A la lecture de la quatrième de couverture et de l'introduction, Samuel Huntington fait immédiatement penser à Francis Fukuyama, cet Harvardeux s’il en est, lequel avait pondu en son temps un ouvrage intitule La fin de l'Histoire. Ce livre était un ramassis de billevesées, d'assertions gratuites, d'inepties pseudo philosophiques, et quelques années ont suffit à balayer et à néantiser; bref, c’était un livre « happening » qui voulait démontrer la victoire totale et planétaire de l’idéologie libérale et démocratique après la chute du mur de Berlin ; le monde connaissant aujourd’hui « la fin de l’histoire ». Mais à rejeter l’Histoire, elle revient souvent en pleine figure et avec plus violence… Fukuyama était un Top adviser, consultant, Harvardeux, tout comme Huntington d’ailleurs lequel est, en plus, expert auprès du Conseil National Américain.
Mais, disons le dès maintenant, Huntington est bien plus intéressant que Fukuyama ; ce qu’il évoque est plus profond, plus « sérieux ». Il pointe là où il faut. Cependant, comme le disait Nietzsche à propos des Confessions de Saint-Augustin, il faut « fouiller dans ses entrailles » afin de saisir véritablement le propos et ses implications.
Samuel P. Huntington en 1985.
(source : http://www.cooperativeindividualism.org/huntington-samuel-1985.jpg )
Qu’en est-il de la réalité et la validité de sa thèse du choc des civilisations ? Pour connaître un auteur, il n'y a pas deux solutions. Comme le disait François Vezin, mon professeur de Philosophie en Hypokhâgne : "Mieux vaut lire une page d’un auteur que cinq livres sur cet auteur". Lisons donc ce livre de Samuel P. Huntington.
C’est une vision américaine du monde qui apparaît dès les premières pages. Dans la méthode, tout d’abord ; on est choqué dès l’introduction par la somme d’assertions déversées et par le manque de questionnement ; par le fond ensuite, avec le survol hâtif de l’histoire venant soi-disant démontrer que ce choc des civilisations n’a jamais existé avant la chute du Mur de Berlin. Ce serait un comble pour l’auteur (américain) de dire ou d’accepter que le monde régresse, d’autant plus que celui-ci (pour sa partie occidentale laquelle domine actuellement le reste de la planète) est conduit par les Etats-Unis…
La thèse du livre tient dans sa vision originale du monde d’aujourd’hui et des conflits de demain ; nous sommes confrontés à une nouvelle structure organisationnelle du monde, laquelle n’est plus idéologique, politique ou économique, mais culturelle et civilisationnelle. Les conflits à venir seront inter-civilisationnels, et s’opèreront surtout aux différentes zones de ruptures, aux zones de contacts inter-civilisationnelles. Il y a, dans ce monde Huntingtonien, des « civilisations », des Etats phares et des pays déchirés.
Après une ouverture où apparaît la notion importante pour l’appréciation de la politique globale (le monde d’aujourd’hui est un monde multipolaire), l’auteur cherche en premier lieu à mettre en évidence l’utilité d’un paradigme pour lire le monde de l’après guerre froide ; états-nations, zones de conflits, cultures, et enfin civilisation(s). Il développe ce dernier comme étant celui qui évite les différents écueils que présentent les autres paradigmes (parcimonie, réalisme aveugle). Mais si ce paradigme est instructif, il n’est pas pour autant suffisant ; l’élément géostratégique est nécessaire à une bonne lecture du monde. Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, les Etats-Unis et l’Europe, si elles embrassent la même religion chrétienne, n’ont pas pour autant les mêmes intérêts ni les mêmes approches économiques, politiques, culturelles. La « civilisation occidentale » regroupant USA et Europe, ne possède donc pas un « nous ».
Dans son « interrogation » sur l’existence d’une civilisation universelle, Huntington parle du rôle de la langue anglo-saxonne ; c’est, dit-il, précisément parce qu’on veut préserver sa propre culture qu’on utilise l’anglais pour communiquer avec des personnes d’une autre culture. Voilà une vision bien égocentrique américaine, voire totalement infondée.
A quelle lumière apprécier les développements quand, à plusieurs reprises, l’évidente mauvaise foi se fait montre : les Etats-Unis qui seraient innocents de la chute du Shah et témoins impuissants de l’arrivée de Khomeiny, par exemple. Pour ce qui est de l’effacement de l’Occident, comment ne pas souligner les poncifs sur la pseudo avance technique de la Chine, notamment sur l’invention de l’imprimerie ou de la poudre alors que les caractères mobiles sont le fait d’une invention européenne, et que la poudre ne servait qu’aux feux d’artifices avant l’arrivée des Jésuites. Comment valider le poids de l’argumentation pour ce qui touche à l’économie et la démographie quand, parlant de pays d’Asie et de leur taux de croissance à deux chiffres, il n’est fait aucune mention du niveau économique à partir duquel la plupart de ces pays sont partis – ceci pondérant cela - et du fait que ce taux se stabilisera dans un proche avenir (dans le meilleur des cas après une courbe identique à celle du Japon entre 1950 et 1980). Par ailleurs, juger un pays à partir du seul taux de croissance semble plutôt assez limité comme approche ; cette dernière devant être plus globale, envisageant bien d’autres éléments.
Dans son chapitre sur la recomposition culturelle, apparaît la distinction « eux / nous », élément loin d’être nouveau, déjà évoqué et développé par Carl Schmitt dans sa Notion de politique. Les racines de la coopération économique, nous dit plus loin Huntington, se trouvent dans les affinités culturelles ; mais le tout est de savoir ce que l’on entend par « culturel ». Car si par culture l’auteur entend « démocratie, droits de l’homme, libéralisme, etc. » cela est très idéologique, même si vient se greffer par-dessus un voile géographico-historique.
Carl Schmitt (1888-1985)
(source : https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh3j2v5hiL4mzg3e4KeaJRVPPWqsQoET4p58lU76znYn4IT1KJzlNd-6i3uBSJ6aN9ulhisNls20EZPjF6MKpOIZ1Qb9tCUpYFzYeOyw4yhRDDKNEzdxAtd2YUlVtat6xXpz4zZmN-dJUPp/s1600/1294.jpg)
Quand à propos de Jérusalem, Huntington évoque de manière exclusive le droit des juifs et des musulmans, il omet simplement l’existence des chrétiens pour qui la ville a aussi « une signification historique ». Quand il parle de l’Afrique et de la nécessité d’un Etat phare, il avance comme pays l’Afrique du Sud ; cependant, ce rôle de chef de file des Etats africains reste à démontrer dans l’avenir. Ce pays était ce qu’il était grâce à l’action de ses gouvernements « blancs », et l’accès au pouvoir de l’ANC et les premiers bilans sur son action (taux de criminalité actuel, les éléments économiques, la stabilité politique, etc.) ne permettent pas de faire de brillantes prospectives.
Esquissant un tableau général des « pays déchirés » (Russie, Mexique, Turquie, Australie), Huntington tient des propos sur les relations entre l’Occident (sic) et la Russie qui ne manquent pas de sel ; avec le retour des « russes », nous dit-il, le fossé s’élargit entre Occident et Russie alors qu’au temps du régime soviétique, malgré les différences idéologiques entre le marxisme-léninisme et la démocratie libérale, les finalités de ces deux idéologies étaient identiques : liberté, égalité, bien-être matériel ! En fait, pour l’auteur, mieux vaut les marxistes plutôt que les nationalistes en Russie ! Et en avant pour une pointe de nostalgie de la période soviétique; on croit rêver…
Toujours à propos du vieux continent, Huntington écrit que les européens estiment (sic) la Turquie comme un pays ne faisant pas partie de l’Europe ; on appréciera cette « estimation » face aux réalités culturelles, religieuses existantes et aux données géographiques et historiques.
Globe terrestre
(source :http://www.proantic.com/galerie/celineetolivier/img/1994-1.jpg)
Parlant encore de la Turquie, il souligne un contraste « révélateur » avec la France quant à son attitude relative au port du foulard islamique ; la France, pour Hutington serait-elle islamique ? Si le port du voile est autorisé en Turquie, c’est pour des raisons culturelles et religieuses évidentes même si Mustapha Kemal avait tenté dans le passé une laïcisation de son pays (encore faudrait-il discuter du concept de laïcité tant en France qu’en Turquie) ; cependant, en France, le port du voile ne se justifie aucunement (sauf peut-être par idéologie).
Evoquant l’Australie et sa situation ambiguë quant au désir de certains dirigeants australiens d’arrimer ce pays au monde asiatique (l’option Keating-Evans), Huntington manque de qualifier cette attitude ; il s’agit d’une approche idéologique libérale de la réalité humaine où tous les hommes sont égaux et interchangeables, comme des produits manufacturés, où plus rien n’a de valeur mais où tout a un prix.
Plus loin, voulant démontrer la nécessité de l’existence d’Etat phare à l’intérieur des unités civilisationnelles et de leur rôle structurant, apaisant, Huntington retrace l’histoire récente des Balkans et des conflits qui s’y déroulent ; il nous donne son appréciation toute américaine de la situation : les Etats-Unis ont été obligés, dit-il, d’intervenir en faveur de la Bosnie, ceci dans la défense des intérêts musulmans qui n’ont pas d’Etat phare. Les USA se substituent donc aux états musulmans et contre les intérêts européens, ceci alors que les Etats-Unis revendiquent le rôle d’état phare de l’Occident. A plus ou moins long terme, et à l’évidence dans cette démonstration, le Nouvel Ordre Mondial américain se trouvera confronté à ce nouvel ordre international fondé, lui, sur les civilisations.
"Bienvenue au village, numéro 6 !" (vue de Singapour. Coll. pers.)
Dans une description du monde oriental européen, au détour d’un paragraphe, une opposition curieuse, sinon perfide apparaît : en Ukraine, nous dit-il, les habitants de l’Ouest du pays parlent l’Ukrainien et sont très nationalistes, alors qu’à l’Est ils sont orthodoxes et parlent en majorité le Russe. On sait ce qu’il en est de cette approche, avec la mise en place des révolutions colorées dans les anciens pays de l’Est et du rôle des Etats-Unis dans le soutien à celles-ci.
A propos de l’Islam en Turquie, les craintes d’Alexandre Del Valle rejoignent celles de Huntington ; et quand les espoirs de ce dernier se tournent vers un nouvel Atatürk, ce sont là bien des souhaits très américains.
Sur les problèmes intercivilisationnels, Huntington pose bien les enjeux : les chocs dangereux à l’avenir risquent de venir de l’interaction de l’arrogance occidentale, de l’intolérance islamique et de l’affirmation de soi chinoise.
La thèse de Fukuyama sur la fin de l’Histoire et le triomphe de l’idéologie libérale et démocratique après la chute du Mur de Berlin est balayée - toutefois non explicitement. Oui, nous sommes bien entrés dans un « autre monde » où les critères de nos gouvernants ne sont plus opérants. Il nous faut donc penser cette nouvelle situation, trouver les nouvelles articulations, les nouveaux critères, paradigmes, catégories.
Francis Fukuyama, né coiffé...
(source modifiée : http://www.itusozluk.com/img.php/ef71097d73c268c0f29e2a1a99a6dfae28282/francis+fukuyama)
Critiquant les principes universels à géométrie variables sur les Droits de l’Homme et la Démocratie, Huntington en vient à plaindre la Bosnie et son isolement (elle n’a pas de pétrole et donc ne suscite aucun regard) ceci alors que les Etats-Unis interviennent assez - sinon trop - en sa faveur.
L’Europe et son immigration font l’objet d’une étude, mais il y a des inversions irrecevables : les pays européens, dit-il, n’assimilent pas leurs immigrés (alors que c’est aux immigrés de s’assimiler). Et quand l’auteur établit une comparaison avec les Etats-Unis, c’est une juxtaposition tout aussi irrecevable ; les pays européens ne sont pas des pays d’immigrations. Par contre, le danger d’une islamisation de l’Europe semble inquiéter Huntington, et à juste titre ; les gouvernements et les électeurs européens doivent être prêts, nous dit-il, à payer le coût (social, fiscal, économique) des mesures de sauvegarde. Nous connaissons déjà ce coût même si nos gouvernants ne l’évoquent pas officiellement.
Clairvoyance et lucidité de Huntington apparaissent dans son approche de la politique globale des civilisations : « Tant que l’islam restera l’islam (ce qui est certain) et que l’Occident restera l’Occident (ce qui l’est moins), le conflit fondamental entre les deux grandes civilisations et les deux modes de vie continuera à influencer leurs relations à venir, tout comme il les a définies depuis quatorze siècles ».
Bernard Lewis, l'inventeur du "choc des civilisations"
(Source : http://www.princeton.edu/pr/pictures/l-r/lewis_bernard/lewis.jpg)
Le choc des civilisations, titre de l’ouvrage, est tiré d’une analyse de Bernard Lewis sur les racines de la violence musulmane datant de 1990 ; on ne l’apprend pas dans l’introduction, mais au détour du chapitre neuf de l’ouvrage…
Chose amusante, un terme apparaît dans la terminologie Huntingtonienne, et qui plus est avec une acception particulière, celui de « révisionnistes » pour désigner les américains optant pour une position plus dure vis-à-vis du Japon sur les questions économiques. Les Marxistes-Léninistes avaient eux aussi leurs « révisionnistes », tout comme l’Histoire contemporaine a les siens d’ailleurs.
Toujours au sujet du Japon et des Etats-Unis, on apprend que ces deux pays parmi les plus militaristes du monde sont aussi les plus pacifistes ! Il doit s’agir, pour le cas des Etats-Unis, d’un Pacifisme à la mode Romaine… C’est sûrement le même pacifisme qui fait que les Etats-Unis ont toujours « empêché qu’émerge en Europe une puissance dominante ». Et pour ce qui concerne la seconde guerre mondiale, si les Américains sont intervenus c’était pour « restaurer l’équilibre rompus entre les forces européennes » ; rien que ça, et pas du tout pour des motifs plus bassement matériels et économiques, bien entendu…
La Chine fait l’objet d’une bonne approche et analyse ; cependant, les conclusions et notamment l’une d’entre elles est incohérente ; la Chine, nous dit Huntington, optera dans l’avenir d’une part pour la paix, et d’autre part pour l’hégémonie. On ne voit pas vraiment l’articulation fonctionner corrélativement ; l’hégémonie engendrant nécessairement à un moment ou un autre le rejet voire le conflit.
Soldat de Sparte apportant une paix...définitive.
(source : http://tpprovence.files.wordpress.com/2009/06/sparte1.jpg)
Pour ce qui est de l’attitude des Etats-Unis vis-à-vis de la Chine, on note une curieuse discordance voire une incohérence; en effet, les Américains interviendraient contre la Chine, élevée au rang de puissance hégémonique en Asie. Cependant, quand les USA interviennent en Bosnie, c’est pour « suppléer à l’absence d’Etat phare islamique », et quand un Etat phare existe dans une civilisation - en l’occurrence, asiatique - et qu’il fait montre de ses prérogatives normales, les Etats-Unis entre en conflit avec lui. Dans un chapitre ultérieur, nous apprenons qu’en intervenant en faveur de la Bosnie, les Etats-Unis faisait de la Realpolitik. En fait de Realpolitik, il s’agit pour les USA d’entretenir un foyer d’instabilité en Europe, ceci pour justifier sa présence et renforcer l’implantation et le rôle de l’OTAN sur le vieux continent.
Dans le cadre des nouvelles alliances, on apprend que deux états d’Amérique latine ont renoncé à acquérir la bombe, et qu’ils n’ont pas l’intention de remettre en cause la domination militaire américaine. Ces deux états y ont peut-être renoncé, mais à quel prix ! De plus, s’il n’y a pas remise en cause, c’est tout simplement parce qu’ils n’ont pas les moyens de le faire, et pas précisément par sympathie.
Au sujet de l’Afrique, on lit qu’un « processus au long cours de désoccidentalisation semble à l’œuvre » ; pourtant, les USA semble plutôt se substituer aux anciennes puissances coloniales européennes. L’Afrique du Sud, nous dit Huntington, finit par donner dans sa culture la prépondérance aux éléments africains sur les éléments afrikaners et britanniques ; africains, oui, et précisément tribaux, quand on constate la prépondérance des Kxosas de l’ANC au pouvoir face aux Zoulous de l’Inkata. Mais Huntington n’évoque pas non plus le développement et les conséquences de la présence chinoise sur le continent noir ; un élément pourtant important qui aura certainement des répercutions, tant la Chine n’a pas la tradition et la culture coloniale des pays européens, adoptant des modalités d’actions somme toute assez brutales.
Bonne analyse de Carroll Quigley reprise par Huntington : quand la civilisation n’est plus capable de se défendre elle-même parce qu’elle n’a plus la volonté de le faire, elle s’ouvre aux envahisseurs barbares qui viennent souvent d’une autre civilisation, plus jeune et plus puissante. Si l'on prend le cas de l'Europe, c’est en fait le Camp des Saints de Jean Raspail qui est décrit là (Cf. la nouvelle édition 2011 du roman chez Robert Laffont, avec une préface intitulée Big Other). Et Valery ne disait-il pas pour sa part, en 1922, de façon incroyablement prémonitoire : « L'Europe aspire visiblement à être gouvernée par une Commission américaine. Toute sa politique s'y dirige » (in Regards sur le monde actuel; Notes sur la grandeur et décadence de l'Europe. p.34, 62ème édition, 1945).
Jean Raspail, écrivain et prophète...
(source : http://www.meretmarine.com/objets/500/13042.jpg)
Dans le chapitre sur l’Occident, une assertion toute gratuite vient renforcer l’idée selon laquelle l’immigration en Europe était inéluctable, voire nécessaire : les gouvernements, nous dit Huntington, ne pouvaient sans doute pas remédier aux faibles taux de natalité. Il y a plutôt de la part de ces gouvernements la volonté délibérée d’affaiblir et de réduire les capacités d’autorégénération de leur société respective, d’imposer la mise en place d’une société multiculturelle et donc hétérogène dans ses fondements (sans défenses immunitaires), ceci pour instituer plus facilement un type « occidental », uniforme, de société. Mais l'argument est toujours le même : "On ne peut pas faire autrement !", "C'est inéluctable !", "Vous voulez mourir aujourd'hui ou dans cinq ans ? Alors, faites comme on vous le dit ! ".
Plus loin, toujours sur l’Occident, on apprend que « l’avenir des Etats-Unis et de celui de l’occident dépend de la foi (sic) renouvelée des Américains en faveur de la civilisation occidentale ». Une foi de quelle nature ? et surtout et principalement de quel « occident » parle-t-on ? Nous sommes en plein brouillard… Quant à la « cause » définie par Malcolm Rifkind (Ministre de la Défense Britannique) sur la nécessité de l’établissement d’une « communauté atlantique », elle est en fait la cause de Davos - tout simplement…
Le scénario catastrophe qui clos le dernier chapitre veut démontrer la logique des conflits intercivilisationnels et de leurs méfaits : tout le monde en sortirait affaibli sauf les non-belligérants, le centre politique se déplacerait vers le Sud. Mais la démonstration relève simplement d’une évidence ; il décrit une logique et l’enchaînement à partir d’un conflit régional vers un conflit majeur intercivilisationnel. Si la « démonstration » est vrai, on ne voit pas ce qu’il fallait démontrer et ce qui ne préexistait pas à la thèse Huntingtonnienne.
Le modèle à suivre entre les civilisations pour une coexistence pacifique est, selon Huntington, ce qu’a entrepris le Gouvernement de Singapour ! Seulement cela se passe dans un Etat au « totalitarisme mou » et à 80% chinois, donc structurellement homogène ; c’est simple et il fallait y penser. La loi et l’ordre sont les conditions premières de la Civilisation, nous dit un peu plus avant l’auteur ; là encore, et s’il ne le nomme pas (et même s’il n’y pense pas) il s’agit tout simplement du programme de gouvernement de l’ex-SLORC (Parti pour le rétablissement et l’instauration de la loi et de l’ordre) au Myannmar.
Les deux premiers ouvrages de Samuel Huntington
Bien qu’aidant à penser le monde de demain voire d’aujourd’hui, Huntington dans son « Choc des civilisation » nous a un peu déçus. En effet, en dehors des critiques rapportées plus avant, l’auteur nous avait habitué à mieux. En effet, tant dans sa thèse de 1957, « The Soldier and the State » - ou était développée l'idée, certes discutable, selon laquelle depuis la Révolution Française, le professionnalisme du soldat était l'élément clef pour que ce dernier reste en dehors de la sphère du politique - que dans son ouvrage de 1968, « Political Order in changing societies » - où il analysait le Politique, ses mutations, ses nouvelles articulations et leurs possibilités - les idées et les analyses de Huntington étaient plus rigoureuses et aussi moins réductrices et « politiques ».
Rappelons enfin, qu'en 1995, François Thual, dans son livre sur les « Conflits identitaires » (Cf. chapitre XX), critiquait déjà Huntington et son analyse réductrice; il parlait alors précisément non du livre que nous connaissons mais de l'article paru en 1993 dans Foreign Affairs, article qui préfigurait le fameux "The Clash of civilizations". Pour François Thual, "Huntington fait de la géopolitique à l'estomac"; certes dit-il, "les travaux de Huntington ont pressenti, ont repéré un élément de la réalité géopolitique qu'il n'y a pas lieu de négliger. Mais en globalisant et en généralisant, Huntington a immédiatement minimisé sa découverte".
Samuel P. Huntington nous a quitté en décembre 2008 et si ses deux premiers ouvrages resteront très certainement des ouvrages de références majeurs, l’on peut douter de la valeur objective et de l’intérêt de ce « Choc des civilisations » sinon peut-être d’avoir remis en scène, « à la mode », ce que nous connaissions déjà depuis au moins Fernand Braudel, à savoir l’importance du fait civilisationnel dans l’Histoire, de sa "grammaire" et les affaires du monde. Néanmoins, la civilisation n’est qu’un des éléments pour appréhender cette nouvelle structure organisationnelle qui se met en place et qui va régir les affaires du monde. Toute analyse ou explication monocausale est par essence vouée à l’échec, voire belligène. C’est pourquoi il s’agit plutôt d’utiliser une approche multicritères, pluri-disciplinaire ; en un mot, une approche réaliste et dé-idéologisée dans l’étude des relations internationales.
Fernand Braudel
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