3 septembre 2025

ÉMEUTES EN INDONÉSIE

Depuis la fin août et le début du mois de septembre 2025, des émeutes et des manifestations se déroulent dans différentes villes d’Indonésie (Jakarta, Surabaya, Semarang, etc.). Elles sont parfaitement coordonnées, trop peut-être et n’apparaissent pas en définitive si « spontanées » que cela...

La politique nationaliste menée par le nouveau président du pays, Prabowo Subianto, ne semble pas plaire à tout le monde… du moins à l’extérieur du pays et particulièrement aux États-Unis.

À ce sujet, nous reproduisons ci-dessous un article (paru originellement en anglais) et traitant d’une réalité la plupart du temps occultée dans les médias de grand-chemin.

Badan Informasi Geospasial (BIG), Agence indonésienne géospatiale.


QUE SE PASSE-T-IL VRAIMENT AVEC LES ÉMEUTES EN INDONÉSIE ?

L’Amérique ! Pourquoi ? 

L’Indonésie, quatrième pays le plus peuplé au monde [270 millions d'habitants], a misé sur l’industrialisation, la sécurité énergétique et l’indépendance technologique. Elle se classe au 12e rang mondial des pays à valeur ajoutée manufacturière (VAM). En janvier, elle est officiellement devenue membre à part entière des BRICS, rejoignant ainsi la majorité mondiale dans son abandon de l’ordre économique dominé par le dollar américain. L’Indonésie a rejeté avec succès les doctrines néolibérales occidentales de désindustrialisation et de dépendance aux importations qui ont maintenu une grande partie de la région dans la pauvreté et le sous-développement. 

En adoptant une politique étrangère indépendante et en refusant de suivre le programme de « pivot » de Washington visant à un découplage de la Chine, elle a construit une classe moyenne autosuffisante au sein de l’ASEAN. Pour les Américains, l’Indonésie représente un obstacle, car elle ne les soutiendra pas lorsqu’ils décideront finalement d’entrer en guerre avec la Chine au sujet de Taïwan. 

Des groupes de défense des droits humains et des organisations médiatiques indonésiennes, tels que Remotivi, Project Multatuli et Jakarta Legal Aid, qui soutiennent les émeutes contre le gouvernement du président Prabowo Subianto, en place depuis un an, et condamnent la police, sont financés par le National Endowment for Democracy (NED), une ONG financée par le gouvernement américain. 

Allan Weinstein, l'un des cofondateurs du NED, a un jour admis qu'il effectuait le travail de la CIA, la principale agence d'espionnage américaine. Le Projet Multatuli reconnaît même sur son site web [https://projectmultatuli.org/en/about/kolaborasi/] sa collaboration avec l'Open Society Foundations, une organisation déstabilisatrice appartenant au milliardaire libéral George Soros. En mars, un rapport de Mongabay [https://news.mongabay.com/2025/03/without-us-there-is-no-scrutiny-indonesias-independent-media-count-cost-of-us-funding-cuts/] mentionnait la perte de financements pour Remotivi et le Projet Multatuli suite au gel des programmes du NED imposé par l'administration Trump. L'Institut républicain international (IRI. Cf. https://www.iri.org/), dont le siège est à Washington, est une composante essentielle du NED et œuvre main dans la main pour déstabiliser les gouvernements qui défient les diktats américains.

Jakarta Nord, août 2025, rivière Krukut (Coll. pers.)

Derrière l'apparence de protestations organiques de travailleurs ordinaires se cache la main cachée des déstabilisateurs néocoloniaux américains. Leur programme consiste à déployer des idiots utiles pour perturber la paix et l'ordre, dans le but ultime de paralyser l'économie indonésienne et de saper sa souveraineté. Le plan est simple : susciter une foule pour attaquer les autorités, puis demander aux médias activistes, aux ONG et aux journalistes de qualifier la réponse des forces de l'ordre d'« abus », conditionnant ainsi davantage de civils sans méfiance à se joindre aux manifestations. Ainsi, ces entités subversives présentent les émeutes comme des triomphes de la démocratie : la défiance de la société civile à une prétendue dictature. (1)

La politique étrangère de l'Indonésie concilie interdépendance régionale et relations commerciales entre superpuissances, tout en faisant de l'intérêt national sa priorité absolue. Chaque négociation est mise au service de son peuple. Ni l'idéologie obsolète de la Guerre froide, ni la politique partisane, ni les pressions de Washington ne dictent les décisions de Jakarta. En tant qu'État-nation moderne et souverain, l'Indonésie inspire le respect qui lui est dû. Ses dirigeants sont avant-gardistes, visionnaires, compétents et dotés d'une forte volonté politique ; des qualités que l'Occident juge menaçantes. 

L'Indonésie a interdit les exportations de nickel brut en 2020, mettant fin à des décennies de vente à bas prix de ressources à l'Occident. La nouvelle règle était claire : si vous voulez du nickel indonésien, transformez-le ici et créez des emplois pour les Indonésiens. Cette politique a contraint les entreprises étrangères à construire des fonderies et des usines de batteries pour véhicules électriques sur le sol indonésien. L'UE les a poursuivies devant l'OMC. 

Jakarta Sud, août 2025, mise en place de décoration pour la fête nationale du 17 août à l'entrée d'une allée (Coll. pers.)

Les États-Unis ont rapidement publié un rapport accusant l'industrie indonésienne du nickel de pratiques abusives en matière de travail des enfants. Malgré cela, Jakarta a tenu bon. L'Indonésie est désormais en passe de devenir l'un des plus grands producteurs mondiaux de batteries pour véhicules électriques. La Chine, premier constructeur mondial de véhicules électriques, a pris l'offre au sérieux. Des géants comme CATL et Tsingshan Holding Group ont investi des milliards pour construire des fonderies, des usines de cathodes et des usines de batteries à Sulawesi (Célèbes) et Morowali. Ces projets ont créé des milliers d'emplois, transféré des technologies, formé des ingénieurs locaux et bâti un écosystème complet de véhicules électriques, de l'extraction à l'assemblage. 

L'Indonésie a également négocié un accord d'exploration pétrolière conjointe avec la Chine dans la mer de Natuna, malgré des revendications territoriales communes. Résultat : une solution gagnant-gagnant permettant un développement mutuel tout en évitant la confrontation militaire. Jakarta s'est également associée à Pékin pour la construction d'une ligne ferroviaire à grande vitesse. Aujourd'hui, le train à grande vitesse Jakarta-Bandung [communément appelé le Whoosh] circule à 350 km/h, réduisant le temps de trajet de trois heures à quarante minutes. Il s'agit du premier système de transport public modernisé d'Asie du Sud-Est. 

L'Indonésie a refusé d'adhérer au régime de sanctions américain contre la Russie. Au lieu de cela, par l'intermédiaire de son géant pétrolier public Pertamina, elle a acheté du pétrole russe à des prix très avantageux, garantissant ainsi un carburant abordable et une sécurité énergétique stable. Faisant fi des pressions politiques occidentales, Pertamina a augmenté sa capacité de raffinage en utilisant du brut russe bon marché, modernisé ses raffineries, exporté du carburant à des prix compétitifs et protégé l'économie de la volatilité des prix mondiaux. La plateforme pétrolière de Karimun, dans les îles Riau [https://oiltk.com/], est devenue un centre de transbordement pour le brut russe, les pétroliers y déchargeant du pétrole pour le redistribuer dans toute l'ASEAN.


Dans les rues de Surabaya, août 2025 (Coll. pers.)

Jakarta est également résolument pro-Palestine. Plus tôt ce mois-ci, elle a condamné le projet israélien d'occuper Gaza, appelé le Conseil de sécurité de l'ONU pour mettre fin au génocide israélien et exhorté les nations à reconnaître la Palestine comme un État. En avril, le président Subianto a même annoncé que l'Indonésie était prête à accueillir les Palestiniens déplacés par le régime sioniste. 

Enfin, Jakarta a tenu tête à la Silicon Valley. Elle a imposé que 30 % des composants des smartphones vendus en Indonésie soient produits localement. Cela a de fait interdit l'entrée sur le marché des nouveaux iPhone. Apple, refusant de perdre son accès, a investi dans des centres de R&D à Jakarta, Surabaya et Batam, a lancé des programmes de formation pour les jeunes locaux et a implanté des activités d'assemblage et de production dans le pays. Ainsi, l'Indonésie a développé un écosystème industriel et technologique national au lieu de rester un simple importateur. 

Jakarta, août 2025, port de Muara Angke (Coll. pers.)

Les troubles inorganiques en Indonésie ne sont pas liés à la démocratie, aux droits ou à la liberté, mais illustrent les vieilles ruses impérialistes de Washington. Les États-Unis ne peuvent tolérer une nation du Sud qui refuse de s'incliner, développe ses propres industries, commerce avec la Chine et la Russie sur un pied d'égalité, affirme sa souveraineté au sein de l'ASEAN et refuse de se laisser forcer à abandonner la Palestine. L'essor de Jakarta terrifie l'Occident car il déconstruit le mythe selon lequel la prospérité ne peut venir qu'en suivant les diktats de la Banque mondiale et du FMI. Ce que l'Amérique qualifie de « mouvements de la société civile » sont en réalité des opérations de déstabilisation externalisées, conçues pour semer le chaos et exploiter de véritables griefs. 

Ce qu'ils font à Jakarta aujourd'hui, ils l'ont déjà fait à Manille il y a quarante ans avec l'EDSA [acronyme d'Epifanio de los Santos Avenue, importante voie circulaire de Manille où se sont déroulées en 1986 des manifestations qui ont conduit à l'éviction du président Ferdinand Marcos]. L'Amérique ne peut pas laisser une région d'États souverains s'élever au-delà de son orbite. C'est pourquoi l'Indonésie est attaquée, et c'est pourquoi l'ensemble de l'ASEAN doit percer à jour cette imposture, car si Jakarta tombe, le reste de la région sera le prochain à subir les conséquences : soit une guerre qui fera des millions de morts, soit la poursuite de l'hégémonie économique et industrielle occidentale.

 
Daniel Long, journaliste politique philippin, écrit pour divers journaux et revues de géopolitique, dont le Manila Times et l'Asian Century Journal. Il a représenté les Philippines dans plusieurs délégations en Chine – en tant que délégué de la presse, de la jeunesse et des influenceurs sur les réseaux sociaux – et a précédemment été rédacteur de discours pour la sénatrice Imee Marcos.

 

Jakarta, août 2025, Pasar Ikan Grosir, Muara Angke (Coll. pers.) 

 

(1) Une technique habituelle, ayant cours durant ce genre de manifestations, consiste a avoir des photos bien particulières pour la presse de grand-chemin.
L'archétype étant une photo montrant un manifestant, généralement isolé (une femme étant recommandée) faisant face à une rangée de membres des forces de l'ordre.
Ce genre d'image "spontanée" illustrant ainsi l'idée d'un pouvoir "répressif" face à un pauvre manifestant issu du peuple sans défense.

Ici, juste trois exemples contenant un certain nombre d'élément requis :

Cf. https://www.arabnews.com/node/2568552/world (AFP)

Cf. https://www.abc.net.au/asia/what-you-need-to-know-riots-indonesia/105720388 ()

Cf. https://www.cbc.ca/news/world/indonesia-riots-explainer-1.7622636 (Willy Kurniawan/Reuters)