La France a connu en cette fin de février 2011 un remaniement ministériel conséquent en terme de poste touché, avec des portefeuilles « lourds », régaliens en somme, comme la Défense, l’Intérieur et les Affaires étrangères affectés. Ces ministères voient arriver des têtes « nouvelles », ou pas si nouvelles que cela d’ailleurs, tant les ministres choisis appartiennent bien au sérail, pour certain depuis plusieurs décennies.
Voilà donc que les Affaires étrangères touchent un Senior Minister (1), avec la venue d’Alain Juppé. Plusieurs fois ministre, Premier Ministre même, Alain Juppé est incontestablement à l’opposé du « ministre gadget » comme il y en a (eu) tant. Après un très bref passage à la Défense (tout juste 105 jours !) Alain Juppé retrouve le Quai d’Orsay qu’il a pratiqué entre 1993 et 1995.
Si Juppé est assurément un homme d’Etat, un serviteur rompu aux arcanes du gouvernement et de la politique, reste à savoir ce qu’il sera en mesure de faire jusqu’en Avril 2012, c'est-à-dire en seulement un an, jusqu’aux prochaines élections présidentielles.
Un grand commis de l’Etat pour les affaires étrangères,
ou un consciencieux agent d’équarrissage de la politique extérieure de la France ?
ou un consciencieux agent d’équarrissage de la politique extérieure de la France ?
Alain Juppé fait partie d’une génération d’hommes politiques ayant assez de mémoire, d’expériences et de « bagages » pour œuvrer dans le sens des intérêts du pays - c’est le moins que l’on puisse demander à un ministre d’Etat. Mais aura-t-il non seulement les coudées franches (comme il le souhaitait avant d’accepter ledit marocain) mais aussi tout ce qu’il faudra par ailleurs pour conduire sa tâche ardue ? Si, sur le premier point - l’exercice entier du pouvoir de Ministre des affaires étrangères - la chose semble avoir été réglée, avec le départ de Claude Guéant, nommé à l’Intérieur, et celui de Jean-David Levitte (2), reste en question le plus important : mettre en œuvre la politique étrangère de la France.
C’est LA question cruciale ; c’est là que tout apparaît sans voile, sans fard, à nu. Malheureusement, même un ministre comme Alain Juppé, malgré toutes ses qualités, n’y pourra rien en la matière car s’il peut et doit mettre en œuvre la politique décidée par le chef de l’Etat - car telles sont ses fonctions - ce n’est pas le Ministre des Affaires étrangères qui trace et définit celle-ci mais le Président de la République, en l’occurrence Nicolas Sarkozy.
Or, qu’avons-nous vu en matière de politique étrangère française depuis 2007 ou même durant le dernier exercice du mandat de Jacques Chirac ? Rien. Les chancelleries ne connaissent qu’un seul mot d’ordre, qu’une seule directive : Droits de l’Homme et intégration européenne On pourra dire ce que l’on voudra, mais les Droits de l’Homme ne font pas une politique étrangère (3). A la rigueur peuvent-ils l’accompagner, si tant est que l’on partage cette idéologie. Quant à la politique d'intégration européenne, c'est la mise en œuvre, le processus de déconstruction de notre souveraineté nationale; c'est-à-dire, pour un pays, l'équivalent d'un suicide.
Lorsque la France ne doutait pas d'elle même, elle avait le Cardinal
(Richelieu, par Philippe de Champaigne)
Où sont les axes, la philosophie, l’articulation, et surtout les buts, de notre politique étrangère depuis ne serait-ce que dix ans ? Cette question nous amène sur le terrain des fondamentaux de l’étude de ce qu’est la politique étrangère ; le genre de questions abordées dans des cours de sciences politiques élémentaires.
Trois éléments participent à la question de la définition d’une politique étrangère. Premièrement, il y a au moins deux conditions nécessaires, les pré-requis : à savoir un état de souveraineté - puissance absolue et perpétuelle - de pleine autonomie et de liberté d’action, d’une part, (Cf. Jean Bodin Livre I, chap. viii de La République) ainsi qu’une analyse pointue, fine, exhaustive de l’état du monde, d’autre part. Deuxièmement, il y a ses objectifs, ses buts ultimes que l’on pourrait définir et résumer ainsi : le maintien et l’accroissement de la puissance de l’Etat. Enfin, il y a les moyens pour y parvenir, en dehors même de l’existence préalable d’une administration des affaires étrangères (avec ses fonctionnaires, sa culture propre, son histoire, son expérience, etc.), sans oublier son (ses) réseau(x) tissés avec le temps. Ces autres moyens étant, a minima, les politiques d’alliances (entretien et création), les manœuvres diplomatiques (officielles ou non, et de nature multiple, tant le terrain pourra être celui de l’économique, du culturel, du militaire, etc.).
La venue de Monsieur Juppé va-t-elle donc changer la donne de la politique étrangère française ? Pour répondre à cette question, considérons-le comme un conducteur de poids lourd employé d’une société de transport. Ainsi faut-il à Alain Juppé tout d’abord un véhicule équipé d’un moteur, du carburant, un volant, une marchandise, mais surtout… un cap, une direction. Si la plupart des ingrédients sont là, reste que les roues du véhicule ont un rayon de braquage trop étroit, que le carburant est limité, que la remorque du camion est quasiment vide, et surtout que le cap est inexistant, non donné par son commanditaire. A partir de ce moment, il est aisé de comprendre que la facilité pousse le conducteur et son employeur, à faire en sorte que le poids lourd trouve et monte très vite sur le plateau d’un autre véhicule (plus gros) qui, lui, sait où il va. L’essentiel n’est pas de bouger pour bouger et aller là où les circonstances peuvent mener, mais là où l’on doit aller, là où il faut (faudrait) aller, là où l’on a décidé d’aller, dans un but sensé, rationnel, particulier, propre.
Souvent à contre-courant, à juste titre, à bon escient : Hubert Védrine
Compte tenu de ces différentes circonstances défavorables, le talent de Monsieur Juppé n’y pourra rien. Il n’y aura pas de politique étrangère de la France. Alain Juppé s’en tiendra aux affaires courantes, de façon sûrement digne, honnête mais finalement dérisoire. Ces affaires courantes consistant à suivre, à accompagner, des buts, des stratégies, des politiques étrangères à la France et à ses intérêts vitaux. C’est bien vraisemblablement pourquoi, en son temps (en 2007) Hubert Védrine avait refusé de prendre le poste que lui proposait le Président nouvellement élu ; Monsieur Védrine savait pertinemment qu’il ne pourrait exercer sa tâche sérieusement, qu’il ne serait Ministre des affaires étrangères que de papier timbré.
Il n’y a plus de politique étrangère de la France car il n’y a plus de France, en tout cas plus de conditions suffisantes pour sa propre survie en tant que Nation, en tant qu’Etat. La France ne se pense plus, ne se projette plus. La France ne croit plus en elle-même, en ses valeurs, en ce qu’elle a incarné et incarne dans l’histoire. Nous sommes passés du doute méthodique au doute systématique, du questionnement nécessaire sur notre réalité et à sa poursuite féconde, au renoncement inqualifiable à vouloir dire que l’on est, tout simplement, que l’on ose se poser comme nation distincte à la face du monde, avec une volonté, une identité, un destin propre. La France ne veut plus tracer de traits, et délimiter le dedans et le dehors, bref, ne serait-ce que penser et dessiner la simple ligne qui fait l’ordonnancement du monde et le début de la politique (4). La fondation de Rome, dit-on, commença simplement par un trait tracé sur le sol avec l’aide d’une charrue. La simplicité, la pureté du commencement…
Une charrue, un homme, un peuple, une volonté, …un Empire.
(La fondation de Rome, par Giuseppe Cesari)
Notes :
(1) Nous n’avons pas cette notion en France contrairement à d’autres pays ; toutefois, notons que le titre de « Ministre d’Etat » s’en rapproche quelque peu.
(2) Il devait prendre la direction du futur Conseil national de sécurité, envisagé par le président de la République, organisme calqué sur le modèle américain.
(3) Hubert Védrine, le meilleur des ministres des affaires étrangères que la France ait connu depuis au moins 30 ans, parle de « l’invocation de grands principes vagues et généraux » ; nous sommes dans le même registre. Cf. son intervention aux 11 ème conférences stratégiques de l’IRIS en 2006.
(4) On lira avec plaisir et attention le dernier petit ouvrage de Régis Debray, « L’éloge des frontières » (Gallimard), qui regroupe quelques conférences données par l’auteur au japon en 2010.
Crédit photo :
Alain Juppé : http://fr.novopress.info/wp-content/uploads/2010/09/Alain-Jupp%C3%A9-4.jpg
Hubert Védrine : http://www.corporate-photos.com/portraits/images/09_Hubert-Vedrine.jpg
Le Cardinal de Richelieu, par Philippe de Champaigne : http://presseecrite.unblog.fr/files/2010/09/richelieu61.jpg
La fondation de Rome, par Giuseppe Cesari : http://www.ac-grenoble.fr/lycee/diois/Latin/archives/ico/analyses%20et%20commentaires/Cesari-%20fondation%20de%20Rome%20par%20Romulus.jpg
Sur l'Europe, Juppé a fait une déclaration un peu inquiétante : "On est allé trop loin [en matière de construction européenne"], pour ne pas aller au delà".
RépondreSupprimerCe qui montre que sa seule stratégie est au mieux celle d'entériner la perte de souveraineté de la France, au pire d'accompagner la fuite en avant vers le mondialisme.
Car à aucun moment, il ne parle de consolider la souveraineté de l'Europe face au reste du monde (immigration, armée, sécurité, identité... )
Remi Perrin