19 février 2009

Colonel jean Sassi (6)






























Le Lieutenant Sassi avant un saut d'entreien à Pau (ETAP), en 1947.































Le Sous-Lieutenant Sassi devint FFL à compter du 11 juin 1943.


Ci-dessous, un texte du Sous-Lieutenant Sassi paru dans le bulletin CDLR :
Mission spéciale
Récit d’un parachutiste
CDLR (Ceux de la résistance), Bulletin intérieur n°19, Mai 1946. La page du souvenir.
Rédaction et administration (adresse provisoire) 13, avenue de l’Opéra. Tel. OPEra 51-46.

Dans la « Page du Souvenir », nous publierons chaque mois un récit vécu par l’un des nôtres de la lutte opiniâtre et obscure menée sur le sol de France contre l’envahisseur.
Aujourd’hui, nous donnons la parole au Lieutenant parachutiste J.-H. Sassi, Croix de Guerre 1944.


Depuis des mois nous sommes des hôtes couvés de l’Angleterre. Nous traînons d’école en école, de stages en stages. Notre vie est celle de chevaux de courses à la veille d’un grand Prix. Nous allons sauter en France – dans le maquis.
L’entraînement poussé à fond, par doses de plus en plus massives a fait que le baroud nous est devenu un besoin farouche. Nous sommes parés fin prêts – gonflé à bloc :
Et pourtant, l’entraînement se poursuit toujours. Seuls, les exercices physiques, les combats au couteau, avec armes ou sans armes, conservent encore leur intérêt. Au stand de tir, au moment d’appuyer sur la gâchette, le vieux Major instructeur qui aime beaucoup les Français, nous murmure à chaque fois : « Tirez bien… Ce ne sont pas des cibles… Ce sont des Boches ! » et à chaque fois nous tuons du Boche, le masque mauvais, dents serrées, par douzaine de … cibles ! En combat sans armes, seuls les « coups vaches sont à l’honneur ». Tapez plus fort – Vos pieds ! Tapez bas ! N’oubliez pas vos genoux, vos coudes, les dents ! Tapez là ! C’est la mort certaine en moins de deux ! … » et nous tapons fort, bas, avec les pieds, les genoux… sur des mannequins à croix gammée ! Des blindés boches nous servent de cibles au Piat ou au Bazooka.
Nous effectuons des bonds, des progressions sur des tirs réels. Les consignes, pendant les manœuvres de nuit, nous transforment en … presque vrais Partisans ! « Ces thèmes ne sont pas un jeu ! Vous êtes des partisans qui ont pour mission de faire sauter tel pont » - Les « Home Guards » et la Police sont prévenus que des parachutistes étrangers seront lâchés cette nuit sur la région. Ils ont reçu l’ordre de tout mettre en œuvre pour vous faire prisonniers – de vous arrêter coûte que coûte, mais avec interdiction formelle de vous … tuer ! A vous de faire sauter le pont, de vous défendre comme vous le pourrez. Tout est permis … sauf, naturellement, de tuer ! … »
Et nous assommons des Home Guards, des policiers, nous faisons « sauter » des ponts … au pétard – attaquons des terrains d’aviation, des quartiers généraux. Plaies et bosses de chaque côté !
Mais la coupe déborde ! Après avoir lutté contre toutes ces légions de fantômes boches, les avoir battus sur toutes les coutures, c’est contre de vrais Boches que nous voulons nous mesurer ! » Alors ? à quand ? à quand ces départs ? »
Le Chef de l’école, les officiers instructeurs sont assaillis – rageusement interpelés. La sempiternelle réponse : « C’est pour bientôt… Peut-être la semaine prochaine ! » ne nous suffit plus. Tous le monde le sait – le sent. A quand ces départs ? Que penseront de nous ces partisans de France, si nous arrivons trop tard ?
Sauter est devenu notre obsession de tous les instants ! Sauter et abandonner cette existence de moines que nous menons tandis que des Français luttent contre le Boche et crèvent !
Enfin, le jour béni arrive. Sacs faits et expédiés à l’aérodrome. Interdiction formelle aux équipes de quitter le camp ! Les recommandations extrêmes et les équipes partent une à une. Ceux qui restent sont verts de rage et engagent des paris affolants ! « 5000 balles, plus ma femme et mes 4 gosses… que je pars avant vous tous ! » Ceci en vue de conjurer le sort. Le parachutiste est un être très superstitieux pour tout ce qui touche au saut.
Je fais partie de la troisième équipe. Nous sauterons à trois, deux Français, un Américain.
Un Halifax emporte, par une belle fin d’après-midi, trois copains béats qu’il a fallu monter à la force des bras jusque dans la carlingue – trois bibendums déformés, grotesques, doublés en carrure, et en poids, les pantalons, les poches, la veste bourrés de cigarettes, de chocolats, et autres douceurs, de chargeurs, de codes et autres ustensiles indispensables à la mission. Sur le ventre, les armes et, un peu plus haut, faisant pendant au parachute dorsal,, un monstre de … petit sac, véritable hotte de Père Noël de jours heureux ! Depuis des semaines, nous faisons des provisions.
Ainsi bottés, boudinés, difformes, harnachés, casqués, nous sauterons à minuit 7 ! Heureux, notre Américain l’est aussi – beaucoup – mais si peu auprès de nous ! Nous ? nous rentrons chez nous. Maréchal… nous voilà ! Après une absence de trois ans ! 3 ans d’attente, d’impatience mortelles, pendant lesquels, seule la radio nous a tenus au courant de ce qui se passait dans notre pays, de ses spasmes, de ses souffrances, des actions du magnifique peuple qui était le nôtre ! Trois ans d’espoirs, de désespoirs, de rage impuissante pendant lesquels nous nous étions forgés du Partisans français une image sublime. Ses exploits nous laissaient béats d’admiration ! et nous amenèrent à ne plus le considérer que comme un saint, un Apôtre, un Croisé ! Et à imaginer un Français de France, relevant son nez retroussé, les deux mains dans les poches, souvent sans armes, défiant le « kolosse Boche », le faisant trembler – en dépit des coups, des tortures, des fusillades massives. Les imaginer rejoignant le maquis, organisant leur vie de hors-la-loi – désorganisant celle de l’immonde Fritz, chantant la Marseillaise jusqu’au poteau d’exécution… imaginer tout cela aurait fini par nous jeter dans un complexe d’infériorité aigu ! Pourtant, nous aussi, nous nous étions battus, volontaires, en Afrique. Nous avions même vaincu – mais notre Guerre, à l’air pur, en uniforme, les armes à la main, avec l’appui des tanks, des avions, de l’artillerie, avait été tellement différente de celle que depuis 40 menaient quelques intrépides et, plus tard, les maquisards et partisans ! Nous avions eu la Force – l’Espoir tangible ! Qu’avaient-ils eu ? Qu’avaient-ils encore maintenant ? Eux, sans cesse harcelés, traqués, décimés, vendus, toujours en infériorité d’armes et de nombre. La haine contre le Boche meublait leur esprit, leur ventre, remplaçait les armes, leur tenait chaud l’hiver, compagnie dans leur solitude… et ils tenaient toujours ! Minuit ! Le dispatcher me réveilla… « OK ! Les feux sont en vue ! » Une peut atroce ! Si nous étions forcés de rebrousser chemin ?... De courte durée « Action Station ! » … ‘Gô ! » Le chef de mission, le sous-chef, puis le Radio sautèrent tour à tour dans le trou… Une gifle, un clair de lune inouï, trois feux, le claquement sec et réconfortant du parachute qui s’ouvre, quelques secondes de plus dans un silence irréel… et j’étais en terre française, chez nous, chez moi ! Une seconde suffit à me désharnacher, à réaliser. Si mon révolver tremblait dans ma main, c’était uniquement de bonheur pur – une envie folle de hurler de bonheur – d’embrasser la lune, les astres, de me rouler dans les herbes, de vider par rafales mes chargeurs, uniquement pour le plaisir – m’annoncer et faire savoir à tous les métèques de maudits démons boches encore en France, que j’étais là, et qu’enfin, ils avaient à céder la place ou à y crever – sans tarder ! Puis de craquements, des chuchotements, des cris, une galopade… meublèrent le silence de la forêt ! « Ohé !... je suis là ! » … « OK. La phrase ? »… « Je suis un oiseau qui… » J’étais déjà entouré, agrippé, embrassé à tour de bras, par une équipe de jeunes gens, sympa, joyeux, excités. On se tapait dessus, sur le dos, le ventre, à grand renfort de hurlements idiots mais tellement significatifs ! Dans la bergerie, les embrassades recommencèrent, les tapes fraternelles, les hurlements ! Epatant ! Aucune morgue de leur côté… Nous étions arrivés ! C’était l’essentiel ! Chez nous, une joie profonde, intense… ils étaient là… C’était magnifique ! Ils étaient là enfin, nos Apôtres, nos Saints, nos Croisés ! Devant nous, autour de nous, contre nos épaules, braillant, mangeant, fumant comme nous, comme des frères. Nous étions frères ! Le reste de la nuit fut passé à discuter, fumer, boire, manger. Cigarettes anglaises, gniole, whisky, chocolat, pain, saucisson en tas, pêle-mêle, à nos pieds ! La plus belle heure de ma vie !
Puis, le jour se leva – les containers mis en tas ! La mission était commencée ! Et jamais, dans les quelques mois qui suivirent, nous n’eûmes à supprimer l’auréole de nos Apôtres d’Angleterre, si semblables à tous nos FFI et FTPF. L’Américain, qui, au début, doutait de tout, n’en revenait plus ! A chaque nouvelle preuve d’organisation, de foi, de bravoure… il nous confiait « Ils n’avaient presque pas besoin de nous, ni d’un débarquement. Les armes leur auraient suffi ! ».

Signé : Jean-Henri Sassi

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