17 décembre 2008

Les mouvements islamistes du Sud Est Asiatique.

COLLOQUE "LES MONTEES EN PUISSANCE EN ASIE"
Organisé par le club "Démocraties"
Sénat, Salle Médicis - Samedi 30 Novembre 2002.
Texte de l'allocution de Philippe RAGGI

Mesdames, Messieurs,

si l’on parle en Asie de montées en puissance, le premier des éléments concernés sera bien évidemment l’Etat. Mais l’on sait aujourd’hui que l’Etat ne détient plus le monopole du pouvoir. Nous pouvons ainsi constater qu’il y a de manière équivalente une certaine montée en puissance des mouvements terroristes islamistes.

Cependant la lutte engagée par ces mouvements ne se substitue pas à celle des Etats : elle s’y ajoute.

Avec la défaite du régime des Talibans en Afghanistan, un certain nombre de radicaux islamistes, ayant échappé aux mailles du filet, ont trouvé refuge dans différents pays « meubles », pas uniquement voisins, et c’est ainsi que certains d’entre eux se sont retrouvés dans différents pays d’Asie du Sud Est insulaire. Alors, pourquoi ces pays ?

Comme le signale John GERSHMAN, dans la livraison de Juillet/Août 2002 de FOREIGN AFFAIRS, ce choix réside dans la conjonction de plusieurs facteurs :

- Ce sont des Etats fortement touchés par la crise financière puis économique de 1997,
- Ce sont des Etats qui ne sont pas en mesure de faire respecter totalement la loi et l’ordre sur l’ensemble de leur territoire respectif,
- Ce sont des Etats, enfin, qui, pour quelques uns d’entre eux, pratiquent une certaine discrimination à l’égard de quelques franges de leur population.

Mais si ces trois conditions sont peut-être nécessaires, elles ne sont pas en tout cas suffisantes pour faire de certains pays le nids et le refuge des terroristes transnationaux de l’entité baptisée « Al-Quaida ». En effet, si l’Asie du Sud-Est est devenue le second front de la lutte contre le terrorisme, c’est essentiellement parce que les pays concernés recèlent sur leur territoire respectif - et ce depuis fort longtemps - des mouvements d’inspirations islamistes, différents mouvements à même de prêter aide, refuge et main-forte aux hommes d’Al Quaida. Toutefois, précisons qu’il existe également des mouvements qui, bien qu’inspirés seulement par Al Quaida et sa lutte contre l’hégémonie américaine, lui sont par ailleurs structurellement étranger.

Cette région d’Asie du sud-est est donc devenu, à compter du 11 septembre 2001, le second front dans la lutte engagée contre le terrorisme islamiste. Ainsi, les Etats-Unis intervenaient aux Philippines aux côtés des Forces Armées de Manille fin janvier 2002 dans le cadre de l’exercice « Balikatan 2002» (qui signifie littéralement "épaule contre épaule"); ainsi, étaient arrêtés plusieurs dizaines de militants radicaux tant en Malaisie qu’à Singapour qu’aux Philippines. A ce sujet, notons que l’Indonésie n’avait, avant les attentats de Bali et de Manado, pratiqué aucune arrestation tangible dans les milieux islamistes.

Ce sont quelques uns de ces mouvements islamistes que je me propose brièvement de vous présenter ; et cela, me semble-t-il, peut être d’un certain intérêt ne serait-ce que pour comprendre quelques événements passés, présents et futurs dans cette région.

LES PHILIPPINES
Je commencerais par les Philippines. C’est un sénateur américain, Sam BROWNBACK, siégeant à la commission des affaires étrangères, qui disait l’année dernière que les Philippines seraient « la prochaine cible après l’Afghanistan ». Par ailleurs l’intervention militaire américaine du début de l’année, devait s’appeler au départ, « Enduring Freedom-Philippines ».

Mais où se situe le théâtre ? Nous sommes au Sud des Philippines, entre l’île de Mindanao et la portion malaisienne du Nord de Bornéo (Shabah). Entre ces deux pôles, distants d’environ 300 Km, un chapelet d’îles : l’archipel des Sulu, situé entre la Mer du même nom et la Mer de Célèbes. Dans cette région, une concentration de musulmans sunnites, de l’école Shaféite, qui se regroupe sous la bannière du « peuple Moro ». Les Moros regroupent ces musulmans du Sud des Philippines qui ont été ainsi labellisé par les Espagnols au début du XVIème siècle.

Notons toutefois que les musulmans philippins, qui ne représentent que 5 millions d’individus sur les 76 que comptent les Philippines, ne constituent pas une véritable unité puisqu’ils regroupent en fait une dizaine de groupes ethno-linguistiques, pas d’emblée solidaires entre eux.

A quelle menace avons-nous donc affaire ? Trois mouvements occupent la scène et mobilisent aujourd’hui à eux seuls près de 5 000 soldats philippins sans compter les 12 000 membres des Unités Géographiques des Forces Armées Citoyennes et des Organisations de Volontaires Civils.
Le premier de ces mouvements est le MNLF, le Front Moro National de Libération, le plus ancien des trois mouvements, mais aussi la matrice des deux autres. Crée en 1969, par Nur MISUARI, le MNLF, avec sa branche armée, la Bangsa Moro Army :

l’Armée de la Nation Moro, comptait dans ses « grandes heures » environ 14 000 membres (dans le milieu des années 90). Le 2 septembre 1996, sous la présidence de Fidel RAMOS, le MNLF entrait dans un processus de négociation avec le Gouvernement de Manille, et il est devenu un grand mouvement politique du Sud des Philippines : Nur MISUARI fut même, pendant une période, Gouverneur de 4 provinces de la Région Autonome de Mindanao Musulmane (ARMM), et près de 7 500 guérilleros ont été intégrés dans les Forces Armées des Philippines (AFP). Mais des différents politiques (l'opposition de Manille à sa réélection) pousseront MISUARI à reprendre la guerre contre les forces armées philippines ; en exil volontaire ce dernier fut arrêté en Novembre 2001 par les autorités de Malaisie, puis transféré dans son pays d’origine (et jugé pour rébellion). L’entente cordiale avec le MNLF aura duré moins de cinq ans et la lutte armée du MNLF continue.

Autre mouvement, le Front Moro Islamique de Libération, le MILF, qui est né d’une scission d’avec le MNLF, au moment de négociations avec le Gouvernement Philippin en 1978. Appelé en un premier temps le « Nouveau-MNLF », il a pris le nom de MILF en 1984. Le MILF est plus « islamique » que le MNLF. Hashim SALAMAT, son chef, - qui fut membre fondateur du MNLF - a étudié non seulement à Al-Azahr (en Egypte) dans les années 60 où il se lia aux Frères Musulmans, mais aussi au Pakistan où il fut influencé par Mawdudi du Parti Jamaat i Islami.

Le MILF compte 30 000 membres, comprenant 15 000 combattants intégré au sein des Forces Armées Islamiques Bangsamoro (BIAF) dont quelques milliers sont passés par le théâtre afghan et les camps d’entraînement de l’ISI (les services pakistanais) : ce qui fait du MILF le plus important mouvement insurrectionnel de la région de Mindanao. En février 2000, une dizaine de consultants militaires saoudiens étaient par ailleurs présents à Mindanao, et l’on avance même l’existence sur le territoire saoudien de camps d’entraînements spécifiquement pour les Moros.

Le MILF reçoit, par le biais d’organisations islamiques, des subsides venant de Malaisie, du Pakistan et du Moyen Orient. Des tentatives de négociations à l'initiative du Gouvernement de Macapagal Aroyo ont été entreprises courant 2002, mais elles se sont soldées par des échecs. Le mot compromis n’existe pas dans le vocabulaire du MILF: ce sera, pour la plupart d'entre eux, l’indépendance de l’Etat Islamique Moro, ou la mort. La plupart car un certain nombre chercheront vraisemblablement un compromis politique avec Manille.

Troisième mouvement, comptant près de 1 000 combattants, encore plus intransigeant et radical dans son interprétation de l’islam : le groupe ABU SAYYAF. Très médiatisé par ses enlèvements et ses décapitation d’otages, le Groupe de combat Abu Sayyaf fut crée par Abdurajak JANJALANI en 1991.

Toutefois, le groupe existait déjà en tant qu’organisation de prédication depuis 1972, à l’initiative de missionnaires iraniens envoyé par Khomeyni.

Le dessein du groupe Abu Sayyaf est l’établissement d’un Etat islamique à Mindanao et il est financé entre autre par l’Iran, suivi de près par le Pakistan et ses Services, recevant également un soutien « notable » de la Libye ; on se rappelle le rôle joué par Tripoli lors de la libération des otages de Jolo en 2000. Plusieurs dizaines de membres d’Abu Sayyaf sont passés par le théâtre afghan, et le groupe est très bien équipé tant en moyens de communication qu’en armement : canons ZSU-23-2, mortiers, armes anti-char, fusils d’assaut; bref, il est en cela à même de causer des dégâts importants et de susciter l’inquiétude. Le groupe Abu Sayyaf est dirigé depuis 1998 par Khaddafy JANJALANI, un des frères du fondateur depuis la mort de celui-ci, le 18 décembre 1998.

Alors, existent-ils des liens entre ces trois organisations avec l’entité Al-Quaida ?

L’Amiral américain Denis BLAIR, Cdt en chef du CDT du Pacifique, était en mesure d’affirmer, le 3 décembre 2001,: « que nous assistons à un accroissement de preuves sur des liens potentiels entre Abu Sayyaf et Oussama Ben Laden». Plus concrètement, il est avéré que le groupe Abu Sayyaf a reçu des subsides conséquents par le biais d’organisations caritatives islamiques comme l’Internatiobnal Islamic Relief Organization et par l’entremise de Mohammed Jamal KHALIFA, beau-frère de Ben Laden. Par ailleurs, on sait qu’un agent d’Al Quaida, Ramzi YOESEF - arrêté au Pakistan et jugé aux Etats-Unis depuis - est venu aux Philippines en 1994 pour entraîner les Abu Sayyaf.

Quant aux liens entre le MILF et Al Quaida, ils sont probables mais non certains.

Le MNLF quant à lui, n’a pas encore totalement renoncé à d’éventuels accords avec Manille ; il est donc plus en retrait sur cette question des liens avec le terrorisme international islamiste.

Là où la chose se complique, pour l’observateur, c’est que d’une part les trois organisations travaillent parfois les unes avec ou pour le compte des autres, et que d’autre part, on a de plus en plus de difficultés à distinguer qui est qui et qui fait quoi dans ces manifestations violentes relevant du banditisme, du terrorisme, et parfois même de la manipulation par certaines franges de l’armée philippine.

LA THAÏLANDE
Venons en maintenant à la Thaïlande. Ce pays compte, près de 8% de musulmans sunnites sur ses 62 millions d’habitants. Regroupés essentiellement dans cinq provinces du Sud du pays (Songkhala, Satun, Yala, Pattani et Narathiwat), à la frontière avec la Malaisie, cette population en grande partie d’origine malaise, a vu émerger des mouvements séparatistes musulmans dès l’annexion par la Thaïlande de plusieurs sultanats Malais, dont celui de Pattani, en 1902.

Thaïlandais, certes, mais pas bouddhistes, les habitants de ces régions se sentent différents et déconsidérés par rapport au reste des citoyens. Dans ce contexte, des mouvements ont émergés et, parmi les plus significatifs d’aujourd’hui, ayant plus ou moins une inspiration que l’on pourrait qualifier d’islamiste, nous pouvons en citer quelques uns :

Le BNPP, le Barisan Nasional Pember-Basan Pattani, crée en 1959, et dont le but est la sécession d’avec la Thaïlande et le rattachement à la Malaisie. Depuis le début de cette année, le BNPP (ou BIPP) a quasiment cessé ses activités terroristes, mais il reste cependant très engagé dans sa participation à l’activité politique en Malaisie.

Son quartier général se trouve d’ailleurs de l’autre côté de la frontière : en Malaisie.

Vous avez le BRN, le Barasi Revolusi Nasional, né en 1960, et qui s’est scindé en trois groupuscules peu après sa création (la Coordination BRN, le BRN Uram et BRN Congress) ; le plus important d’entre eux étant le « Congrès du BRN », dirigé par Rosa BURAKO, assez actif militairement mais aussi politiquement. Son QG se trouve lui aussi, en Malaisie.

Vous avez le BNP, le Mouvement Pattani Mujahideen, crée en 1985, dont la plupart de membres viennent du BNPP. Son but est de regrouper les différents mouvements de résistance en une seule entité. Basé en Malaisie, le BNP n’est pas vraiment très florissant et son action se confine essentiellement à l’activité politique en Malaisie.

Il y a également le PULO, le Pattani United Liberation Organization, crée en 1968, peut-être le plus actif et le plus important des mouvements musulmans terroristes.

Mis en place par Tuanku Biyo KODONIYO, le PULO se scindait en deux factions fin 92, donnant naissance au PULO Leadership Counsil appelé plus tard Abu Jihad.

PULO, dirigé par A-rong MULENG, et au PULO Army Command Counsil de Hayihadi MINDOSALI, avec sa branche militaire, l’Armée Caddan.

Des luttes intestines ont rendu, depuis 1992, le PULO presque inexistant en tant qu’organisation politique, mais quelques militants se sont regroupés et mènent toujours des opérations militaires dans le sud du pays. Leur QG se trouve en Malaisie.

Il y a enfin le BERSATU, le Front Uni pour l’Indépendance de Pattani, né véritablement en 1991 - après une tentative en 1989 entre des memebres du BNPP, du BRN Congress, et du nouveau PULO - et qui mène conjointement des activités de guérilla (attentats contre des Ecoles et des symboles de l’autorité Thai comme les bureaux de Poste, etc) et de politique (propagande). Le BERSATU souhaite la reconnaissance de l’identité musulmane en Thaïlande et en appelle à une intervention étrangère pour régler leurs problèmes.

Ces différents mouvements, que je vient de vous énumérer, ne regroupent pas un grand nombre de personnes, quelques centaines y compris les combattants, et ils ne sont pas encore intégré dans le vaste réseau internationaliste islamiste. Je dis « pas encore », car il faut noter que depuis quelques années, nous assistons à l’émergence d’une génération croissante de musulmans thaïlandais ayant suivi des formations (religieuses et militaires) financées par l’Arabie Saoudite, dans des Madrasah pakistanaises entre autre pays, une génération de musulmans thaïlandais aux idées plus orthodoxes et radicales, souhaitant la restauration de l’ancien Sultanat de Pattani et la mise en place de la Sharia.

Les craintes d’attentats sur les lieux touristiques bien connus de Koh Samui ou de Phuket ne sont donc pas injustifiées, la situation actuelle de ces petits mouvements requerrant une grande attention.

LA MALAISIE
La transition avec la Malaisie est assez aisée puisque les mouvements thaïlandais, dont je viens de parler, ont des liens très forts avec les régions du Nord de la péninsule malaise, le Kelantan notamment. La Malaisie est un des rares pays de la région a avoir l'Islam comme religion d'Etat, et les musulmans de ce pays représentent un peu plus de la moitié des 23 millions d’habitants. Je me limiterai, pour la Malaisie, à parler de trois mouvement qui méritent notre attention.

Un mouvement politique d’opposition, le PAS, Partai Islam se-Malaysia, le Parti Islamique Pan-malais, regroupe en son sein des militants aux idées très puritaines, voire plutôt radicales en matière d’Islam. Le chef spirituel du PAS, Datuk Nik Aziz Nik Mat, est ainsi un adepte du déobandisme, cette école de pensée wahabbite; il se trouvait dans le Nord de l’Inde durant les années 40. Quant à son fils, Nik Adli, c’est un vétéran d’Afghanistan, qui fut arrêté en août 2001 en Malaisie en tant que chef présumé d’un groupe islamiste complotant, non seulement contre le Premier Ministre Mohammad Mahatir, mais encore dans but d’instaurer un Etat islamique regroupant la Malaisie, l’Indonésie et le sud des Philippines.

Je citerai également un groupe islamiste opérant, lui, tant en Malaisie qu’en Indonésie, le KMM, (le Kumpulan Mujahideen Group) le Groupe de Mujahiddin Malais. Au début de cette année, 40 de ses militants étaient arrêtés pour attaques de banques, pour meurtres et pour kidnappings. Un enquêteur et ancien responsable de la branche « Prévention du terrorisme » aux Nations Unies, Rohan GUNARATNA, certifiait en janvier 2002 que des liens militaires existaient entre le KMM et Al Quaida. Notons que des membres du KMM, comme Abdul RAHMAN, ont été entraîné dans des camps en Thaïlande, et que certains de ses membres ont été envoyés aux Moluques entre 2000 et 2001.

Mais, un autre mouvement a davantage fait parlé de lui depuis les attentats de Bali, le 12 octobre dernier : c’est la JEMAAH ISLAMYIAH, mouvement transnational, essentiellement composé d’individus venant de Malaisie et d’Indonésie, utilisant au mieux les frontières poreuses des pays d’Asie du Sud Est. Ce mouvement est dit dirigé par un certain HAMBALI (de son vrai nom NURJAMAN RIDUAN ISAMUDDIN), homme clef, arrêté en août 2003.

La direction de la Jemaah Islayiah avait été attribué hâtivement à Abu Bakar Bashir, un indonésien, mais cette responsabilité est encore à démontrer, pas les liens.

HAMBALI était chargé de coordonner les activités de la Jemaah Islamiyah avec les islamistes de Thaïlande et du MILF philippin, au sein d’une alliance appelée Rabatitul Mudjahiddin. Il aurait été cependant remplacé, il y a moins d’un mois, dans ses fonctions de chef de la Jemaah Islamiyah, par une personne dénommée Muklas (arrêté depuis peu) et qui n’est autre que le frère d’un des responsables de l’attentats de Bali, Amrozi, lui même arrêté et détenu aujourd’hui par la Police indonésienne.

Le but de la Jemaah Islamyiah, comme celui du KMM, réside dans l’établissement d’un Etat Islamique du Sud-Est asiatique. Ces deux mouvements fonctionnent assez en symbiose, et les liens entre les 2 mouvements sont connus si l'on en juge par les liens individuels existant entre les deux mouvements. La JEMAAH ISLAMYIAH est implantée dans tous les pays de la région, et c’est l’organisation qui est, de loin, la plus dangereuse et la plus structurée, à même d’être le véritable relais d’Al-Quaida dans la zone.

Je ne vous parlerai pas, faute de temps, des autres petits groupuscules islamistes fort actifs en Malaisie, mais sachez qu’ils sont plus ou moins clandestins et qu’ils ne s’occupent pas seulement de prédication (l’ABIM : Angkatan Belia Islam Malaysia, le Jamaat Tabligh, l’armée d’Allah sur terre, etc.).

SINGAPOUR

Je passerai rapidement sur Singapour, qui, bien que n’ayant pas de mouvements islamistes locaux, soutenus par la population musulmane de l’île-Etat, a toutefois servi de plate-forme de commandement à la Jemaah Islamiyah dans ses attentats en Indonésie et ailleurs, entre l’année 2000 et aujourd’hui. Au dernier trimestre de l’année dernière, étaient arrêtés à Singapour plus d’une dizaine de militants islamistes qui devaient participer à une série d’attentats prévue pour le 4 décembre exactement, tant à Singapour, en Malaisie qu’en Indonésie (et pas seulement contre des intérêts américains, israéliens et britanniques, mais indonésiens, malaisiens et philippins).

Cette opération, qui portait le nom de « JIBRIL » (l’ange Gabriel en arabe), comprenait trois équipes (Jibril 1, 2 et 3) qui devaient opérer séparément dans les pays concernés. Un indonésien, spécialiste des explosifs, Fathur Rohman al Ghozi, était arrêté le 15 janvier 2002, peu de temps après l’arrivée des soldats américains aux Philippines, et il est établi aujourd’hui qu’il faisait non seulement partie du Groupe Jibril mais aussi qu’il faisait le lien entre la Jemaah Islayiah et le MILF philippin.

A l’occasion de ces arrestations et de la divulgations de l’information en février de cette année, les habitants de Singapour ont découvert qu’ils n’étaient pas épargnés par la vague islamiste régionale.

J’en arrive enfin à l’Indonésie, pays sur lequel je terminerai ce petit tableau.
L’Indonésie est le plus grand pays musulman du monde, sans être un Etat islamique.
Il compte 205 millions d’habitants dont presque 90% embrassent l’Islam, un Islam singulier et différent de celui pratiqué dans les pays arabes…

L’INDONESIE
Depuis la chute de Suharto en 1998, un certains nombre de mouvements se
réclamant d’un islam radical ont vu le jour ; plutôt brimé sous le régime de l’Ordre Nouveau suhartien, ils ont profité du processus de démocratisation entamé dans le pays pour avancer au grand jour et développer leurs thèses. Ainsi, a-t-on pu voir fleurir un très grand nombre de groupuscules, mais je ne m’attarderai toutefois que sur 3 d’entre eux.

Le premier est le Front des défenseurs de l’Islam ou FPI, (Front Pembela Islam).
Crée en 1998, dirigé par un indonésien d’origine arabe qui a étudié en Arabie Saoudite, Habib RIZIEK (arrêté pour dégradation et saccage de commerce), le FPI est présent quasiment dans tout l’archipel indonésien. C’est un mouvement très actif, doté d’une branche para-militaire (Laskar Pembela Islam) et connu pour ses raids dans les rues de Jakarta et de certaines grandes villes, de Java contre les bars, les discothèques, les lieux de prostitution et de jeux d’argent.

Les idées qu’il avance sont celles de la pureté de l’islam, de la lutte contre le Vice, de la mise en place d’un Etat Islamique en Indonésie. Toutefois, dépassant les slogans de ce groupuscule, l’on découvre d’autres motivations moins « pures » ; l’on s’aperçoit qu’il cherche à extorquer de l’argent aux propriétaires des lieux auxquels il s’attaque, sous couvert de « protection » ; en cela, il se substitue à certaines branches de l’Armée et de la Police effectuant jusqu’à présent ces activités « lucratives ». La récente auto-dissolution du FPI, comme la demande du Chef des armées indonésiennes, le Général Endriartono SUTARTO, de mettre fin à tous les groupements para-militaires, n’est d’ailleurs pas totalement étrangère à cette état de « concurrence ». (Cf les travaux de Marcus MITZNER).

Je mentionnerai aussi le KAMMI, l’Union des Etudiants Musulmans Indonésiens, crée au début de l’année 98. Très proche des Frères Musulmans, il conduit son action sur la plupart des campus indonésiens. Dirigé par Fitra ASRIL, ce mouvement compte près de 50 000 membres, le KAMMI, sans mener d’actions violentes, diffuse des idées islamistes dans l’archipel. Très réactif, il peut lancer une manifestation rassemblant près d’un millier de personnes dès qu’un événement se présente. Par ailleurs, il bénéficie de relais dans le monde politique, avec notamment le Parti de la Justice (Partai Keadilan) et la personne d’Amien RAIS, Président de l’assemblée législative du peuple indonésien et chef de file du Parti du Mandat National (Partai Amanat Nasional).

Je terminerai par le Laskar Jihad, mouvement Salafiste qui s’est illustré de manière sanglante aux Moluques, contre des chrétiens, entre 2000 et 2002. Dirigé par Jaffar Umar THALIB - lui aussi d’origine arabe et ancien d’Afghanistan - ce groupement a été en mesure d’envoyer dans l’archipel aux épices près de 6 000 combattants, non sans la complaisance de l’armée et la passivité du Gouvernement d’alors. Il en est résulté un massacre dont les chiffres varient entre 8 000 et 11 000 morts. Si le Laskar Jihad a pu jouir d’une impunité des autorités, c’est essentiellement à cause de la rhétorique nationaliste qu’il utilisait : son action était une cause « nationale », il luttait contre un mouvement sécessionniste moluquois.

Le Laskar Jihad a des liens non cachés avec le KMM malaisien, et semble être en rapport avec les réseaux transnationaux islamistes. Le but du Laskar Jihad est la mise en place de la Sharia, et la création d’un Etat islamique en Indonésie. C’est le plus structuré et le plus violent des mouvements islamistes indonésiens.

Moins d’une semaine après les attentats de Bali et de Manado, le Laskar Jihad se sabordait. La raison officielle invoqué par son chef, est la « sécurité retrouvée des musulmans moluquois » ; la crainte de subir les foudres d’une action gouvernementale et le désir d’adopter un profil bas après Bali et Manado, ne sont pas bien sûr étrangers à ce choix. Cependant, dissous ou non, les combattants du Laskar Jihad demeurent, comme la crainte d’une entrée en clandestinité.

CONCLUSION

Mesdames, Messieurs, après ce petit tableau sur quelques mouvements islamistes du Sud Est asiatique, je conclurai toutefois mon propos, par une nuance, en disant que :

- la menace islamiste n’est pas le seul des maux dont souffrent la plupart de ces pays,
- qu’elle ne constitue en rien la caractéristique des pays d’Asie du Sud Est,
- enfin, que l’islam majoritaire en ces pays n’est en rien celui de l’islam radical.

Il y a certes une réelle menace transnationale, et face à cela, il y a donc une politique de coopération régionale à mettre effectivement en place pour lutter contre elle, comme par exemple dans le cadre du Forum Régional de l’ASEAN (Association of South East Asian Nations Regional Forum).

L‘Amiral américain Denis Blair soulignait d’ailleurs à juste titre, en Janvier de cette année, que dans la guerre contre le terrorisme, le défi était « au-delà des ressources et de l’autorité d’un seul pays et de ses forces armées ».

Les attentats de Bali vont peut-être servir à développer ce travail en commun des forces de sécurité des pays concernés, et gageons, non seulement pour la sécurité régionale mais internationale, qu’il aboutisse.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire