24 décembre 2008

Des prophètes pour les élections indonésiennes

(Décembre 2008)

L’année 2009 sera l’occasion de « fêtes de la démocratie » (1) en Indonésie. En effet, dans cette quatrième démocratie du monde, deux types d’élections vont avoir lieu courant 2009 : des élections législatives en un premier temps - en avril - puis des élections présidentielles - un premier tour en juillet et un second en septembre ou octobre (2).

Si pas moins de 44 partis politiques sont en lice, moins d’une dizaine dépasseront cependant le cap des 2% des votes. Dans ce lot, pas trop de surprise pour l’observateur, sachant que l’on retrouve toujours les mêmes (vieilles) figures, alors que depuis dix ans l’Indonésie a changé de période, étant passé de l’Orde Baru à la Reformasi (3). Pour les indonésiens, le temps passe mais rien ne change vraiment politiquement parlant, ni le sort économique de la majorité d’entre les 230 millions d’individus. Et c’est peut-être dans cette lassitude que réside la surprise des futures élections, car si la plupart des candidats ne sont pas inconnus des indonésiens en âge de voter, les poids lourds des élections passées pourront peut-être avoir à souffrir de cette inaction, de cet immobilisme, avec des votes allant se porter sur des outsiders - même si elles sont, elles aussi, de vieilles figures (4).

Par delà la figure tant attendue qui sortira des urnes, les regards se porteront sur les scores et l’attitude de petits partis naissants, tels le Hanura de l’ancien Général Wiranto et le Gerindra, de l’ancien Général Prabowo, et bien entendu sur le PKS, lequel a effectué depuis quatre ans un travail de terrain colossal, ceci dans une stratégie très élaborée et pensée.

L’année 2008 a été le théâtre de préparatifs à ces élections, avec des stratégies manifestes de part et d’autre ; stratégies symétriques et révélatrices d’une certaine sclérose du système politique indonésien. Ainsi, les partis islamiques (PKS essentiellement) tentent-ils de « s’ouvrir » à une frange de l’électorat jusqu’à lors fort éloignée de son agenda politique, en l’occurrence les nationalistes. Le PKS essayant de se redéfinir à présent comme un parti « nationaliste et religieux », tant ses dirigeants se sont rendu compte que leur électorat traditionnel était un ghetto, ne pouvant pas permettre un score au dessus d'un chiffre. Le PKS a multiplié les actions dans cette direction, la dernière en date étant celle consistant à consacrer « Héros » de l’Indonésie, l’ancien Président Général Suharto, ceci avec force spots publicitaires à la télévision et articles multiples dans les journaux.

Si le but déclaré du PKS est d’atteindre pour cette élection les 20%, les militants et dirigeants, eux, ne tablent pas officieusement au-dessus de 15% au maximum. Un score qui néanmoins serait déjà très important et qui lui permettrait de se positionner au mieux pour les présidentielles, en monnayant encore plus cher ses voix auprès des partis ayant une possibilité de présenter sous leur étiquette un candidat pour le poste de Président.

Dans cette stratégie symétrique, de l’autre côté de l’échiquier, il y a les partis « séculiers » voire « nationalistes » (PDI-P et Golkar) qui tentent, eux, de séduire l’électorat sur le terrain de l’Islam, de l’identité islamique. Là encore, ces partis cherchent à accroitre leur potentiel respectif, en allant vers un électorat qui ne leur est pas traditionnellement dévolu, ceci pour arriver en tête. Les deux partis « poids lourds » de la politique indonésienne ouvrant et créant des branches et autres associations islamiques au sein de leur parti respectif, pour gagner du crédit et donc des voix potentielles, auprès des tenants de l’Islam politique existant dans l’électorat.

Nous assistons donc à une sorte de chassé-croisé, de gauche à droite et de droite à gauche (5), pour un résultat portant plus à confusion qu’autre chose. Les quelques élections locales/régionales de l’année 2008, ont été à ce sujet le théâtre de coalition, de rapprochements totalement incongrus, avec le PKS s’alliant même lors d’une de ces consultations avec un parti chrétien (PDS), sachant qu’ailleurs, toutes les combinaisons possibles, sans exception, ont été tentées.

Alors que retenir de ceci ? Primo, que bien malin qui pourrait se lancer dans des pronostiques. Secundo, que ces élections locales passées ne peuvent préjuger en rien de l’attitude de l’électorat au niveau national. Logique de partis, d’une part, primauté des figures de l’autre, le local et le national n’obéissent pas aux mêmes règles. Tertio, que les gros partis (PDI-P et Golkar) ont tenté de rationaliser la situation pour maintenir la mainmise sur le système politique indonésien, en ayant réussi à faire passer à l’assemblée une loi limitant de manière drastique l’accès à la candidature présidentielle. En effet, par une loi récemment votée, seuls les partis ayant atteint, soit plus de 20% des votes aux législatives, soit 25% des sièges pourront avoir un candidat pour le poste suprême. Ceci poussant encore plus loin la nécessité de réaliser de très large coalition pour gagner les présidentielles ; donc les discussions seront très âpres au sortir des législatives, pour la constitution des « tickets » Président/Vice Président.

Le grand marchandage pourrait donc être le qualificatif servant à qualifier les prochaines élections présidentielles, tant les jeux sont-ils ouverts, tout en ayant à l’esprit que l’avantage habituel au sortant - le Partai Demokrat du Président Susilo Bambang Yudhoyono (6), communément appelé SBY (7), ne sera pas vraiment de mise apparemment, puisque les indonésiens ont été déçu par celui qui avait soulevé un certain enthousiasme il y a quatre ans. Il apparaît en effet que SBY n’est pas la figure charismatique et le dirigeant idéal qu’attendaient les indonésiens. Bien qu’ancien Général et javanais (8) SBY n’aura pas brillé durant son mandat, sauf peut-être - et là il faut le reconnaître - à l’international, où il a réussi à porter l’Indonésie au rang qui lui semble être dévolu compte-tenu de sa taille géographique, de sa situation géostratégique, de son poids démographique, de son fort potentiel en ressources naturelles et main d‘œuvre. Il faut dire - et ceci à sa décharge - qu’au plan strictement national, SBY a eu du mal à gérer le gouvernement, et notamment son Vice-président Jusuf Kalla (certes du Golkar, mais également puissant et influent homme d’affaires) et surtout de son ministre coordinateur de l’économie et du bien-être, l’homme d’affaires, lui aussi, qui fut une des sources principales des fonds de campagne du président en 2004 : Aburizal Bakrie. Cet homme, déconsidéré et peu apprécié par la population, apparaissant manifestement comme un affairiste sans scrupule, avait néanmoins réussi à se faire nommé super-ministre ; mais ce passage des « affaires » aux Affaires de l’Etat, ne fut profitable pour personne. La crise financière internationale ayant de surcroit stoppée net l’ascension de Bakrie dans le monde politique, lui qui pourtant avait tant rêvé de postuler à la Présidence… Rappelons que des les premiers temps de la crise boursière internationale, la présidence indonésienne avait fait fermer la bourse (Jakarta Stock Exchange, JSE) pendant près de trois semaines - et donc geler les échanges - ceci pour éviter la chute des valeurs boursières dudit Bakrie ; ceci en dit assez sur le poids d’Aburizal Bakrie sur Istana (9), de l’influence des affaires sur le politique, même au plus haut niveau.

Malgré toutes les incertitudes pesant sur ces élections, il ne manquera pas de prophètes en tout genre pour nous donner dans les mois à venir, dans l’ordre, les possibles vainqueurs, les prochains dirigeants de l’Indonésie. Laissons ce travail de visionnaires, et gardons nous de toutes prédictions. Loin d’être un manque d’engagement, c’est une attitude sage et réaliste, même si l’Indonésie peut sûrement encore nous étonner - c’est le moins que l’on puisse espérer quand on aime ce pays (10).

Néanmoins, comme l’ont dit certains, les Indonésiens n’attendent-ils au fond pas autre chose que Ratu Adil (11), le « Prince de justice », celui qui leur apportera un règne d’équité, de paix et de prospérité, l’homme providentiel en quelque sorte. Mais 2009 sera-t-elle l'année de son avènement ? Espérons-le pour les indonésiens et ce pays attachants.

Notes :

(1) « Fêtes de la démocratie » était le terme utilisé, durant le temps de l’Ordre Nouveau, soehartien pour désigner les élections.
(2) Le calendrier de ces élections n’est pas encore arrêté.
(3) De l’ « Ordre Nouveau » à la « Réforme ».
(4) Avec la candidature du Gouverneur de Jogjakarta, Sri Sultan Hamengkubowono X.
(5) Les notions de "Droite" et de "Gauche" en Indonésie, ne recoupent pas celles de nos contrées occidentales. Ainsi l’extrême droite représentent communément dans l’archipel les islamistes, les nationalistes : le centre et les « socio-démocrates » : la gauche. NB : le parti communiste est interdit en Indonésie, tout comme la propagande pour les idées marxistes et la publication d'ouvrages de même "trempe idéologique".
(6) Le Partai Demokrat (PD) est un petit parti (moins de 7%), créé un an avant les dernières élections de 2004, et qui doit sa planche de salut au Golkar qui est le parti du Vice-président Jusuf Kalla.
(7) prononcer « Essebéyé ».
(8) Deux conditions idéales et ultimes pour le succès d'un candidat aux élections.
(9) Istana : le palais de la Présidence; c'est le Palais de l'Elysée indonésien.
(10) si tant est qu’une telle « nouveauté » dans ce jeu politique aille, bien sûr, dans le sens du respect et de l’Etat de Droit et de la philosophie fondatrice de l’Indonésie : le Pancasila. Il faut dire - et redire - que le Pancasila est le "code génétique" de l'Indonésie.
(11) figure messianique de la culture profonde javanaise ; une personne qui apparaitra en un premier temps pauvre et inconnue et qui se révélera bientôt un véritable chef de peuple.

17 décembre 2008

Incertitudes sur les événements du Sud de la Thaïlande

(29 mai 2004).

Le samedi 4 janvier 2004, des bandes armées non-identifiées attaquaient 93 endroits du Sud de la Thaïlande – à prédominance musulmane –, faisant près de 40 morts (musulmans et bouddhistes). Les cibles (18 écoles détruites ainsi que des installations de la Police et de l’armée Thaï attaquées et volées) font penser que les auteurs sont issus des mouvements séparatistes musulmans connus (PULO, PULO Mai, BRN ; organisations ayant toutes leur base arrière respective en Malaisie), alors que depuis près de deux ans ces mouvements étaient en perte de vitesse, avec seulement 70 militants actifs recensés.

Dans l’éventail de ces attaques du mois de janvier, une a plus fortement focalisée l’attention des observateurs et des thaïlandais en général : celle qui a eu lieu sur une caserne dépôt de l’armée royale Thaï. Quatre soldats thaïlandais y étaient tués ainsi qu’un moine bouddhiste (égorgé devant témoins). Cette attaque a permis aux assaillants de dérober un grand nombre d’armes (300 fusils d’assaut, 40 pistolets, 2 M-60) ainsi que des munitions.

La Police thaïlandaise suit particulièrement un mouvement, le Gerakan Mujahideen Islam Pattani (GMIP, le Mouvement des Mujahiddines de la Pattani Islamique), et ses chefs Jehbumae Buteh et Nai Cigu Maah Gootay. Une récompense d’un million de bath est d’ailleurs promise à toute personne qui donnerait aux autorités des informations conduisant à leurs arrestations. Ce mouvement est un nouveau venu dans l’ensemble des groupes armés islamistes séparatistes opérant dans cette zone depuis plusieurs dizaines d’années. Peu d’informations circulent au sujet de ce groupe, dont on ne connaît clairement ni les effectifs, ni les racines idéologiques et financières véritables, ni les liens qu’il pourrait avoir avec d’autres mouvements transnationaux comme la Jemaah Islamiyah ou encore Al-Qaeda.

De nombreuses questions restent posées suite à ces attaques du mois de janvier 2004 menées dans près de 20 districts des provinces de Yala, Narathiwat et de Patani (proches de la frontière avec la Malaisie), sous Loi martiale depuis le 6 janvier. Si les soupçons se sont tournés immédiatement vers les mouvements séparatistes musulmans locaux, d’autres hypothèses apparaissent pourtant, ne disculpant pas pour autant les premiers mais développant autrement les motifs réels des attaques.

Le 11 février, le petit poste de police d’Ayer Weng, non loin de la frontière avec la Malaisie, était attaqué (1). Le 23 mars, une bombe explosait à Narathiwat non loin de l’endroit où se réunissaient les Ministres thaïlandais de l’Intérieur et de la Défense et des représentants de l’administration locale. Le 27 mars, une bombe posée sur une motocyclette explosait, toujours à Narathiwat, détruisant un club nocturne assez volage, blessant 30 personnes (2). Le 30 mars, des hommes armés volaient de la dynamite, des détonateurs ainsi que 1,4 tonnes de nitrate d’ammonium dans une carrière à Yala (3). Le 14 avril, des cheminots de la province de Patani découvraient une tentative visant à faire dérailler un train (4).

Mais c’est le 28 avril dernier que survenait un fait surprenant dans ses modalités. Ce jour là, quinze postes de police, des postes de défense des villages, des bureaux de districts étaient simultanément attaqués par des hordes de séparatistes en furie, brandissant des machettes et pour certains des armes à feu (5). Ces attaques amenèrent une riposte immédiate de l’armée thaïe et l’on dénombrait au final 113 morts dont 108 civils. Une partie des assaillants s’étant réfugiés non loin de Patani, dans la mosquée de Krue-Sae (6), les soldats thaïlandais, après plusieurs heures de combats, anéantissaient les 32 insurgés fanatiques, s’attirant les foudres des observateurs patentés - tant locaux qu’internationaux - pour la « brutalité de leur attaque » ; la mosquée fut en effet partiellement détruite. Quant aux victimes, elles étaient jeunes, moins de 25 ans pour la plupart, curieusement tous habillés de noir.

Le 21 février, le Premier Ministre Thaï, Taksin Shinawatra, formulait des soupçons à l’encontre de membres suspects de son gouvernement. « Des représentants du gouvernement sont impliqués dans cette affaire [du mois de janvier], mais leur nombre, leur identité et le niveau auquel ils agissent n’ont pas encore été découverts », déclarait-t-il à la presse. L’armée thaïe croit, quant à elle, que les mouvements séparatistes musulmans sont derrière ces attaques, bénéficiant du soutien actif du KMM malaisien, un mouvement islamiste ayant des liens avec la Jemaah Islamiyah (JI) (7). Des bulletins de renseignements (8) avançaient que près de cent combattants islamistes s’étaient d’ailleurs déplacés vers la frontière avec la Malaisie avec l’assistance du KMM.

En dehors de ces membres du gouvernement que fustige le Premier Ministre thaïlandais, il est également probable que des militaires thaïs eux-mêmes, puissent aussi être impliqués à un certain niveau dans cette affaire ; une situation trouble dans cette région ramenant l’armée au premier plan, tant politiquement que budgétairement (9). D’un autre côté, le percement du Canal de Kra (10) situé justement dans ces provinces du Sud de la Thaïlande à majorité musulmane, n’est peut-être pas totalement étranger à cette situation d’insurrection globale.

Ainsi, d’autres acteurs, comme par exemple des personnes ayant des intérêts financiers menacés par cette construction, pourraient être impliqués. En effet, si le canal se faisait, de très nombreuses sociétés basées principalement en Malaisie voisine mais aussi à Singapour, se délocaliseraient pour s’installer autour du canal, en Thaïlande. Il est aisé de comprendre de la sorte, qu’une situation instable dans les alentours du futur Canal, profiterait à ceux ayant des intérêts menacés. Il est a noter que le gouvernement Thaïlandais a décidé de construire, à l’instar d’Israël, un mur de sécurité le long de sa frontière avec la Malaisie, afin de couper les mouvements rebelles musulmans de leurs bases de arrière. Cette décision n’a pas soulevé d’objection de la part de Kuala-Lumpur.

Ce qui expliquerait également le regain de violences dans le sud de la Thaïlande depuis quelques mois – et c’est de loin l’hypothèse la plus probante et la plus inquiétante – c’est une convergence d’intérêts conduisant les mouvements musulmans séparatistes thaïs d’une part et les puissants réseaux locaux du syndicat de la drogue d’autre part à s’allier et à mener des actions communes, effaçant la ligne de démarcation entre les bandes criminelles liées au trafic de drogue et les séparatistes terroristes. Depuis la « guerre contre la drogue » déclarée par le Premier Ministre thaï au début de l’année, des relations se sont en effet forgées entre les gangs criminels, les militants islamistes et les séparatistes. Ces mouvements ont en effet un ennemi commun : le gouvernement central.

Le Premier Minsitre Taksin déclarait début mai, au sujet des assaillants du 28 avril, que « de nombreuses veuves ne savaient pas ce que leurs maris et membres de leurs familles faisaient, et qu’elles avaient appris, seulement après la mort de leurs proches, qu’on leur avait fait prêter serment et boire une eau spéciale avant de partir à l’attaque ». Le chef de l’armée de terre, Chaisit Shinawatra, estimait pour sa part que les « extrémistes » enrôlaient des jeunes « en leur faisant penser que se baigner dans une eau sacrée les rend immortels » ; pour ce cousin du Premier Ministre thaïlandais, les écoles coraniques (ponoh) enseignant la doctrine wahhabite font subir un véritable « lavage de cerveaux » à ces jeunes. Tous ces éléments expliqueraient la folie meurtrières et l’inconscience des assaillants se ruant, machette à la main, face à des soldats armées de fusils d’assaut et de fusils mitrailleurs.

Cette alliance entre les réseaux de la drogue et les mouvements séparatistes musulmans du sud de la Thaïlande, est loin d’être incongrue. Baignant dans l’illégalité, ces deux mouvances ne pouvaient que se rencontrer car elles partagent une même culture criminelle (11), et la « zone grise » du sud de la Thaïlande représente le terrain parfait pour mener le genre d’actions meurtrières observées depuis le début de l’année 2004. Cette partie de la Thaïlande qui annonce la péninsule malaise, a en effet deux larges bandes côtières l’une ouverte sur l’Océan indien(12) à l’Ouest et l’autre sur le Golf de Siam à l’Est ; c’est le terrain idéal pour l’établissement de nouvelles routes dans le trafic en tout genre, comme le souligne l’Amiral Amornchot Sujirat, Chef d’Etat-Major de la 3ème Région Maritime thaïe.

Par ailleurs, le 19 avril, sans grande attention des commentateurs internationaux, les ambassades du Pakistan et de Corée du Sud à Bangkok, tout comme les bureaux de Korean Air (13), de Philippines Airlines et de Kuwait Airways de la capitale thaïlandaise recevaient des lettres de menaces d’attentats émanant d’un groupe mystérieux nommé « Organisation d’outre-mer Jaune-Rouge » (Yellow-Red Overseaes Organization) ; ces menaces d’attentats au gaz Sarin sont dirigées « à l’encontre de toutes les composantes de l’alliance américaine opérant en Irak ». Ces lettres en question, rédigées en anglais, transmises par courrier banal de l’intérieur même du territoire thaïlandais, étaient signées par un certain Mohammad M. Salah ou Sara [illisible]. En dehors des récipiendaires plusieurs pays sont visés comme l’Australie, le Japon, les Philippines, Singapour et la Thaïlande. Alors que les mesures de sécurité des pays cibles ont été renforcées, aucune des autorités intéressées ne sait vraiment à quoi s’en tenir au sujet de cette « Organisation d’outre-mer Jaune-Rouge ».

On le voit, la situation est plus que trouble dans cette région du globe, ce qui s’y passe impliquant plusieurs acteurs, tant locaux qu’étrangers, islamistes que non musulmans, officiels et particuliers, différents acteurs ayant chacun leurs intérêts propres dans la ou les partie(s) ; ainsi, porter une accusation sur un seul des protagonistes relèverait d’une erreur grossière tant dans l’analyse du phénomène que dans la détermination des actions futures qui seront menées dans cette région.
Notes :

(1) vraisemblablement par des membres du PULO.
(2) Il est à noter que c’est la première fois que des civils étaient touchés dans la série d’attaques menées dans la région.
(3) Il est plus que sûr que ces explosifs ne seront pas utilisés sur le sol thaïlandais mais bien plutôt dans d’autres pays du sud-est asiatique.
(4) les rails ayant été sabotés.
(5) Les armes employées pour cette attaque furent des AK-47, dont la provenance n’est pas encore établie officiellement ; notons que l’armée thaïe n’utilise pas ce type d’arme mais des M-16 de facture américaine.
(6) haut lieu de culte chiite local, bâti au XVIème siècle.
(7) réseau islamiste du sud-est asiatique.
(8) Tant d’origine malaisienne que thaïe.
(9) Cette tactique de pompier/pyromane est employée fréquemment dans plusieurs pays de la région, comme aux Philippines ou encore en Indonésie.
(10) qui implique fortement le Japon financièrement parlant.
(11) Cf. sur cette question les travaux de Xavier Rauffer et de ses étudiants de Paris I.
(12) C’est à dire sur la Birmanie, l’Inde et le Pakistan.
(13) Un terroriste lié à la mouvance Al-Qaeda aurait été appréhendé il y a peu en Corée du Sud après un « voyage d’étude et de faisabilité » au Japon ; il aurait notamment recueilli des informations sur les installations américaines tant en Corée du Sud qu’au pays du soleil levant. Ce terroriste serait actuellement interrogé par les autorités américaines. Le NIS (service de renseignement national Corée) n’a pas confirmé cette information.

« Guerre psychologique » engagée contre la Jemaah Islamiyah

(Mai 2006)

Après les attentats de Bali (Jimbaran et Kuta) du 1er octobre 2005, les arrestations qui ont suivi et surtout la mort d’Azahari bin Husin (« Demolition man »), les autorités indonésiennes semblent avoir décidé d’agir contre l’Islam radical terroriste dans l’archipel. A côté du « front physique » contre le terrorisme et mené principalement par la Police, il y a désormais un « front idéologique » qui est mené, lui, sous la direction des Ulémas.

Durant la première semaine de novembre 2005, à Semarang (Java), lors d’un raid mené au IV/20 Jalan Pamularsih - domicile d’un certain Anif Solchanudin qui aurait hébergé pendant un temps Noordin Moh. Top toujours activement recherché - les forces de sécurité ont découvert des VCD qui devaient être apparemment diffusées dans les milieux extrémistes islamistes indonésiens à fin de propagande.

Ces vidéos, qui ont été visionnées par le Vice Président Jusuf Kalla et par l’ensemble des représentants de l’Islam en Indonésie, se divisaient en trois parties : premièrement, elles contenaient les déclarations-testaments des trois acteurs des attentats meurtriers de Bali II (23 morts) ; deuxièmement des instructions sur l’élaboration de bombes artisanales (comment mélanger les éléments chimiques, tels le TNT et le RDX, comment faire des soudures nécessaires pour les systèmes de mise de feu, dont les techniques utilisant les téléphones portables, et comment placer l’explosif dans un Tupperware, etc.) ; et enfin des cours sur la manière de mener un combat corps-à-corps, un entraînement militaro-sportif, des séances de tir avec fusils d’assaut, etc., le tout filmé à ciel ouvert, en un endroit inconnu avec des hommes habillés de noir, portant tous des cagoules. En dehors des trois témoignages (tenus en arabe, en indonésien et en javanais) effectués à visages découverts, une quatrième personne portant une cagoule intervenait sur le VCD ; cette dernière portait des menaces relatives à de futures actions violentes qui seraient menées par son groupe. A la lumière des dernières informations, l’homme masqué ne serait autre qu’Azahari. Néanmoins, ces diverses déclarations des candidats au suicide par attentat ont fait réagir le Vice Président indonésien, lequel n’a pas voulu en rester là. Ayant donc fait visionner ces vidéos, dans sa résidence privée, aux chefs musulmans des toutes les tendances légales de l’Islam en Indonésie (réformistes, traditionalistes, libérales, et même à tendances plutôt sectaires comme le Majelis Ulama Indonesia !), Jusuf Kalla décidait la création d’une « équipe spéciale anti-terroriste» à fin de répondre sur le plan idéologique à la menace terroriste islamiste radicale.

Selon Jusuf Kalla, « la Jihad propagée par les terroristes n’est pas la bonne ; il y a une mauvaise interprétation de la Jihad et il s’agit aujourd’hui de la corriger ». Les différents chefs religieux sont ainsi requis pour apporter leurs connaissances et répondre point par point à l’argumentaire développé par les trois candidats au suicide par attentats. Des copies des vidéos saisies seront donc diffusées dans toutes les pesantren (écoles coraniques) et les « erreurs » proférées par les intervenants terroristes, commentées et corrigées par les religieux devant les élèves ; une méthode assez curieuse puisque le but des terroristes islamistes est ainsi atteint au-delà même de leurs espérances, leur propagande vidéo étant diffusée par les autorités religieuses et sur instructions de la vice-présidence, et ce dans tout le pays !

Par ailleurs, il semblerait que les livres diffusants un contenu promouvant un radicalisme islamique excessif - comme celui d’Imam Samudra, terroriste jugé et condamné pour sa participation aux attentats de Bali I en 2002 - seraient même interdits (!) ; une censure contestée par Din Syamsuddin, au titre qu’elle serait selon lui, contre-productive, poussant certaines personnes à vouloir lire ces livres. Ce même Din Syamsuddin, chef de la Muhammadiyah (mouvement réformiste glissant depuis peu vers une doctrine de plus en plus puritaine et sectaire, surtout depuis l’élection de son nouveau chef) déclarait, confiant, que désormais, avec la diffusion des vidéos contenant les témoignages et le commentaire des religieux, « il sera désormais propagé le véritable enseignement islamique sur la Jihad », précisant que « le concept de Jihad est uniquement acceptable dans les régions en guerre, là où des musulmans sont chassés de leurs territoires et leurs biens confisqués, comme en Palestine… mais pas en Indonésie lequel est un Etat pacifique ».

Au même moment, sur une télévision locale, Iqbal alias Abu Jibril, représentant du MMI (le Majelis Mujahidin Indonesia d’Abu Bakar Baashir) déclarait ouvertement ce qui attendait les « martyrs » (shahadah) une fois arrivé au paradis : 72 femmes et la possibilité pour chaque « martyr » d’intercéder en faveur de 70 personnes pour que celles-ci entrent au paradis.

Plus prosaïquement, selon des sources issues du renseignement indonésien, au moins quatorze personnes issues de la région de Java Centre et de Jogjakarta, possédant tous une instruction suffisante et constituant une « brigada istimata » (brigade d’hommes suicides), sont à même d’agir actuellement comme bombe humaine, à tout moment, n’importe où dans l’archipel. Par ailleurs, plus lutter plus avant contre les réseaux terroristes opérant sur le territoire indonésien, le Badan Intelijen Nasional (le BIN, l’agence nationale indonésienne de renseignement) a envoyé quelques uns de ses officiers aux Philippines, en Thaïlande ainsi qu’au Proche-Orient. Enfin, l’ancien chef de la Police indonésienne, le Général Sutanto, déclarait - sans plus de détail et en précisant que cela n’était plus le cas aujourd’hui - qu’une des sources importantes et avérées de financement des différents attentats islamistes en Indonésie se situait en Arabie Saoudite.

Interview with Lieutenant-General (Purn.) Kiki Syahnakri

































Lieutenant-General Kiki Syahnakri is a former WAKASAD (TNI-AD Deputy Chief of Staff)


Interview made on August 2002, by Philippe RAGGI, Académie Internationale de Géopolitique, France).

1. The TNI will soon have a new head, what do you think of it, in particular regarding to the discussions on the fact that the future Panglima should be from AD or from AU ?

For me, whether the next TNI chief is from the Army is not an issue. The most important things is that he meets the criteria.

First on the list is that he must be capable and has access necessary to face current challenges, namely:

- The solution to the problems in Aceh, Irian and Maluku.
- Continue with the reform process.
- Maintain solidarity within the TNI.

2. You will reach soon the retirement limit, how do you consider your future? Will you remain in the Army if we proposed to you to extend your active command ? and why ?

I have a farm land in West Java (he had his first harvest of strawberry early this month!)

An extension of my service will not be a problem. As a soldier I must be ready to take up any task entrusted on me as long as it is in the interest of the nation and state.

3. If you must leave TNI, do you think like many Generals (Ret.) entering in politics ?

I'm not interested.

4. When you see few Generals put in examination concerning the Timor case, and the request of several NGO demanding the accusation on top military commanders, from which distance in this point are we from Justice and from Politics ?

I personally want a judicial approach, not a political approach. But the issue is highly politicized. Take for example the U.S. insistence that certain generals be implicated in the trial of those accused of human rights abuses in East Timor. If the law finds them not guilty, how can we conviction them? This (American pressure) for Indonesia to punish the generals is a political maneuver. It is a U.S. target (aim) to have certain generals convicted in the East Timor trial. It is not fair especially if the law does not find them guilty. It's an American ambivalence. On the one hand they want to help TNI, the police, by providing equipment, but dictates that the aid be used to hunt for terrorist of their choice. We cannot use the aid for things other than that. The U.S. argues that it is concerned about the possible human rights violations by the TNI and police if their aid is used for purposes other than the war on terrorists. But in 1998, for example, it asked TNI and police to help protect its citizens; there was no question about TNI or police committing human rights violation in doing so as long as its citizens were safe.

5. To who soldier has to obey initially ? To his direct seniors officers ? To the higher heads of the TNI ? To the directives of the Government? The question could arise in some remote provinces of your country.

Chain of command is a universal issue. There is hierarchy, for example, a platoon must follow the order of its platoon commander, a company must obey its company commander and so on up to the central government. An abuse of the chain of command could be fatal. Take for example the 1965 Sept. 30 communist coup (involving the military). It's true that in reality, sometimes you cannot strictly follow the chain of command. For example, a platoon of A Company in an area of operation happens to be closer to a battalion commander than to his company commander. The platoon commander then reports to the battalion commander and follows his order, assuming that the battalion commander knows the area better than the company commander. On the other hand, the battalion commander must inform the company commander of the situation. Abusing the chain of command by taking direct order from those other than your immediate superior could prove fatal, as had happened in 1965.

Abuse of the chain of command is usually political and happened when TNI was heavily involved in politics. As a consequence, politics placed a close grip on TNI. There is still some politicking within TNI but only at a very small level.

6. How should be work the articulation between the practical military necessities (to restore order and thus to use the force) and the respect of the human rights ?

Universally there is a law that governs armed conflicts, the humanitarian law. Every country has it according to the types of threat they face. In Indonesia we have the emergency law that regulates the military's involvement in dealing with (armed) threats. On a lower level, there are rules of engagement. On practical level there are directives, such as the one made for troops sent to Aceh, how to conduct patrol, how to help the police etc. Apart from that there are sets of procedures to ensure that troops do not commit human rights violations. In fact, all the regulations, guidelines, directives and procedures help troops achieve their goals without violating the law.

Casualties cannot be avoided in any military operation. That is why we have all those regulations and guidelines etc. However, we cannot avoid violations; it is something that is unavoidable, even for a country like the U.S. The important thing is to remain committed to upholding the law and then we can eliminate the possibility of a violation.

7. In Aceh, the most Western province of Indonesia where a secessionist armed force (the GAM) faces the TNI, the situation seems to be better since last year (less civilian involved, less killed soldiers). Which is the reason ? Is this in relation with the implementation of a new regional military command (Iskandar Muda), or to a "sociocultural approach", or to other reasons?

It's true that the social approach in Aceh has contributed to the improvement of conditions there. However, the most important factor that has helped is serious efforts to improve the characters of TNI troops sent to Aceh.

Regarding the Iskandarmuda military command (Kodam), it is obvious that for the military, a command system is better than a coordination system. Aceh has two Korem (military district commands), Lilawangsa and Teuku Umar. Previously they were under the coordination of the Bukit Barisan military command in Medan. It is more effective to have a command in Aceh to have direct control and supervision.

Acehnese are proud of their Kodam. It was the Acehnese who proposed the reinstatement of the Iskandarmuda military command. It was a genuine proposal from the grassroots. They preferred to have their own (military) commander instead of someone from North Sumatra. They are a people with pride and dignity.

8. Some observators or commentators says that some high rank soldiers (active or retired) are behind the events of Maluku. They would organize the disorder not only to be placed - them and the military - in a position of recourse, but also to back in echo to the attacks which undergoes former President Suharto and his familly in front of justice. What do you think of these criticisms?

I don't see involvement of TNI high-ranking officers in Maluku. I think it's being politicized.

On the other hand, there are TNI members who are involved as individuals, which is understandable. In this era of reform, many people violate the law, the regulations and ethics. Members of the military too are not immune from this deviation and despite their pledge of allegiance, they are drawn to sectarian issues. There are individuals, small units, under the influence of narrow sectarian solidarity which is based on religious and ethnic interests, who are involved in Maluku. It is understandable, especially when they come from Maluku. They see their fathers, brothers, uncles killed by the other (ethnic and religious) groups. The emotional ties is the reason behind their involvement. That's why I agree with your article, although it was a bit late. Fortunately the TNI leadership has taken firm actions against members who are involved in the conflict, even dismiss them, although it a bit late. Cilangkap (TNI Headquarters) is the one to have made the decision.

9. Certain observers, like Van Zorge Associates, say that the TNI is crossed by three main factions : the conservatives, the activists and the hard liners. Do you recognize yourselves in one of these factions ? What could you say to us on the various factions existing within indonesian military institution ?

I wouldn't make that type of classification. What you mean by hardliners are probably those who want radical changes while the conservatives want normative changes. I think this better explains the existing groupings. After all, who doesn't want changes? Everybody in TNI wants to change. If you will, the radicals are people like Saurip Kadi or the late Agus Wirahadikusumah. But they are considered opportunists. Existing groupings are a legacy of TNI's past involvement in politics; they are remnants of past times, when TNI was still involved in politics. As I have said many times, if TNI enters politics, politics too will penetrate it, making it a rainbow-colored (colorful) organization. The damage did not end there because it created various color grouping -- the red-and-white group, the green, white, brown camps, this and that groups, all affected the recruitment process and career development of affected members. As a result, the merit system did not work, as officers relied on their (political) alliances for the advancement of their career. This in turn caused damage on TNI's professionalism, a decline in competence from the top to the lowest level. This legacy cannot just be removed in a year or two. Political considerations still play a role in recruitment and placement of officers. The situation is made worse by politicians who continue "recruiting" TNI officers for their own benefits. This has hampered consolidation efforts.

Given this condition, I would classify the TNI into professionals and opportunists.

There are indications of the professionals becoming stronger. Take for example the recruitment system at the Army Staff and Command College (Seskoad). Recruitment of students (under Suadi Atma) was professionally done and the result is better and better graduates . When I was colonel, there were no one who passed with flying colors; even those with Bs were fewer and fewer until the average scores were between 0 and 39. Slowly, with the improvement in the recruitment process, the results have also improved. We have started to see Bs once again, even As, because officers have come to realize that they must really study to pass. Political connection will not help any longer.

The college (under Suadi Atma) also changed the exam process. It is common knowledge that students used to get the answers before the exam. It is not the case anymore because Suadi arranged for students in different parts of the country to do the exam simultaneously. For example, those in Papua begin at 9 a.m., others in Central Indonesia at 8 a.m. and the rest in Western part of the country at 7 a.m. That way, they cannot contact each other for answers as they previously did.

Suadi also prepared five batches of questions and would only make a call to decide which one would be used at the last minute. It is a challenge for students to study well. I think this is an example of the professionals getting a stronger footing.

Apart from that, the Army Headquarters introduced a new promotion process. It will delay or even cancel a promotion if the concerned officer is recommended by outsiders. Everybody within the Army is fully supportive of this new system. That way, officers are free from political/outside interference. They don't feel they owe someone for their promotion and have to pay back one day.

10. Do you Think that the political system dissociating the President on one part and the executive on the other (entrusted to a Prime Minister, like in France) is the good one for Indonesia ? and which would be for you the best system regarding History, specificity and traditions of your country ?

Frankly speaking, I'm not really knowledgeable in this area.

It may be a good idea to separate the powers. We once had a prime minister (Sjahrir). Neither the dual system nor the presidential system have been fully tested in Indonesia. Under Pak Harto the (presidential) government worked more effectively than it does today. Before Soeharto governments came and went due to highly intensive political disturbances. During Pak Harto it was effective but lacked control. However, the insufficient (weak) control (balance in power) was more a result of a weak system and the regulations that gave too much power to the government, and not because it was a presidential system (power concentrated in one institution/person). I personally believe we must first review the regulations. What is happening today is a return to the situation in the 1950s, when people placed their personal and group interests above state and national interests. There are fewer people who are really thinking about national interests; rather, they place their political interests above all else.

Federalism is not the answer to the problem of separatism. It is TNI's concern to safeguard the integrity of the nation and state. Separatism is not the only issue that is threatening the country. Federalism can encourage regions that are otherwise content to join the demand for separation from the republic and create more trouble spots besides Aceh and Irian.

11. Do you think that the answer to the various separatist/secessionists disorders which shake Indonesia, could be the implementation of a Federal State ? and why?

Even with regional autonomy have had problems. Surabaya and Pasuruan in East Java, for example, are locked in a dispute over clean water. It nearly erupted into a conflict.

When I was Udayana military command, I was asked to speak at a seminar on regional autonomy at Udayana University in Denpasar. As a military officer, I presented a military point of view and focused on the security aspects. Then, I said regional autonomy could trigger new conflicts due to imbalances in natural resources. East Kalimantan, Riau and Irian, for example, generate different (more) regional incomes that other less rich provinces.

As a result, there will be flows of people from the poor regions to the rich provinces. Batam is an example. It lures people of various ethnic groups across Indonesia, from Batak people to Flores people, they fight each other and it is difficult to manage them. This kind of exodus can create inter-ethnic conflicts and could threaten national solidarity. So you see, even regional autonomy is creating a lot of problems, you can imagine if Indonesia becomes a federal state. Regional autonomy can also cause tensions over border areas. The fact is, borders between regions are a legacy of the old kingdoms and many of the bordering regions are religious and ethnic borders or a combination of both. Take Central and West Java, for example.

West Java is Sundanese, while Central Java is Javanese. Or Bali, in the east it borders East Java, a predominantly Muslim province while Bali itself is Hindunese. To the west it borders West Nusa Tenggara, which is a mix of Hindu (minority) and Muslim (majority). Border conflicts can therefore lead to ethnic or religious conflicts. So I think a federal system will not solve the problem; on the contrary, it will only augment the problem. At least for the time being, given the ethnic and religious conflicts, we are not ready for a federal system.

12. Do the TNI, spinal column and spinal cord of the country, have to give up the principle of the dwi-fungsi ? and why ? How the Army can start a reform without giving up what makes its specificity in the indonesian society ?

May be we need to define Dwifungsi before discussing it. If Dwifungsi means TNI's involvement in politics, then yes, nearly all of us agree to abandon politics (for active officers) and it is already agreed that TNI abandon politics in 2004.

On the other hand, if Dwifungsi refers to its initial concept, that it is a social function/role and not a political one, every military organization in the world has a social function/role. Looking back, it was not until 1986 that TNI adopted the political role as stipulated in Catur Darma Eka Karya (Cadek 1986 doctrine); previously, Dwifungsi was limited to social role.
It is too bad if military is not allowed to or cannot serve its social function/role. Even the U.S. military has a social role, for example in their operations other than war, such as civic missions. The original Dwifungsi concept was limited to civic missions, only later it developed to include politics.

To abandon politics is our commitment.

13. Still about Dwi-fugsi, according to you which is the smallest level where the TNI thrue the territorial military command must be present? The village, the under district, the district, the regency, the province ?

Even our observers are mixed up, they cannot differentiate between territorial organization/command and territorial functions. The territorial command is an organization that serves, among other things, to perform TNI's territorial functions. As an organization, it can change, but territorial function, like a social function, is the same in every country. Since its birth, TNI has performed a territorial function. In order to defend the country's independence, people formed TKR (Tentara Kemanan Rakyat/People's Security Force), which later changed to TRI (Tentara Republik Indonesia/the Armed Forces of the Republic of Indonesia). That means TNI drew its sources from communities, the people, who were concerned with defense and security matters. In its development, it became an organized armed forces and developed a tactic called wehrkreise with TNI as the core element. There developed a synergy between TNI and the people, the latter supplied information, logistics and even additional manpower to the troops. This could only happen because of good relationship between the people and TNI.

After the 1950s, TNI had to face armed rebellions and continued to rely on the concept of wehrkreise, although the name Kodam was not yet used. However, the principle was basically the same, we had bintara (non-commissioned officer) attached to district offices. Today they are called Wanra (Perlawanan Rakyat/People's Defense) whose role was to gather information. Just before the 1965 communist coup, Pak Yani (Army chief of staff) improved the system and restored Koramil (subdistrict military command) at district levels. At that time TNI already had military regional commands (Kodam), military resort command (Korem) and military district command (Kodim).

At the time, the objective of the territorial organizational structure was to fend off the growing influence of the communists. There were cases of communist attacks, such as the famous Bandar Betsy incident. The territorial bodies were needed to protect the people from communist attacks/influence.

During the New Order government, the territorial concept was maintained because it was felt necessary. However, the aim had shifted and it was needed to safeguard national development and the situation had become more complicated than before. The territorial bodies then served to manage public potentials for defense purposes. In industry, for example, every country has a defense industry. In Japan, the automotive industry is tasked with producing component for armored cars and other tactical vehicles. One day, when the need arises, the automotive industry can be switched immediately into a defense industry. The transport/communications sector, too, can contribute to national defense. Take Singapore as an example, it built a highway that can also function as a military runway in times of emergency.

As for Indonesia, we have, for example, Miangas Island in Sangir Talaud, North Sulawesi. It is the country's northern most part. We need the island as a surveillance post. Our aircraft cannot reach Miangas without refueling. Besides, the pilots too need to rest after several hours of air surveillance mission. In this context, the Sam Ratulangi airport in Manado needs to be upgraded so it can accommodate F-16 aircraft. Or, we need an airstrip in Miangas that can handle a Hercules transport plane.
It is not TNI's job to upgrade the airports, but we can, through the ministry of defense, propose to the ministry of transportation to do it for defense purposes.

These are the things TNI do to manage national defense potentials and these are the things covered by TNI's territorial function. So it is important to differentiate between territorial function and territorial organization

As for the territorial commands, we did not have Kodam or Koramil or Kodim (territorial organizations) during the revolution period, but TNI's territorial function worked. During the revolution for independence, battalions were recognized by the names of their commanders, for example, Battalion Nasuhi (led by Nasuhi), Battalion Wirahadikusumah (led by Wirahadikusuah), Battalion A. Yani etc, each performing the territorial role well.

Today, we don't have the money to replace the territorial organizations to safeguard our territory. If they are dissolved, who will safeguard the country?

On the other hand, we must not reject the possibility of its dissolution one day. According to a research on TNI's territorial organization carried out by the Indonesian Institute of Sciences (LIPI) in 2000, 75 percent of respondents said TNI's territorial organization was still needed while the other 25 agreed for its liquidation. However, it must be noted that the 75 percent respondents came from low- and middle-income groups, while the remaining 25 came from high income group. With time, as Indonesia prospers, the percentage of people with better income and education will increase and one day 75 percent of them may demand the disbandment of TNI's territorial organization. It takes more than a decade to arrive at such a percentage. So I don't agree if the territorial organization is dissolved now. At the moment, it is more important to reorganize it and return it to the original concept, which is to tap on public potentials for defense purposes.

14. The KOSTRAD is an eminently specific unit in Indonesia according to you, the nomination in Pangkostrad should necessarily require which precise criteria regarding the strategical position, and also necessarily" political ", of the KOSTRAD?

A Kostrad chief (Pangkostrad) must be a man with a proven field track record, who understands the need to coordinate all the units under his command. Kostrad is an inter-discipline, inter-departmental (inter-divisional) force and a Pangkostrad must understand the characteristics of each division (unit), how to forge synergy among the different divisions. (what he means is that there is the infantry, the cavalry, the engineer and other various division, each with their own needs and responsibility).

15. The KOSTRAD had been involved in financial embezzlements before Ryakudu Command. How this kind of things can happen in a elite unit which must have executives having an elite morality ?

I don't really know why, but maybe because of (involvement in) politics. But under Ryamizard, the funds were well used to improve professionalism and welfare. Improving professionalism through training is the best form of welfare a leader can give to his troops because when troops are well-trained, they perform well in conflict areas (battles) and return home alive. Training, is therefore the highest form of welfare for troops, and Kostrad under Ryamizard did that, used the funds to train the troops.

16. Does the current TNI have, according to you, sufficient human ressources, materials and budget to achieve its mission under best the conditions? What would be necessary for that ?

TNI lacks in all the things you mention, human resources, materials, budget. For example, the budget for training covers only one-thirtieth of the actual requirement. We need sufficient budget to improve the quality of our human resources through better training, the necessary equipment to assist troops in carrying out their tasks.

17. What sort of resources such a vast country like Indonesia could set up to fight against terrorism ?

The people are the most important asset in the fight against terrorism. Terrorism can survive if it is supported by the people. The people must therefore be involved in the fights against terrorism, TNI alone cannot do it.

18. Pancasila does not privilege a religion rather than another, just like the Constitution of 1945 say. What should be, according to you, the place of Islam in the indonesian nation on the one hand and the political life in the other hand, this regarding to the talks on the Jakarta Chapter (these seven words crossed out during the development of the 1945 Constitution, and relating to Islam) ?

TNI's ideology is the ideology of the state and the state ideology is Pancasila. TNI is committed to maintaining the commitment of the Indonesian people and to preserving the diversity of the people. Pancasila is therefore the best answer, there is no place for extremism, be it left or right.

19. Is the relationship between Indonesia and France, according to you, satisfactory in the current situation ? Which would be the specific fields of cooperation which you would wish to see developing between our two countries?

Indonesia-French relations are not yet satisfactory, in my view. France has one of the most modern military in the world, both in terms of skills and equipment. Indonesia could have learned more from France. Maybe through an exchange of students, for example to Seskoad, or joint exercises, or joint exercises for the special forces like the one we have with several countries, including Thailand.

20. Following Leahy amendement, since 1999 the USA cannot provide Indonesia in military hardware is it an " opportunity " to diversify your hardware and for example to treat with countries like France?

Leahy or no Leahy, Indonesia must diversify its hardware.

21. What do you think of the French Military and its soldiers? Do you appreciate some of its chiefs, present or passed, and who ?

I don't really know about your military except for General Charles de Gaulle.

22. Thanks a lot General for your time and your kindness.

Interview du Lieutenant Général (ER) Kiki Syahnakri.

Réalisé début Août 2002 par Philippe RAGGI.



















Petit portrait, état des services.
Le Major-Général Kiki Syahnakri a été nommé Adjoint au Chef d'Etat Major de l'Armée de Terre Indonésienne (WAKASAD) le 6 Novembre 2000, et il vient de faire valoir ses droits à la retraite en Mai 2002. Agé de 55 ans, il fut diplômé de l'Académie Militaire (AKABRI) en 1971.
Entre 1994 et 1995, durant huit mois, il fut Commandant Militaire de Dili, l'actuelle capitale du Timor indépendant. Par la suite il devint "assistant opération" auprès du Chef d'Etat-Major de l'Armée de Terre, où il fut l’artisan d’une réforme de l’entraînement des soldats, afin d'améliorer leur professionnalisme. Plus tard, ce même programme d'entraînement a été appliqué à l'échelon Bataillon et des Commandements de Brigade.
A partir de Septembre 1999, Kiki Syahnakri devint Chef du Commandement Militaire d'Udayana (coiffant les petites îles de la Sonde, et donc le Timor). C'est le Général Wiranto, en ce temps chef des armées indonésiennes, qui le nomma Chef du Commandement Militaire d'Udayana, avec pour dure mission de "restaurer la sécurité et l'ordre au Timor" en deux semaines (!). Une mission quasi-impossible, laissait-il entendre, au moment de sa prise de commandement; le Major-Général ajoutait que même le Général Schwartzkopf n'aurait pu accomplir une telle mission.
Au cours de son Commandement, il réussit malgré les pires difficultés à infléchir la courbe des actes de violence et de destruction dans l'île de Timor. Cette île, livrée à l'anarchie, était la proie des "milices" pro-intégration et pro-indépendance depuis les résultats du vote du 30 Août 1999.
Quand le 27 Septembre 1999, les forces de l'INTERFET prirent le relais des forces indonésiennes, un semblant d'ordre était rétabli dans les deux côtés de l'île. En effet, le Général Syahnakri avait entrepris de désarmer les "milices" anti-indépendance qu'il préfère appeler "combattants pro-intégration". Ce fut un travail de longue haleine, et non encore totalement achevé; les multiples difficultés logistiques et le manque patent d'effectif étant les principaux obstacles.
Syahnakri ne fut pas un "étranger" au Timor; il parle couramment le Tetun (dialecte local), et il a des amis dans les deux camps, tant parmi les pro-intégrationnistes que parmi les indépendantistes.
Il fut de ceux qui respectèrent la décision prise par les Timorais de l'Est au cours du vote du 30 Août 1999; "même s'ils furent mes anciens ennemis, ils sont à présent un peuple libre qui nous est voisin; et il n'y a aucune autre alternative que de maintenir de bonnes relations avec eux, et je pense qu'ils ne défendraient pas leurs intérêts s'ils ne maintenaient de bonnes relations avec l'Indonésie", souligne Syahnakri qui connaît très bien les chefs indépendantistes tels Ramos Horta, Leandro Isac et Taur Matan Ruak.

Le Général Syahnakri nous a reçu dans son bureau situé dans un building de Jakarta. Au mur, on peut admirer entre autre un portrait du Général Sudirman. Sur une commode, des trophés et autres récompenses du temps de la période active du Général; quelques photos encadrées avec des Généraux étrangers, notamment des australiens.


Retranscription de l'interview :


Mon Général, la TNI va bientôt avoir un nouveau chef, qu’en pensez-vous, notamment eu égard aux discussions sur le fait que le futur Panglima [Chef d'Etat Major des Armées] devrait être de l’Armée de Terre ou de l’Armée de l’Air ?

En ce qui me concerne, que le prochain chef des armées soit de l'armée de Terre ou non n'est pas un sujet en soi. Le plus important est qu'il corresponde aux critères requis. Le premier sur la liste de ces critères est qu'il soit capable, doué, et qu'il ait la capacité indispensable pour faire face aux défis actuels, c'est à dire : la solution aux problèmes d'Aceh, d'Irian [la partie occidentale de la Papouasie Nouvelle Guinée] et des Moluques, la poursuite du processus de réforme, le maintien de la solidarité au sein de la TNI.

Vous allez atteindre l’âge de la retraite comment envisagez-vous votre avenir ? Allez-vous rester dans l’armée si l’on vous proposait de prolonger votre période active ? Si vous quittez l’armée, pensez-vous comme beaucoup de Généraux (ER) entrer en politique ?

J'ai une ferme et des terres dans l'Ouest de Java [le Général a eu sa première récolte de fraises au début du mois]. Une prolongation de ma période d'activité ne serait pas un problème. En tant que soldat je dois être prêt à m'acquitter de toute tâche que l'on me confierait pour autant que cela aille dans le sens des intérêts de la nation et de l'Etat. Quant à entrer en politique, cela ne m'intéresse pas du tout.

Quand vous voyez certains Généraux mis en examen à propos du Timor, pensez-vous que ce soit œuvre de Justice ou une affaire de politique ?

Personnellement, je souhaiterais une approche juridique, et non politique de la chose. Mais la question est hautement politisée. Prenez par exemple l'insistance américaine pour que certains généraux soient impliqués au procès portant sur la violation des Droits Humains au Timor Oriental.
Si la Loi ne fait pas d'eux des coupables, en quoi devrions nous les condamner ? Cette pression américaine sur l'Indonésie est une manœuvre politique. C'est un objectif (un dessein) américain que de voir certains généraux coupables dans le procès concernant le Timor Oriental. Ceci n'est pas équitable d'autant plus si la Loi ne fait pas d'eux des coupables. C'est une ambivalence américaine.
D'un côté ils veulent aider la TNI, la Police, en fournissant des équipements, mais ils imposent que l'aide soit utilisée pour chasser les terroristes de leur choix. On ne peut utiliser l'aide pour autre chose que cela. Les Etats-Unis avancent l'argument de la violation des Droits Humains par la TNI et la Police, si l'aide qu'ils donnent n'est pas utilisée pour autre chose que pour la guerre contre le terrorisme. Mais en 1998 par exemple, il a été demandé à la TNI et à la Police d'aider à la protection de ses citoyens; il n'était pas question pour la TNI, ou pour la Police, de violer les Droits de l'Homme en le faisant, pour autant que ses citoyens étaient en sécurité.

A qui le soldat doit-il obéir en premier lieu ? A ses supérieurs hiérarchiques directs ? Aux chefs supérieurs des armées ? Aux directives du Gouvernement ? La question peut se poser dans certaines provinces reculées de votre pays.

La question de la chaîne de commandement est universelle. Il y a une hiérarchie; par exemple vous avez le cas d'une section qui doit suivre les ordres de son chef de section, une compagnie qui doit suivre les ordres de son commandant d'unité, et ainsi de suite jusqu'au gouvernement central. Un abus dans la chaîne de commandement peut être fatal. Prenez par exemple le coup d'Etat communiste du 30 septembre 1965 (impliquant des militaires).
Il est vrai qu'en réalité, il arrive parfois vous ne pouvez pas suivre strictement la chaîne de commandement. Une section d'une compagnie "A" dans une zone d'opération, par exemple, sera beaucoup plus proche des ordres de son chef de bataillon que de ceux de son commandant de compagnie. Le chef de section rend compte au chef de bataillon et suit ses ordres, présupposant que le chef de bataillon connaît davantage la zone que le commandant de compagnie. D'un autre côté, le commandant de bataillon doit informer le commandant de compagnie de la situation. Un abus dans la chaîne de commandement, en prenant directement ses ordres d'autre que ceux qui sont de vos supérieurs hiérarchiques directs, peut s'avérer fatal, c'est ce qui s'est passé en 1965.
L'abus dans la chaîne de commandement est habituellement politique et elle est apparu quand la TNI était lourdement impliquée dans le politique. Comme conséquence, le politique s'est davantage saisi de la TNI. Il y a certes toujours eu quelques préoccupations politiques électorales au sein de la TNI mais seulement à un petit niveau.

Comment doit s’opérer l’articulation entre les impératifs militaires conjoncturels (rétablir l’ordre et donc utiliser la force) et le respect des droits de l’homme ?

Universellement il y a des lois qui régissent les conflits armés, les lois humanitaires/humaines.
Chaque pays a les siennes eu égard aux différents types de menaces auquel il fait face. En Indonésie nous avons une loi d'urgence qui régit l'implication des armées dans les échanges qu'elles pourraient avoir avec les menaces (armées). A un niveau subalterne, il y a des règles d'engagement. Au niveau pratique il y a des directives, comme celles qui ont été données pour les troupes envoyées à Aceh : comment effectuer des reconnaissances, comment venir en aide aux forces de Police, etc. A l'exception de cela, il y a un ensemble de procédures pour s'assurer que les troupes sur le terrain ne commettent pas de violations des Droits Humains. En fait, toutes les ordonnances, règles de conduite, directives et procédures aident les troupes à atteindre leurs objectifs sans violer la loi.
Les dommages ne peuvent être évités dans aucune opération militaire. C'est pourquoi nous avons toutes ces ordonnances et règles de conduite, etc. Cependant, nous ne pouvons éviter des violations; c'est quelque chose d'inévitable, même pour un pays comme les Etats-Unis. La chose importante est de se maintenir dans le respect de la loi et là seulement nous pouvons éliminer la possibilité d'une violation.

A Aceh, la province la plus occidentale de l’Indonésie où une force armée sécessionniste (le GAM) affronte la TNI, la situation semble s’améliorer depuis quelques temps (moins de civils touchés, moins de militaires tués). Quelle en est la raison ? Est-ce du à la mise en place d’un nouveau commandement militaire régional, à une approche « socio-culturelle », ou bien à d’autres raisons ?

Il est vrai que l’approche sociale à Aceh a contribuée à l’amélioration des conditions sur le terrain.
Toutefois, le facteur le plus important et qui a vraiment contribué à cela sont les sérieux efforts pour améliorer la détermination des troupes de la TNI envoyés à Aceh.
Concernant le Commandement Militaire d’Iskandar Muda (Kodam), il est manifeste que pour l’armée, un système de commandement est meilleur qu’un système de coordination. Aceh a deux Korem (commandements militaire de district), Lilawangsa et Teuku Umar. Auparavant, ils étaient sous la houlette du commandement militaire de Bukit Barisan basé à Medan. Il est plus efficace d’avoir un commandement à Aceh pour avoir un contrôle direct et une supervision.
Les achenais sont fiers de leur Kodam. Ce sont les achenais eux-mêmes qui ont proposé le rétablissement du Commandement Militaire d’Iskandar Muda. C’était une réelle proposition issue de la base. Ils préfèrent avoir leur propre Commandant (militaire) au lieu de quelqu’un de Sumatra du Nord. C’est un peuple fier et digne.

Un certain nombre d'hommes politiques ou de commentateurs disent que certains militaires, d’active ou en retraite, sont derrière les événements des Moluques. Ils organiseraient le désordre non seulement pour se placer, eux et l'Armée, dans une position de recours, mais également pour répondre en écho aux attaques que subit l'ancien Président Suharto devant la justice. Que pensez-vous de ces critiques ?

Je ne vois aucune implication d’officiers de haut rang dans l’affaire des Moluques. Je crois avant tout que cela a été politisé.
D’un autre côté, il faut admettre que des membres de la TNI ont été impliqués à titre individuel, ce qui peut se comprendre. En ces temps de réforme, beaucoup de personnes violent la loi, les règlements et l’éthique. Les membres de la TNI non plus ne sont pas immunisés contre ces déviations et en dépit de leur promesse de loyauté, ils sont entraînés vers des issues sectaires. Il y a des individus, de petites unités qui, sous l’influence d’une solidarité sectaire voisine ayant pour racine des intérêts ethniques et religieux, sont impliqués aux Moluques. Ils voient leurs pères, leurs frères, leurs oncles tués par d’autres groupes (ethniques et religieux). Les liens émotifs sont les raisons expliquant leur implication. C’est pourquoi je suis d’accord mais seulement en partie avec votre propos. Heureusement, la direction de la TNI a pris des mesures fermes contre les membres qui ont été impliqués dans le conflit, jusqu’à les radier de l’armée, bien que cela fut décidé certainement un peu tard. C’est Cilangkap (Le QG de la TNI) qui en a pris la décision.

Certains observateurs, comme Van Zorge Associates, disent que la TNI est traversé par trois courants : les conservateurs, les activistes et les partisans d’une ligne dure. Vous reconnaissez-vous dans un de ces courants ? Que pourriez-vous nous dire sur les différents courants de pensée existant au sein de l’institution militaire indonésienne ?

Je ne ferais pas ce genre de classification. Ceux que vous désignez par « partisans d’une ligne dure » sont ceux qui voudraient des changements radicaux alors que les « conservateurs » voudraient des changements plus gradués. Je pense qu’il est préférable tout d'abord d’expliquer l’existence de ces groupes.
Après tout, qui ne souhaite pas de changements ? Tout le monde dans la TNI veut du changement.
Si vous voulez, les « radicaux » sont les personnes comme Saurip Kadi [Major Général, ancien assistant pour les affaires territoriales de l'armée de Terre]ou le défunt Agus Wirahadikusumah [également Major Général qui dirigea sous la Présidence d'Abdurrahman Wahid, quelques mois le Kostrad, le Commandement des réserves stratégiques. Décédé le 30 août 2001]. Mais ils sont plutôt considérés comme des opportunistes.
Les groupes existants sont un héritage de l’ancienne implication de la TNI en politique ; ce sont des scories du temps passé, lorsque la TNI était encore impliqué dans le politique. Comme je l’ai dit à plusieurs reprises, si la TNI entre en politique, la politique elle aussi entre dans la TNI, faisant d’elle une organisation colorée arc-en-ciel. Le préjudice n’a pas cessé par la création de groupes « colorés » : les groupes rouge et blanc, les verts, les blancs, les marrons, les uns et les autres, tous ont affecté le processus de recrutement ainsi que le développement de carrière des membres « engagés ». Au résultat, le système du mérite n’a plus fonctionné, puisque les officiers comptaient sur leurs alliances (politiques) pour leur avancement de carrière. Ceci causa à la suite des torts au professionnalisme de la TNI, un déclin des compétences du plus bas au plus haut niveau de la hiérarchie.
Cet héritage ne peut pas s’éliminer en un an ou deux. Les considérations politiques continuent à jouer un rôle dans le recrutement et la nomination des officiers. La situation empire également du fait que des politiciens continuent de « recruter » des officiers de la TNI pour leurs propres bénéfices. Ceci a retardé la consolidation des efforts.
Ayant donné ces éléments, je classerais donc les membres de la TNI entre professionnels et opportunistes.
Il y a des indications qui portent à croire néanmoins que les « professionnels » deviendraient plus forts. Prenez par exemple le système de recrutement au Seskoad (Collège d’Etat Major et de Commandement; [notre Collège Interarmées de Défense]). Le recrutement d’étudiants (sous Suadi Atma [Brigadier Général, ancien commandement en second de l'Académie Militaire Indonésienne]) était effectué professionnellement et le résultat était des diplômés de très bonne tenue. Quand j’étais Colonel, personne ne réussissait avec les félicitations ; même ceux qui avaient des « B » étaient de moins en moins nombreux jusqu’à ce que des résultats moyens se situent entre 0 et 39. Peu à peu, avec l’amélioration du processus de recrutement, les résultats se sont aussi améliorés. Nous avons commencé à voir des « B », même des « A », parce que les officiers avaient réalisé qu’ils devaient réellement étudier pour réussir leurs examens. Les liens politiques ne pouvaient plus être d’aucune aide.
Le Collège en question (toujours sous Suadi Atma) a également modifié le système des examens. Il est de notoriété publique que les étudiants avaient les réponses avant même les examens. Ce ne fut plus le cas par la suite car Suadi avait mis en place différents centres d’examens répartis dans tous le pays et où les épreuves se déroulaient simultanément. Par exemple, ceux qui se trouvaient en Papouasie commençaient à 9 heures le matin, les autres en Indonésie centrale à 8 heures et le reste, dans la partie occidentale du pays, à 7 heures. De cette façon, ils ne pouvaient pas s’échanger les réponses comme cela se faisait auparavant.
Suadi avait également mis en place cinq séries de questionnaires et avertissait à la dernière minute seulement laquelle serait utilisée. C’est un défi pour les étudiants que de travailler correctement. Je pense que c’est l’exemple même de professionnels améliorant leurs assises.
Ceci mis à part, le QG de l’armée de Terre a introduit un nouveau procédé de promotion. Il retarderait ou même annulerait une promotion si l’officier concerné était recommandé par des « éléments extérieurs ». Tous le monde à l’intérieur de l’armée de Terre est à cent pour cent d’accord avec ce nouveau système. De la sorte, les officiers sont libres vis à vis des interférences extérieures et politiques. Ils ne se sentent plus redevable à qui que ce soit pour leur promotion et ne doivent plus un jour ou l’autre renvoyer l’ascenseur.

Pensez-vous que le système politique dissociant le Président d’une part et l'exécutif d’autre part (confié à un Premier Ministre, comme en France) soit le bon pour l'Indonésie ? et pensez-vous que la réponse aux différents troubles sécessionnistes / séparatistes qui secouent l'Indonésie, soit la mise en place d'un Etat Fédéral ?

Franchement, je ne suis pas un grand connaisseur dans ce domaine. Ce serait une bonne idée de séparer les pouvoirs. Nous avons eu dans le temps d'ailleurs un premier ministre (Sjahrir) [aujourd'hui il y seulement un poste de vice-Président].
Ni le système dual, ni le système présidentiel ont été véritablement pratiqué en Indonésie. Sous Pak Harto le gouvernement (présidentiel) a travaillé plus efficacement qu'il ne peut le faire aujourd'hui.
Avant Suharto, les gouvernements allaient et venaient, ceci à cause du nombre important de valses politiques. Au temps de Pak Harto le gouvernement était efficace mais manquait d'instances de contrôle. Cependant, le manque (la faiblesse) de contrôle (contre balancement du pouvoir) était davantage le résultat d'une faiblesse du système et des règlements qui donnaient trop de pouvoir au gouvernement, que du fait qu'il s'agissait d'un système présidentiel (le pouvoir concentré dans les mains d'une seule personne/institution).
Personnellement, je pense que nous devrions revoir la réglementation. Ce qui arrive aujourd'hui, est un retour à la situation des années 50, quand les personnes et les groupes plaçaient leurs intérêts au-dessus de ceux de l'Etat et des intérêts nationaux. Peu nombreux sont ceux qui pensent réellement aux intérêts de la nation; au contraire, ils placent leurs intérêts politiques avant toutes autres considérations. Le fédéralisme n'est pas une réponse au problème du séparatisme. C'est la tâche de la TNI que de sauvegarder l'intégrité de la nation et de l'Etat. Le séparatisme n'est pas la seule question qui menace le pays. Le fédéralisme pourrait même encourager les régions à exiger une séparation d'avec la République et créer ainsi davantage de zones instables autres que Aceh et l'Irian [la Papouasie occidentale].
L'autonomie régionale accordée [à partir du 1er janvier 2001]a elle-même apporté des problèmes.
Surabaya et Pasuruan à l'Est de Java, à titre d'exemple, sont enfermés dans des disputes à propos de l'assainissement de l'eau. Cela a presque débouché sur un conflit. Quand j'étais Commandant militaire d'Udayana, on m'avait demandé de parler lors d'un séminaire sur l'autonomie régionale à l'Université Udayana de Denpasar. En tant qu'officier militaire, j'ai présenté un point de vue militaire et me suis concentré sur l'aspect sécuritaire. Et j'ai dit que l'autonomie régionale pouvait déclencher de nouveau conflits ceci à cause du déséquilibre existant dans ressources naturelles.
Kalimantan de l'Est, Riau et l'Irian, par exemple, génèrent des revenus régionaux (fort) différents par rapport à d'autres provinces moins dotées. Au résultat, cela conduirait à un flot de personnes issues des régions pauvres vers les provinces riches. Batam est un bon exemple. Il attire des personnes de différentes ethnies de l'Indonésie, des Bataks aux Flores; ils s'affrontent entre eux et il est difficile de les contenir. Cette sorte d'exode peut créer des conflits inter ethniques et pourrait menacer la solidarité nationale. Alors, vous voyez, même l'autonomie régionale est en mesure de générer un grand nombre de problèmes; et vous pouvez imaginer donc, ce qui arriverait si l'Indonésie devenait un Etat fédéral.
L'autonomie régionale peut également causer des tensions sur les zones frontières. Il est un fait est que les frontières inter-régionales sont un héritage des vieux royaumes et que plusieurs régions frontalières sont des frontières religieuses et ethniques ou une combinaison des deux. Prenez Java du Centre et Java de l'Ouest par exemple. La partie occidentale de Java est Sundanaise, alors que Java du Centre est Javanaise. Ou encore Bali, à l'Est jouxtant la partie orientale de Java, province à prédominance musulmane alors que Bali est elle-même hindoue. Sur son Ouest, il borde Nusa tenggara de l'Ouest, qui est un mélange d'hindous (minoritaire) et de musulmans (majoritaire). Les lignes de conflits pourraient donc conduire à des affrontements à caractère ethnique ou religieux.
C'est pourquoi je pense qu'un système fédéral ne résoudrait pas le problème; tout au contraire, cela l'augmenterait. Du moins, actuellement, étant donné les conflits ethniques et religieux, nous ne sommes pas prêts pour un Etat fédéral.

L'Armée indonésienne, colonne vertébrale et moelle épinière du pays, doit elle renoncer au principe de la dwi-fungsi ? et pourquoi ? Comment l'Armée peut elle entamer une réforme sans renoncer à ce qui fait sa spécificité dans la société indonésienne ?

Peut-être qu'il serait bon de définir ce qu'est la Dwifungsi avant d'en parler. Si la Dwifungsi veut dire implication de la TNI dans le politique, alors oui, nous sommes presque tous pour le retrait du politique (pour les officiers d'active) et il est d'ailleurs quasiment entendu que la TNI quittera l'arène politique en 2004.
D'un autre côté, si l'on entend la Dwifungsi comme référence à ce que ce concept représentait initialement, c'est à dire un rôle, une fonction sociale et non politique, toutes les organisations militaires du monde entier ont ce rôle, cette fonction sociale. Si l'on regarde dans le passé, on constate que ce n'est pas avant 1986 que la TNI a adopté un rôle politique, comme il est stipulé dans le Catur Darma Eka Karya (la doctrine Cadek de 1986); auparavant, la Dwifungsi était limitée au rôle social. Il serait malheureux que les militaires n'aient pas l'autorisation de pratiquer leur rôle, leur fonction sociale. Même les militaires américains ont un rôle social, par exemple dans leurs opérations "non guerrières" comme les missions civiques. Le concept de Dwifungsi originel était limité aux missions civiques, c'est seulement après qu'il s'est étendu et a inclus son volet politique. Quitter la sphère politique est notre devoir.

Toujours au sujet de la Dwi-fugsi, quel est selon vous l'échelon le plus petit où l'Armée doit être présente ? Le village, le sous district, le district, regency, la province ?

Sur ce sujet, même nos observateurs sont partagés, ils ne peuvent faire la différence entre un commandement, une organisation territoriale d'une part et les fonctions territoriales d'autre part. Le commandement territorial est une organisation qui sert, entre autres choses, à mettre en œuvre les fonctions territoriales de la TNI. En tant qu'organisation, il peut changer, mais la fonction territoriale, comme la fonction sociale, est le même dans chaque pays. Depuis sa naissance, la TNI a eu une fonction territoriale. Dans le but de défendre l'indépendance de l'Indonésie, le peuple a formé le TKR (Tentara Kemanan Rakyat/Forces de Sécurité Populaire), qui est devenu plus tard la TRI (Tentara Republik Indonesia/ les Forces armées de la République d'Indonésie). Ceci veut dire que la TNI prend sa source dans les communautés, du peuple, lequel est concerné par les affaires de défense et de sécurité. Au cours de son développement, elle est devenue une force armée organisée et a développée une tactique appelée wehrkreise avec la TNI comme élément essentiel. Il y a eu une synergie qui s'est développée entre la TNI et le peuple, ce dernier fournissant le renseignement, la logistique et même de la main d'oeuvre supplétive à la troupe. Ceci n'a pu seulement arriver que grâce aux bonnes relations existant entre le peuple et la TNI.
Après les années 50, la TNI a eu a faire face à des rebellions armées et a continué à s'appuyer sur le concept de wehrkreise, bien que le nom de Kodam ne fût pas encore usité. Toutefois, le principe était quasiment le même, nous avions des Bintara (sous-officiers) attachés aux bureaux de district.
Aujourd'hui, ils sont appelés Wanra (Perlawanan Rakyat/ Défense Populaire) et leur rôle consiste en la collecte du renseignement. Juste avant le coup d'Etat communiste de 1965, Pak Yani (le Chef d'Etat Major de l'Armée de terre) a amélioré le système et a rétabli les Koramil (Commandements militaires de subdistricts) au niveau du district. En ce temps là, la TNI avait déjà des Commandements militaires régionaux (Kodam), des Centres de Commandement militaire (Korem) et des Commandements militaires de district (Kodim).
A cette époque, l'objectif de la structure organisationnelle territoriale était de contenir l'influence grandissante des communistes. Il y a eu des cas d'attaques communistes, comme celle de l'incident fameux de Bandar Betsy. Le corps territorial était nécessaire pour protéger le peuple de l'influence communiste, des attaques communistes.
Durant le gouvernement de l'Ordre Nouveau, le concept territorial fut maintenu à cause du fait qu'il était ressenti comme indispensable. Toutefois, l'objectif avait été modifié et il était nécessaire pour la sauvegarde du développement national, et la situation était devenue plus compliquée qu'avant. Le Corps territorial a alors servi à gérer les potentialités du peuple en vue d'une défense. Dans l'industrie, par exemple, chaque pays possède une industrie de défense. Au Japon, l'industrie automobile est tenue de produire des composants pour les véhicules blindés et autres véhicules tactiques. Un jour ou l'autre, quand nécessité fait loi, l'industrie automobile peut immédiatement se transformer en industrie de défense. Le secteur des transports et communications également, peut contribuer à la défense nationale. Prenez Singapour par exemple, et bien ils construisent des autoroutes qui peuvent aussi servir de pistes d'attérissage en temps de crise.
Pour ce qui est de l'Indonésie, nous avons, par exemple, les Iles Miangas à Sangir Talaud, au Nord de Célèbes. C'est le point le plus septentrional du pays. Nous avons besoin de ces îles comme point de surveillance. Nos avions ne peuvent atteindre les Miangas sans ravitaillement en carburant. En outre, les pilotes doivent aussi se reposer après plusieurs heures de vol en mission de surveillance.
Dans ce contexte, l'aéroport de Sam Ratulangi à Manado devrait être modifié pour s'adpter aux avions F-16. Ou alors nous aurions besoin d'une piste d'attérissage aux Miangas en mesure de recevoir des avions de transport Hercules. Ce n'est pas le travail de la TNI que de modifier et d'améliorer les aéroports, mais nous pouvons, par le biais du Ministère de la Défense, proposer au Ministère des Transports de le faire dans un but de défense.
Ceci sont des choses que la TNI doit gérer dans le cadre des potentialités de défense nationale et ce sont les choses couvertes par la fonction territoriale de la TNI. Donc il est important de bien différencier la fonction territoriale de l'organisation territoriale.
Au sujet des commandements territoriaux, nous n'avons pas eu de Kodam, ou de Koramil ou encore de Kodim (organisations territoriales) pendant la période révolutionnaire, mais la fonction territoriale de la TNI existait bien. Pendant la révolution pour l'indépendance, les bataillons étaient reconnu par le nom de leurs chefs, par exemple, Bataillon Nasuhi (dirigé par Nasuhi), Bataillon Wirahadikusumah (dirigé par Wirahadikusuah), Battaillon A. Yani etc, et chacun a eu un très bon rôle territorial.
Aujourd'hui, nous n'avons pas d'argent pour remplacer les organisations territoriales dans le but de sauvegarder le territoire. Si ces organisations sont dissoutes, qui protègera le pays ?
D'un autre côté, nous devons rejetter la possibilité de leur dissolution un jour. Selon une enquête portant sur l'organisation territoriale de la TNI menées par l'Institut des Sciences (LIPI) en 2000, 75% des questionnés ont répondu que l'organisation territoriale de la TNI était toujours nécessaire alors que 25% était d'accord pour sa dissolution. Cependant, il faut noter que les 75% des interrogés étaient issus de groupes aux revenus bas et moyens, alors que les 25% restant étaient issu des classes favorisées. Avec le temps, l'Indonésie prospérant, le pourcentage des gens ayant de meilleurs revenus et un plus haut niveau d'instruction augmentera et un jour, 75% d'entre eux pourrait demander le démantellement de l'organisation territoriale de la TNI. Cela prend plus d'une décennie pour arriver à un tel pourcentage. Alors, je ne suis pas d'accord pour la dissolution de l'organisation territoriale. A l'heure actuelle, il est plus important de le réorganiser et de revenir au concept originel, lequel est d'utiliser le potentiel populaire pour les besoins de défense.

Le KOSTRAD est une unité éminemment spécifique en Indonésie ; selon vous, la nomination au Pangkostrad devrait répondre à quels critères précis étant donné la position stratégique, et aussi nécessairement "politique", du KOSTRAD ?

Le Chef du Kostrad (Pangkostrad) se doit d'être une personne ayant des qualités vraiment éprouvées d'homme de terrain, et qui est en mesure de coordonner toutes les unités sous son commandement. Le Kostrad est une force inter-armes (Infanterie, Cavalerie, Génie, etc.), inter-départementale (interdivisionnelle) et un Pangkostrad doit donc saisir les caractéristiques propres à chaque division (unité), et il doit savoir créer une synergie entre les différentes divisions.

Le KOSTRAD a été impliqué dans des malversations financières avant l’arrivée du Général Ryakudu. Comment ce genre de choses peuvent-elles arriver dans une unité d'élite qui doit avoir des cadres ayant une moralité d'homme d'élite ?

Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais peut-être à cause de l'implication d'avec le Politique. Mais sous le Commandement de Ryamizard [actuellement Chef d'Etat Major de l'armée de Terre], les dotations ont été correctement utilisées pour améliorer le professionnalisme et le bien être des soldats. L'amélioration du professionnalisme par l'entraînement et la formation est ce qu'un chef peut offrir de mieux à ses troupes parce que lorsque les troupes sont très bien entraînées, elles font un excellent travail dans les zones de conflits (batailles) et elles reviennent en vie. L'entraînement est donc la meilleure des choses que l'on puisse offrir aux troupes, et ce fut le cas du Kostrad sous Ryamizard, dans l'utilisation des dotations pour l'entraînement.

L'Armée indonésienne actuelle a-t-elle selon vous les moyens humains, matériels et budgétaires suffisants pour accomplir sa mission dans les meilleurs conditions ? Que faudrait-il pour cela ?

La TNI manque effectivement de tous ce que vous venez d'énumérer, moyens humains, matériels et budgétaires. A titre d'exemple, le budget pour l'entraînement couvre seulement un trentième de ce qui serait nécessaire. Nous avons besoin d'un budget conséquent afin d'améliorer la qualité de nos ressources humaines par une meilleure formation et un équipement nécessaire, pour aider nos hommes dans la réalisation de leurs tâches.

Suite aux attentats du 11 septembre 2001, et aux menaces terroristes, l’Indonésie a été critiquée pour être le sanctuaire de certains réseaux islamistes plus ou moins lié à Al Qeida. Que répondez-vous à ces critiques ?

Selon les informations disponibles, il n'y a aucuns liens directs. S'il y avait des liens, la TNI et le peuple indonésien seraient à même de répondre à cette menace. Le peuple est le meilleur atout dans la lutte contre le terrorisme. Le terrorisme ne peut survivre et prospérer que s'il est aidé par la population. Le peuple doit donc être impliqué dans le combat contre le terrorisme car la TNI ne peut le faire seule.

Le Pancasila ne privilégie pas une religion plutôt qu'une autre, tout comme la Constitution de 1945. Que doit être selon vous la place de l'Islam dans la nation indonésienne d'une part et dans la vie politique par ailleurs ?

L'idéologie de la TNI est l'idéologie de l'Etat, et l'idéologie de l'Etat est le Pancasila. La TNI est chargée de maintenir l'implication de la population indonésienne dans le système de défense et de préserver la diversité du peuple. Pancasila est donc la meilleure réponse, il n'y a pas de place pour l'extrémisme, qu'il soit de droite ou de gauche.

Suite à l’amendement Leahy, les USA ne peuvent depuis 1999 fournir l’Indonésie en matériels militaires n’est-ce pas une « opportunité » pour diversifier vos matériels et par exemple traiter avec des pays comme la France ?

Qu'il y ait ou non d'amendement Leahy, nous devons diversifier la provenance de nos matériels.

Les rapports entre l'Indonésie et la France sont-ils, a votre avis, satisfaisants dans l'état actuel des choses ? Quels seraient les domaines de coopération spécifiques que vous souhaiteriez voir se développer entre nos deux pays ?

Les relations franco-indonésiennes ne sont pas encore arrivées à un stade satisfaisant à mon sens. La France est dotée d'une armée des plus modernes du monde, aussi bien en compétences qu'en équipements. L'Indonésie peut apprendre de la France. Peut-être qu'au travers d'échanges d'élèves officiers, comme le Seskoad [le Collège Interarmées de Défense indonésien], ou d'exercices conjoints, ou de manœuvres communes de nos forces spéciales comme nous le faisons avec différents pays, dont la Thaïlande.

Islamisme au Cambodge


A priori, quand on aborde la question de l’islam radical en Asie du Sud-Est ou tout simplement de l’Islam dans cette région, rien ne ferait penser au Cambodge. Ce vieux pays khmer aux quatre mille pagodes semble loin de cette menace ; néanmoins, à y regarder avec plus d’attention l’on s’aperçoit d’une tout autre réalité. Certes, sur une population de près de douze millions, environ 92% sont bouddhistes Hinayana et Theravada ; on y trouve bien des chrétiens, mais ils ne comptent que 4 à 5 mille âmes pour moitié catholiques et pour moitié protestants. Néanmoins, c’est oublier que deux cent à cinq cent mille individus[1] sont d’ethnie Cham[2] ou d’origine malaise et donc musulmans. Les Chams, islamisés depuis des siècles par des marchands indiens, malais ou indonésiens, sont issus de l’ancien Royaume de Champa[3], sur la côte sud-est du Vietnam. La péninsule de Chrouy Changvar, tout près de Phnom Penh au confluent du Mékong et du Tonlé-Sap, est considérée comme le centre spirituel des Chams, et de nombreux dignitaires musulmans y résident ; ces dernières années, ce n’est pas moins de cinq mosquées qui y ont été construites[4].

Durant la terrible dictature Khmer Rouge, la Cambodge a perdu un quart de sa population des suites de torture, d’assassinats, d’extermination en masse dans des camps, de malnutrition et de maladies. A partir de 1975, sous le régime de Pol Pot, les musulmans cambodgiens furent particulièrement frappés, comparativement aux autres communautés du pays. Près de 132 mosquées furent détruites, la pratique de la religion du prophète bannie et 400 à 500 000 exterminés selon certaines sources[5] sur une population d’environ 700 000 avant 1975 ; seulement vingt des cent treize dignitaires religieux musulmans survécurent[6]. Il n’est donc pas étonnant que les musulmans cambodgiens soient aujourd’hui totalement en faveur du jugement des chefs Khmer Rouge survivants devant une Cour de justice. Ce n’est seulement qu’à partir des années 1990, après la période de l’UNTAC (United Nations Transitional Authority in Cambodia) et l’accord de paix signé à Paris en 1991, que la place des musulmans cambodgiens a été réhabilitée au sein du royaume. Cette réhabilitation fut rapidement accompagnée de reconstruction de mosquées dans tout le pays, quant à la vie religieuse elle fut restaurée par le biais de philanthropes étrangers, d’ONG islamiques et de pays étrangers.

C’est dans ce cadre que l’instruction coranique et des écoles islamiques purent renaître ; une nouvelle génération de prédicateurs était créée. Notons que cette réorganisation fut facilitée par un patronage royal et officiel. S’il existait une vingtaine de mosquées au début des années 90, la Cambodge en comptent aujourd’hui cent cinquante « sur lesquels s’appuient un important réseau de madrasas et de lieux de prière [7]». Ainsi, se trouve dans la capitale la Revival of Islamic Heritage Society (RIHS), basée au Koweit, qui abrite plusieurs centaines d’orphelins et enseignant le wahhabisme ; cette tradition arabe n’est pas sans s’opposer à celle des Chams qui veut que les orphelins restent à la charge de la grande famille. Cinq autres pensionnats de ce type existent en province. Dans le même genre d’association islamo-caritative[8], l’on trouve l’organisation saoudienne Om Al-Qura ; des étudiants sont ainsi envoyés à Médine ou à Riyad pour apprendre la « vraie » religion, « purifiée » des apports bouddhistes ou hindouistes qui irritent les missionnaires arabes. Selon les estimations récentes, 15 à 40% des musulmans du Cambodge pratiqueraient aujourd’hui le wahhabisme ; au rythme actuel, rapporte le journaliste Jean-Claude Pomonti, le wahhabisme sera dans quelques années l’élément dominant de l’islam khmer. Les autorités cambodgiennes ont remarqué effectivement l’influence croissante de la doctrine wahhabite au sein de la communauté Cham ainsi que la présence d’enseignants arabes et pakistanais dans les madrasas[9] ; mais rien ne peut être entrepris jusqu’à présent à l’encontre de ce développement de cet islam puritain puisqu’il reste strictement dans le cadre de la légalité[10]. Les Chams sont bien intégrés dans la population cambodgienne[11] et ils entretiennent de bonnes relations avec les autorités selon Haji Yusuf, recteur de la Mosquée Al-Azar de Phnom Penh.

Tous les Chams musulmans sont sunnites de l’Ecole Shafii et se divisent en deux grandes branches : les traditionalistes et les orthodoxes. Particularité s’il en est, la société Cham est matriarcale et matrilinéaire. Les relations entre ces deux groupes principaux composant la communautés musulmanes ne sont pas très cordiales. Des conflits nombreux ont émaillé leurs contacts, de manière croissante d’ailleurs, notamment entre 1954 et 1975[12]. Les traditionalistes, représentant les deux tiers des Chams, conservent de nombreuses traditions ancestrales et rites pré-musulmans ; ils considèrent Allah comme Dieu Tout Puissant, mais ils reconnaissent également d’autres déités non-islamiques. Ils sont beaucoup plus proches, en tout état de cause, des Chams vivant sur les côtes du Vietnam que d’autres musulmans. Les Chams croient au pouvoir de la magie et de la sorcellerie, attachant une grande importance aux pratiques magiques qui leurs permettent d’éviter maladies ou mort violente ou lente ; ils croient en de nombreux pouvoirs surnaturels. Bien qu’ils manifestent très peu d’intérêt pour le pèlerinage à La Mecque et aux cinq prières quotidiennes, ils célèbrent de nombreuses fêtes et rituels musulmans. La pratique religieuse des Chams traditionalistes a subi une sorte de « khmèrisation », au point que les sermons du vendredi sont faits en langue Khmère[13]. Ils sont regroupés autour de certaines zones comme celle de Phnom Penh-Odongk, et les provinces de Takev et de Kampot. Les Chams orthodoxes quant à eux, regroupés dans les provinces centrales du pays : Battambang, Kampong Thom, Kampong Cham et Pouthisat (« Zones d’implantations Cham ») adoptent une religion plus « stricte », peut-être à cause des liens très proches (mariages mixtes) qu’ils ont avec la communauté malaise. En fait, les orthodoxes pratiquent des coutumes malaises et en ont adopté l’organisation familiale ; nombreux sont ceux d’ailleurs qui parlent le Malais (Bahasa Melayu). Ils envoient leurs ressortissants à La Mecque et participent aux conférences islamiques internationales. Aujourd’hui, aux dires de l’Imam de la Mosquée Al-Azar de Phnom Penhn, Haji Yusuf, ce n’est pas moins de cent personnes qui se rendent en pèlerinage à La Mecque[14].

En dehors de ces deux subdivisions, regroupant 90% de la communauté musulmane cambodgienne, nous pouvons relater[15] l’existence d’autres branches sans pouvoir néanmoins bien les cerner. Il y aurait la branche « Saoudi-Koweitienne wahhabite » (5 à 6 %), la branche « Iman-San traditionnelle » (2 à 3 %) et la branche « Kadiani » (2 à 3 % également). Certaines tensions ont été constatées parmi ces différentes branches minoritaires qui reçoivent un soutien financier soit d’Arabie Saoudite, du Koweit, de Malaisie soit encore d’Indonésie ceci en fonction de leurs particularités et origines propres[16]. Force est de constater toutefois que l’aide arabe s’accompagne d’une volonté de « purifier » les pratiques syncrétistes des Chams.

Ce qui est à craindre en tout état de cause avec le développement de l’islam rigoriste d’essence wahhabite, c’est qu’avec l’abandon de coutumes qu’ils partagent avec les autres canbodgiens, les Chams risquent de se marginaliser et d’offrir un terrain fertile à des manipulations ; par ailleurs, à l’heure actuelle, il ne serait pas étonnant d’apprendre par exemple que des camps d’entraînement ou des bases relais recevant des islamistes radicaux, existent dans telle ou telle zone reculée du pays, camps servant à des mouvements transnationaux tel la Jemaah Islayiah (JI) ou à d’autres.
Notes :

[1] Les estimations divergent et donnent des chiffres allant de 185 000 à 500 000 Chams musulmans, soit au maximum 4% de la population totale du Cambodge.
[2] Arrivés en 1177 au cours d’une invasion conduite par Jaya Indravarman IV durant le règne de l’usurpateur Yaçovarman II. La flotte Cham, guidé par un naufragé chinois, put aller jusqu’à la capitale Khmère, par mer, puis en remontant le Mékong et les grands lacs. Au cours des combats, Angkor fut saccagée et la puissance khmère semblait anéantie ; c’est alors que le Prince Jayavarman II sortit de sa retraite et prit le pouvoir, rétablit l’ordre et chassait les Chams. Cf. M. Giteau : « Histoire du Cambodge », p.96-97, éditions Didier, 1957.
[3] En 1471, le Champa fut conquis par les vietnamiens, et beaucoup de Chams fuirent vers le Cambodge. Selon les dirent de l’universitaire Cham Po Dharma, les Chams vivent au Cambodge depuis 1456.
[4] Jean-Claude Pomonti : « Wahhabisme au Cambodge », Le Monde, 13 novembre 2002.
[5] IslamOnline & News Agencies.
[6] US Federal Research Division of the Library on Congress under the Country Studies / Area Handbook Program sponsored by the US Dpt of Army, décembre 1987.
[7] Op. Cit. Jean-Claude Pomonti.
[8] On trouve également une ONG yéménite.
[9] Barry Desker : « Extremist interpretation of Islam », écrit et présenté par Augustine Anthuvan, Radio Singapore International, 4 février 2003. B. Desker est directeur du think tank singapourien Institute of Defense and Strategic Studies (IDSS) ; il fut Ambassadeur de Singapour en Indonésie de 1986 à 1993.
[10] Tactique éprouvée des fondamentalistes dans un grand nombre de pays où ils représentent seulement une minorité.
[11] Il y a actuellement 20 Chams tant au gouvernement qu’à l’Assemblée Nationale et d’autres également dans l’Armée.
[12] Cf. « Cambodia – Islam » : Coutry study from US Library of Congress.
[13] Omar Farouk Bajunid (Hiroshima City University) : « Workshop on the study of Jawi Documents in Southeast Asia », organisée par la Japan Society for SEA History, Sophia University, 23 février 2002.
[14] Robert Carmichael et Lon Nara : Phnom Penh Post, n°10/22 26 octobre/8 novembre 2001.
[15] Bureau of Democracy, Human Rights and Labor : « Cambodia Religious Freedom Report ; International Religious Freedom report – Released on October 26, 2001 », Section I. Religious Demography.
[16] Op. Cit. Section III. Societal Attitudes.