité du pays, et exiger
une réforme constitutionnelle facilitant le recours au référendum ». Nous
aurions ainsi la preuve que les événements dans l’Est de l’Ukraine seraient le
résultat d’un complot de la Russie. Le scoop !
Si ce document était réel, loin
d’être une feuille de route du complot moscovite, il ressemble davantage à une
note d’analyse de situation avec recommandations, un travail demandé dans
la plupart des pays structurés et en capacité, à de nombreux services d’Etat
(diplomatiques, de renseignements, financiers, etc.). Le service en question
analysant une situation et présentant aux instances dirigeantes, les
différentes pistes qu’elles pourraient prendre pour préserver l’intérêt
national et stratégique du pays. La Russie, tout comme la France d’ailleurs, a
ce genre de « services » lesquels produisent quotidiennement ce type
de note. Il n’y a, là-dedans, aucun élément relevant de la machination ;
ce n’est qu’un travail d’analyse et de prospective à fin d’action pour
l’intérêt et la sauvegarde de l’Etat.
Mais, comme il s’agit de la
Russie, comme il s’agit de Poutine, c’est… un complot du « maître du
kremlin ».
Les symptômes de la
désinformation sont là (A, chapitre 2): Tout le monde dit la même
chose ; nous sommes informés à satiété sur un aspect de la question et à
peine tenus au courant des autres ; tous les bons sont d’un côté et tous
les mauvais de l’autre ; enfin, l’acquiescement de l’opinion débouche sur
une psychose collective.
Tous les éléments de « la
grille Volkoff » sont présent (A, chapitre 4). Il y a : le
client ; l’agent ; une étude de marché ; le support ; les
relais ; le thème ; le traitement du thème ; et finalement, la
diabolisation.
Résumons-nous :
un journal russe fait paraître un
article douteux en langue russe ;
les journaux Français en parle
abondamment mais en ne renvoyant curieusement aucun lien sur sa traduction
anglaise ;
on évoque un document que personne
n’a vu et dont on ne connait pas l’auteur ;
on fait prendre des vessies pour
des lanternes aux lecteurs, en faisant passer un document de travail habituel
émanant de services de l’Etat (si tant est qu’il est véridique) pour une preuve
ultime de complot, de manipulation par Moscou dans l'affaire ukrainienne.
Bref, nos « journalistes »
ont participé à un travail de désinformation manifeste…
Ces journalistes pensent-ils
développer leur crédit auprès des lecteurs/auditeurs/téléspectateurs en
agissant de la sorte ? On cherche en vain la déontologie dans ce
« travail » d’information. Une information tellement
« travaillée » qu’elle est devenue désinformation au service
d’intérêts politiques et géopolitiques qui ne sont jamais nommés. Des intérêts
qui sont ceux des Etats-Unis en premier lieu mais aussi de l’Union Européenne,
en bonne vassale de Washington qu’elle est.
Notes :
(1) L’article incriminé (en langue Russe) qui fait les
gorges chaudes de nos journalistes propagandistes du clan belliciste (OTAN,
Etats-Unis, Grande-Bretagne, France, etc.) :
(2) Site de Novaya Gazeta en anglais : http://en.novayagazeta.ru/
(3) Quelques relais de la propagande en France :
http://www.rfi.fr/europe/20150225-russie-novaya-gazeta-document-kremlin-destabilisation-ukraine-ianoukovitch/
Références :
(A) « Désinformation flagrant délit ». Ed. du
Rocher (1999).
(B) « Petite histoire de la désinformation ; du
cheval de Troie à Internet ». Ed. du Rocher (1999).
On lira aussi avec intérêt son ouvrage « La désinformation arme de
guerre ; textes de base présentés par Vladimir Volkoff ». Ed. de
L’Age d’Homme (1986).
Iconographie :
http://poasterchild.deviantart.com/art/If-We-Want-Your-Opinion-403200312
http://tylerchampion.deviantart.com/art/Koopa-Propaganda-163042077
http://garthft.deviantart.com/art/Portal-Propaganda-Blue-451787169
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