Paru dans la revue française de Géopolitique, aux éditions Ellipses, sous le titre "Géopolitique des Etats-Unis" (nouvelle édition 2005).
(texte arrêté au 28 octobre 2002).
1945-1949 : hésitations puis engagement américain.
La République d’Indonésie voit le jour peu de temps après les bombardements américains d’Hiroshima et de Nagasaki, le 17 août 1945. Néanmoins, il ne s’agit, à cette date, que de la déclaration d’indépendance unilatérale (Proklamasi) par Sukarno vis à vis de la puissance coloniale : les Pays-Bas. Ce mouvement d’indépendance a été exalté par le Japon qui a défait les hollandais le 28 mars 1942 et qui a été jusqu’à garantir aux indonésiens, début août 1945, une indépendance au 24 du même mois. Après les bombardements atomiques américains, les japonais se rendent le 15 août aux alliés mais l’armée et la marine du Soleil Levant conservent le contrôle sur l’archipel ; le Japon acceptant de restituer l’Indonésie aux hollandais de manière graduelle.
Entre la date de la Proklamasi et le transfert officiel de souveraineté à la République d’Indonésie par les Pays-Bas[1], suivront trois années de luttes violentes tant interne à l’Indonésie (factions rivales, musulmans radicaux, communistes, séparatistes), que contre les hollandais[2], les australiens[3] et les britanniques[4]. Dans ces toutes premières années de lutte pour l’indépendance, les Etats-Unis soutiennent les Pays-Bas. Il s’agit de ré-instaurer une souveraineté solide, quelle qu’elle soit, dans l’archipel.
Au même moment, dans la région, les Philippines, seule colonie américaine outre-mer, accèdent à l’indépendance le 4 juillet 1946. Les britanniques, quant à eux, quittent définitivement l’Indonésie le 29 novembre 1946 et, avec les Etats-Unis, l’Australie et l’Union Soviétique, ils soutiennent la cause de la République Indonésienne devant les Nations Unies. Ainsi, le 1er août 1947, le Conseil de Sécurité des Nations Unies appelle-t-il à un cessez-le-feu; trois jours plus tard, un accord entre Sukarno et les hollandais est ratifié mais, sur le terrain, il n’est pas respecté. Le Gouverneur Van Mook, tentent une dernière carte : l’établissement de plusieurs Etats dans l’archipel, dans l’espoir de créer une Indonésie Fédérale plus ou moins indépendante mais encore liée à la couronne néerlandaise.
Les Etats-Unis ne se désintéressent pas du sort de l'Indonésie. Ainsi, le 17 janvier 1948, c’est sur l’USS Renville[5] que les hollandais signent, sous les auspices des NU, un cessez-le-feu qui leur est plutôt favorable. Les Etats-Unis feront néanmoins pression sur les hollandais pour que soit inclus la mention « République d’Indonésie », condition préalable exigée par les indonésiens. Ce n’est toutefois pas l’indépendance.
Par la suite, plusieurs éléments vont modifier l’attitude, jusqu’à lors modérée, des USA vis à vis des hollandais. Puissance anti-coloniale par nature, les Etats-Unis constatent que la Hollande n'est même pas en mesure d'instaurer une paix durable et rapide dans l'archipel. En effet, en mai 1948, Kartosuwirjo se proclame Imam de l’Etat Islamique d’Indonésie (Darul islam) ; c’est le début d’une rébellion sanglante contre à la fois les hollandais et la jeune République indonésienne. Mais ce sont surtout les événements de Madiun (Java Centre) avec la tentative de coup d’Etat communiste du 18 septembre 1948[6] qui fait se tourner les américains résolument aux côtés des indonésiens. La répression fait apparaître les républicains indonésiens comme franchement anticommunistes et, dès lors, les Etats-Unis exercent une pression très forte sur les Pays-Bas pour qu’ils accèdent pleinement à la demande d’indépendance de l’Indonésie. Le 11 octobre, Van Mook démissionne de son poste de « Lieutenant-Gouverneur des Indes néerlandaises », et la Hollande crée moins d’un mois plus tard un poste de « Haut représentant de la Couronne ». La puissance coloniale fait fi des pressions américaines et des Nations Unies[7], et poursuit sa politique propre vis à vis de l’archipel. En décembre 1948, à l’exception d’Aceh et de quelques endroits de Sumatra, toute l’Indonésie est sous contrôle hollandais. Excédés, les USA suspendent leurs aides en faveur des hollandais car ils s’aperçoivent que l’argent du Plan Marshall participe au budget militaire néerlandais lequel finance en grande partie la guerre en Indonésie. Avec les pressions émanant du Conseil de Sécurité des NU[8] pour une cessation des hostilités[9], et enfin l’exigence d’une indépendance totale au premier juillet 1950[10], des accords se tiennent finalement à La Hague entre le 23 août et le 2 novembre 1949, accords qui aboutissent à un transfert formel de souveraineté le 27 décembre 1949[11].
On le voit, durant cette première période, les Etats-Unis ont changé radicalement de point de vue : ils ont soutenu en un premier temps la puissance coloniale dès la fin de la guerre dans le Pacifique puis, craignant que ne s'instaure un gouvernement indonésien non favorable à leurs intérêts, ils ont défendu la jeune République indonésienne menacée par les communistes à compter de septembre 1948. Nous sommes au début de la guerre froide, le monde de l’après-guerre se structure et les alliances se nouent ; l’Indonésie bénéficie de la bipolarisation qui s’instaure sur le monde.
1949-1958 : des relations cordiales.
Les premières années de la République ne sont pas paisibles ; les mouvements sécessionnistes[12], islamiques[13] et communistes[14] demeurent. En pleine guerre froide, Sukarno lance la Conférence de Bandung, réunissant les « non-alignés » : Tchou-En-Lai, Nehru et Nasser en tête. En mai 1956, Sukarno visite les Etats-Unis ; en novembre de la même année, il suggère la Démocratie dirigée. ce n’est pourtant que l’année suivante[15] que ce système de gouvernement voit officiellement le jour, le but étant de venir à bout de l’instabilité croissante et constante du pays, de dépasser le régime des partis. La tension monte graduellement et, le 14 mars 1957, Sukarno proclame finalement la Loi martiale ; les journaux sont censurés, de nombreux politiciens sont arrêtés pour corruption. D’aucun voient dans ce durcissement une étape vers un Gouvernement plus proche des communistes ; néanmoins, dans la pratique, la démocratie dirigée n’a apporté plus de pouvoir qu’à Sukarno seul. C’est la période où les sociétés hollandaises sont nationalisées[16], où 46 000 citoyens hollandais sont expulsés[17] par le Gouvernement indonésien. Un tournant s’opère tant pour l’Indonésie elle-même que pour le regard américain sur ce pays. C'est la période au cours de laquelle l'Indonésie vacille davantage et menace de s'échapper irrémédiablement vers le camp communiste; mais dans cette période de flottement, les Etats-Unis ne s'engagent pas, ne bénéficiant pas de relais forts sur place à même de s'imposer face à Sukarno, leader sans partage.
1958-1966 : des relations contrastées et diplomatie secrète.
La rébellion se renforce, et Sukarno se rapproche des mouvements de gauche[18]. Le 14 février 1958, un Gouvernement d’opposition voit le jour ; c’est celui du PRRI[19] avec à sa tête Sjafruddin. Les Etats-Unis, voient l’occasion d’utiliser cette opposition face aux « gauchissement » de la politique de Sukarno. Une aide secrète américaine est apportée aux forces de la rébellion ; en mai 1958, un pilote américain est abattu à Amboine (Moluques) alors qu’il apportait de l’aide aux rebelles. Sukarno accuse les américains d’ourdir la révolte, de soutenir les mouvements séparatistes d’Aceh et de Célèbes, de saper son autorité. Les relations entre les deux pays se détériorent. Les pays voisins (Philippines, Taiwan, Corée du Sud et la nouvelle Malaysie) soutiennent eux aussi le PRRI. En septembre 1958, Nasution, chef d’Etat-Major des armées, interdit le grand parti musulman Masjumi et d’autres partis politiques jugés proches du PRRI. En juillet 1959, Sukarno dissout l’Assemblée, rétablit la Constitution de 1945 tout en se faisant nommer lui-même Premier Ministre et, le mois suivant[20], il crée un nouveau système de Gouvernement appelé Manifesto Politik (ou gouvernement par décret) ou Manipol, à l’idéologie pas vraiment définie. Alors que le régime se durcit, le rapprochement avec les communistes s’opère ouvertement ; il s’agit de contrer le puissant parti musulman, le PRRI et les sécessionnistes. Dès le début de l’année 1960, Sukarno commence à utiliser un nouveau slogan mobilisateur : Nasakom (Nasionalisme, Agama – religion – et Komunisme). En janvier de cette année, Kroutchev rend une visite à Jakarta. Alors que l’armée indonésienne, elle, rejette les communistes qui prennent de plus en plus de pouvoir, Sukarno libère les membres du Politburo arrêtés par les militaires.
En janvier 1961, Nasution, alors Ministre de la Sécurité Nationale, visite et les USA et l’URSS ; les Etats-Unis n’accordent aucune aide, alors que l’Union Soviétique ne donne pas moins de 400 millions de dollars à Jakarta. En mai de la même année, Sukarno rencontre JF Kennedy ; les relations entre les deux pays se réchauffent quelque peu. Le but de la tournée de Sukarno est de regagner la confiance américaine pour bénéficier d’un soutien aux Nations Unies dans les négociation concernant la question de la Papouasie occidentale. En février 1962, c’est Robert Kennedy, Ministre de la Justice, qui conduit les négociations sur la question. Mais, malgré ce « soutien américain », le mois suivant, Sukarno nomme Aidit (chef du PKI) ministre conseiller. Les négociations sur la Papouasie (ou Irian Jaya) se termine néanmoins sur l’accord[21] des Pays-Bas de restituer le territoire aux Nations Unies dans les deux mois ; les NU, de leur côté, s’engageant à transférer l’Irian Jaya à l’Indonésie en mai de l’année suivante si des élections locales approuvaient cette intégration. 1962, c’est aussi le début de la Konfrontasi, la lutte entre la Malaisie (encore sous contrôle britannique) et l’Indonésie au sujet de deux provinces du Nord de Bornéo[22].
En septembre de l’année suivante, la Malaisie est crée, et les communistes indonésiens attaquent l’ambassade britannique à Jakarta ; l’Indonésie rompt ses relations diplomatiques avec Kuala Lumpur. En décembre 1963, le chef du PKI retourne d’un voyage en Union Soviétique et en Chine Populaire ; les communistes indonésiens commencent à développer leur politique agraire socialiste, à confisquer les terres des grands propriétaires ruraux. Il en résulte des affrontements violents avec les organisations islamiques. Devant cette communisation flagrante, le Président L.B. Johnson retire toute aide économique à l’Indonésie toutefois, dans le même temps, il soutient secrètement les militaires indonésiens pro-américains.
En 1964, c’est Robert Kennedy qui finalise le cessez-le-feu entre la Malaisie et Jakarta ; les attaques de guérilla continuent. En janvier, le PKI confisquent les biens britanniques en Indonésie. En mars 1964, c’est la rupture ; Sukarno prononce un discours où il dit aux USA « d’aller au diable », les biens américains en Indonésie sont confisqués. C’est la relance de la Konfrontasi laquelle coûte de plus en plus cher à Jakarta. La République Populaire de Chine offre à l’Indonésie, si elle le souhaite, 100 000 armes légères en vue de constituer une milice paysanne. Sukarno est de plus en plus sous la coupe des communistes ; c’est la période où il dénonce des « complots de la CIA ». En mai 1965, Sukarno appelle à la création d’une armée paysanne, il dénonce des « complots de l’armée » fomentés avec l’aide de l’ambassade britannique et dirigés contre lui. En juin, les communistes tiennent la Police de Jakarta ; le mois suivant, ils organisent la liquidation des anti-communistes du parti de Sukarno, le PNI. En août, Sukarno coupe les ponts avec le Fond Monétaire International, la Banque Mondiale et Interpol; c’est la spirale de l’isolement vis à vis du monde occidental.
Durant cette période, les Etats-Unis tentent de ne pas heurter l'Indonésie de front; il leur faut éviter que l'archipel ne tombe dans les mains des chinois ou du moins dans le camp communiste (URSS). Cela a toujours été une constante et la hantise américaine dans cette région. Georges Kennan, le père de la doctrine de l'endiguement, présentait d'ailleurs l'Indonésie comme un Etat d'une importance stratégique majeure. N'affrontant donc pas de front l'archipel, les Etats-Unis et ses services "travaillent" en sous main pour au moins éviter le pire, au mieux faire retomber le pays dans le giron du "monde libre".
1966-1992 : la période faste
Le 17 août, date anniversaire de l’indépendance, Sukarno défend dans un discours, l’idée d’une « alliance anti-impérialiste » comprenant Pékin et d’autres pays communistes asiatiques. La RPC est proche de Jakarta comme elle ne l’a jamais été. Mais le 30 septembre, c’est le coup d’Etat (G30S, Gerakan 30 September), où les communistes sont accusés d’avoir assassiné neuf officiers supérieurs dont six généraux; le G30S se dit « pro-Sukarno, anti-corruption, anti-américain et anti-CIA ». Le jeune Suharto, chef du Kostrad[23], annonce le 1er octobre 1965, à la radio, que six généraux ont été tués, mais qu’il contrôle l’armée et vient de mettre fin à un coup d’Etat qui menaçait Sukarno. La lutte contre les communistes commence. Tout en laissant Sukarno au poste de Président, Suharto met en place ses hommes et ses réseaux ; il isole de plus en plus le Président et tient en fait les rênes du pouvoir. Le 11 mars 1966, la chose s’officialise avec la signature par Sukarno du document Supersemar[24] qui donnent tous les pouvoirs au jeune Général Suharto. Une des premières mesures consiste à interdire le PKI. Les Etats-Unis sont heureux de ce changement, d'autant plus qu'ils n'y sont pas étrangers.
Dès son arrivée au pouvoir, Suharto rétablit des relations privilégiées avec les USA. Dans la lutte anti-communiste, la CIA fournit aux militaires indonésiens la liste des suspects, envoie des « conseillers » sur place. C’est près de 500 000 personnes qui vont ainsi être supprimées : les chefs communistes et leurs familles, les communisants et autres sympathisants gauchistes. Les partis et mouvements musulmans participent à cette curie. L'Indonésie ne doit en aucun cas retomber dans le giron communiste; la vigueur de la répression anti-communiste fait l'admiration des Républicains américains.
En août 1966, c’est la normalisation des relations avec la Malaisie. Les écoles chinoises sont fermées. Le leader de la RMS (République des Moluques du Sud) est exécuté. L’Assemblée (MPR) déclare que la préambule de la Constitution de 1945, comprenant le Pancasila (les cinq principes[25]), est inaltérable. Suharto met en place son régime dit de l'Ordre Nouveau (Orde Baru) en rupture avec celui de Sukarno qui représente l'ancien.
En février 1967, les propriétés saisies aux britanniques et aux américains sont restituées. En Mars, le MPR retire tout pouvoir à Sukarno et Suharto est nommé Président. En avril, l’Indonésie rompt ses relations avec la République populaire de Chine. La compagnie américaine Freeport ouvre la mine de Gratsberg en Irian Jaya[26]. En août, création de l’ASEAN, regroupant l’Indonésie, la Malaisie, Singapour, les Philippines et la Thaïlande; cet ensemble régional reflète la dynamique américaine de l'endiguement. Début 1968, les relations avec les Etats-Unis se développent grandement et sont alors très amicales. En décembre 1969, le président Nixon visite Jakarta. L’année suivante, Suharto se rend à Washington. Le 21 juin 1969, Sukarno, meurt à Bogor.
Dans les six années qui suivent, l’Indonésie va connaître une récession malgré l’aide américaine qui passe par le biais de l’IGGI (the Inter-Governmental Group on Indonesia) ; début 1970, 60% du budget indonésien est financé par l’aide étrangère, dont l’IGGI. Avec la révolution des Œillets au Portugal, en avril 1974, le Timor oriental est indépendant. Avec le feu vert tacite des Etats-Unis, l’Indonésie envahit la partie orientale de l’île de Timor menacée de tomber dans le camp communiste si le FREITILIN (le mouvement de guérilla indépendantiste) arrivait au pouvoir; c’est l’opération Seroja le 7 décembre 1975.
Durant le temps de l'annexion du Timor Oriental, l'Indonésie a perpétré des massacres considérables. Avec la bénédiction des américains (nous sommes en pleine guerre froide) des tueries auront lieu, portant le nombre de victimes à environ 200 000, avec un apogée en 1978. Lors de l'invasion de la partie Est de l'île en 1975, Richard Woolcott, Ambassadeur australien à Jakarta, encourageant son gouvernement à suivre un cours "pragmatique" inspiré du "réalisme à la Kissinger" (alors secrétaire d'Etat dans l'administration Ford), expliqua que l'Australie avait tout avantage à ce que les réserves de pétrole du Timor tombent entre les mains de l'Indonésie "plutôt qu'entre celles du Portugal ou d'un Timor indépendant"[27]. Les australiens n'agissent pas seulement pour eux seuls, les compagnies américaines se joignent à la prospection lancée dans la Mer du Timor. Les relations militaire-militaire USA-Indonésie sont alors au zénith. Beaucoup de cadres de la TNI (l'armée indonésienne) vont se former aux Etats-Unis.
En 1976 débute un conflit qui se poursuivra jusqu'à aujourd'hui; c'est celui d'Aceh, province au Nord de Sumatra. Le mouvement sécessionniste, le GAM (Mouvement pour un Aceh Libre) est dirigé par Hassan Di Tiro. L'objectif des combattants de l'AGAM (le bras armé du GAM) est une indépendance totale de la province d’Aceh, et non une simple autonomie ; toutefois, les modalités de cette indépendance sont objets de controverses parmi les acteurs achenais eux-mêmes. Les Etats-Unis n'interfèrent en rien dans les affaires intérieures indonésiennes, laissant toute latitude répressive à Suharto; la province d'Aceh devient en 1989 et pour neuf ans, Zone d'Opérations Militaires (Daerah Operasi Militer ou DOM). Jusqu'en 1992, les rapports entre les USA et l'Indonésie sont au mieux; la consolidation du flan Sud de la mer de Chine méridionale est opérée.
1992-1999 : un notable désengagement
Mais, longtemps indifférents ou muets quant à la question du Timor Oriental, le Gouvernement et l’opinion publique américains s’intéressent de très près, depuis le début des années 1990, à la question des droits de l’homme dans l’ancienne colonie portugaise. Les Démocrates américains font sentir la différence dans leur approche des relations internationales. Dans le même temps, les USA rejettent les revendications archipelagiques de l’Indonésie, parce qu’elles accorderaient à Jakarta la juridiction de détroits stratégiques entre les océans Indien et pacifique. Les Etats-Unis se sont aussi vigoureusement opposés à l’Indonésie quand celle-ci s’est faite le partisan ardent de la création d’une Zone sans Armes Nucléaires en Asie du Sud-Est (S.E.A.N. Weapon Free Zone).
En 1991, le commerce des Etats-Unis avec l’archipel est supérieur à celui avec l’Europe de l’Est ; même si l’Indonésie s’est toujours targuée d’être un pays non-alignés, elle a néanmoins reconnu l’importance de la présence militaire et économique américaine en Asie du Sud-Est.
Après que furent même envisagées la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays et la fin de l’aide et des facilités commerciales américaines dans l’archipel, la question des droits de l’Homme ressurgissant aux Etats-Unis, la participation de l’Indonésie aux programmes IMET[28] est refusé fin 1992. Ceci intervient en réponse à l’incident du 12 novembre 1991 survenu au Timor Oriental où les forces de sécurité indonésienne ont tiré sur des activistes timorais. Sous l’administration Clinton, les américains soutiennent résolument et activement les pourparlers entre autorités portugaises et indonésiennes sous l’égide de l’ONU.
En 1997, l’Indonésie est un des pays d’Asie du Sud-Est le plus touché par la crise financière et monétaire. C’est le début de la fin de l’ère Suharto, les américains ne peuvent continuer à soutenir à bout de bras cet autocrate indéfendable. En 1998, après une série d’émeutes estudiantines[29] et une répression sanglante, le Président indonésien quitte finalement le pouvoir et Baccharuddin Jusuf Habibie devient Président par intérim[30], jusqu’au vote du MPR qui porte au poste suprême Abdurrahman Wahid, dit « Gus Dur », le 20 octobre 1999; la vice-Présidente est Megawati Sukarnoputri.
Les négociations portant sur la question timoraise, qui ont débuté sous la tutelle des NU mais aussi américaine[31], conduiront finalement au vote pour l’indépendance en septembre 1999[32]. Les Etats-Unis envisagent un temps une option fédérale pour l'Indonésie mais se rendent compte que cela pourrait conduire au chaos généralisé; ils sont alors soucieux de la personne qui pourrait être la mieux placée lors des prochaines élections présidentielles, mais ils ne s'engagent pas pour autant. L'aspect anti-corruption et droits de l'homme reste le discours tenu par Washington.
Commencent alors au Timor les affrontements entre partisans pro et anti Jakarta, avec le rôle des milices anti-indépendantistes soutenues par l’armée indonésienne. Cela conduira à l’intervention des forces de l’ONU, sous un commandement australien, pour séparer les belligérants. Un amendement est voté au Sénat américain - amendement portant le nom de son initiateur, Leahy - lequel interdit la vente d’armes aux pays ne respectant pas les droits de l’Homme et dont l’Indonésie fait partie. Le Timor oriental quitte l'Indonésie; la perte de cette province augmente le ressentiment des indonésiens et surtout des militaires tant vis à vis des australiens que des américains, considérés comme des "lâcheurs".
1999-2002 : un retour à petits pas
Sous la présidence Wahid, les relations avec les Etats-Unis sont cordiales mais sans plus. Gus Dur se rend aux Etats-Unis plusieurs fois et fait montre d'une réelle volonté de s'attaquer à la corruption comme à la prééminence de l'omnipotente armée, deux dossiers sensibles aux yeux de l'administration américaine. La Banque Mondiale se penche avec bienveillance sur le cas indonésien. En décembre 1999, les relations diplomatiques avec le Portugal sont renouées. Les USA campent toujours sur leurs positions vis à vis de la question timoraise : les généraux indonésiens responsables d'exactions doivent être jugés. C'est un préalable à toute reprise de relations militaire-militaire, à la fourniture de matériels et pièces détachées. Un procès concernant les atteintes portées aux droits de l'homme au Timor est lancé par Jakarta; le but indonésien étant d'éviter un jugement par une instance internationale. Ce procès en interne permet dans le même temps aux Etats-Unis de ne pas trop se voir reprocher leurs attitudes passées.
Alors que les yeux sont toujours tournés vers le Timor, aux Moluques, un conflit entre chrétiens et musulmans débute; il fera entre 6 000 et 12 000 morts dans l'indifférence la plus totale; les USA ne veulent pas interférer dans les affaires indonésiennes sur cette question, de peur de s'aliéner les mouvements musulmans qui se développent dans le pays depuis la chute de Suharto.
La question d'Aceh est toujours d'actualité; le GAM (Mouvement pour un Aceh Libre) poursuit sa lutte armée contre la présence des forces de l'ordre et de l'armée indonésienne. A l'orient de l'archipel, un autre mouvement sécessionniste se manifeste de plus en plus, c'est l'OPM (Organisation pour une Papouasie Libre, crée en 1965) et le Présidium Papou, avec à sa tête Theys Hiyo Eluay. Ces deux provinces d'Aceh et de Papouasie sont très riches en matières premières et hydrocarbures et de nombreuses sociétés américaines y sont présentes mais non rejetées par les rebelles, à l'exception de PT Freeport[33] en Papouasie, à cause de l'impact négatif de la mine de Gratsberg sur l'environnement et les terres sacrées papoues. Les relations avec l'Australie ne sont pas au mieux non seulement depuis l'affaire du Timor mais également parce que Jakarta accuse les australiens de soutenir les mouvements sécessionnistes en Papouasie par le biais d'ONG et de Pasteurs évangéliques protestants.
Face à ces divers mouvements, Gus Dur met en place la loi sur l'autonomie des provinces; cette loi prend effet au 1er janvier 2001, et elle accorde 70% des richesses aux provinces, le reste étant reversé à Jakarta. Aceh et la Papouasie occidentale bénéficient d'un "statut d'autonomie spéciale". Mais rien ne change dans les provinces rebelles. S'attaquant à une politique de réforme des institutions, le Président indonésien s'attire nombre d'inimitiés et en particulier des militaires. Porté au pouvoir par une coalition hétéroclite, Gus Dur est de plus en plus contesté. Et bientôt, il est évincé du pouvoir par le MPR qui élit Megawati Sukarnoputri le 21 juillet 2001. L'armée indonésienne appuie le mouvement, et joue la carte de la démocratie, cherche à se forger une nouvelle image de respectabilité.
L'arrivée au pouvoir de Megawati est bien perçue par les Etats-Unis, lesquels ne savaient pas "gérer" son prédécesseur jugé trop "fantasque". Nationaliste, Megawati défend fortement l'intégrité du territoire indonésien ; elle est soutenue par les pays occidentaux, et notamment par les USA, en ce sens. Les relations avec Canberra se réchauffent, et la prospection et l'exploitation des réserves du Timor Gap se développent. L'Australie est en fait un paravent américain dans cette zone de l'archipel car la majorité des sociétés pétrolières travaillant là sont américaines.
Avec l'arrivée de Megawati, le complexe militaro-industriel américain met en branle une vaste opération politico-diplomatique pour que les relations commerciales touchant le matériels militaires soient reprises. Ainsi, peu à peu, les barrières tombent, hormis l'amendement Leahy qui doit passer par un vote du Sénat pour être levé. Nombre d'activistes des droits de l'homme critiquent cette attitude, jugeant que les militaires indonésiens n'ont pas opéré une réforme en profondeur, suffisante, à même de garantir une rupture effective d'avec les pratiques du temps de l'Ordre Nouveau.
11 septembre 2001 : une nouvelle ère, un renforcement
Avec les attentats multi-cibles de New York et Washington, l'Asie du Sud Est devient le second front de la lutte engagée par l'administration Bush contre le terrorisme. Depuis la fin des années 90, les mouvements islamistes se sont développés dans la région (Sud des Philippines, Malaisie et Indonésie), et ce d'autant plus avec la fin de l'ère Suharto. La Présidente Megawati est en phase avec Washington dans cette lutte et ce malgré les critiques émanant des mouvements musulmans - pas exclusivement radicaux - qui développent un discours franchement anti-américain. L'Indonésie soutient officiellement l'attaque de l'Afghanistan. Jakarta bénéficie de ces retombées, et se voit accorder des dons et des prêts de près de 600 millions de dollars pour renforcer les forces de sécurité de l'archipel.
Avec les attentats de Bali et de Manado (Nord de Célèbes), l'Indonésie est victime du terrorisme internationaliste d'origine islamiste. Le terrorisme n'est pas une nouveauté dans l'archipel car les mouvements sécessionnistes le pratiquaient mais après le 12 octobre 2002, la mise à jour du réseau de la Jemaah Islamiyah plonge d'autant plus l'Indonésie et son gouvernement dans le camp américain. La population, elle, est plus rétive à cet engagement; même les mouvements musulmans modérés émettent des réserves à ce rapprochement avec Washington. Par ailleurs, les mouvements des droits de l'homme craignent un renforcement du pouvoir et des militaires. Megawati, qui a toujours été proche des militaires, utilise l'occasion pour développer les assises de son pouvoir. Les prochaines élections présidentielles sont prévues pour 2004, il faut donc avoir les militaires de son côté tout en ne froissant pas les mouvements musulmans. C'est une gymnastique assez dure, et il est difficile de contenter tout le monde. Les Etats-Unis dans tout cela retrouvent un moyen légitime de renouer avec Jakarta et de reprendre la coopération en matière militaire. Précisons que depuis 1966, quand bien même des froids ont pu survenir, seul le secteur touchant à la défense a pu être touché ; les autres industries (pétrolières, gazières, minières) poursuivant leurs activités sans aucun soucis, bénéficiant même de protections de l'armée indonésienne qui y trouve son compte tant financièrement que dans ses prérogatives.
Il est fort à parier que, bientôt, le dernier obstacle - l'amendement Leahy - sera levé; il y va de la survie de la politique des industries de défense américaines dans l'archipel car les militaires indonésiens ne sont plus ceux de l'ère Suharto ; ils ont vu ce à quoi pouvait conduire des liens trop exclusifs avec les Etats-Unis : la perte d'indépendance et la fin d'approvisionnement en pièces détachées rendent la TNI incapable d'agir comme elle le souhaite. Ainsi, plusieurs généraux cherchent-ils à diversifier leurs sources d'approvisionnement ; la Chine, la Russie et les pays européens sont perçus comme des alternatives nécessaires pour rompre l'exclusivité américaine en la matière. Par ailleurs, les hauts gradés de l'Etat-Major indonésien, qui sont tous passés par le Timor, n'ont pas oublié le revirement américain à partir des années 1990, et ils sont donc plus circonspects aujourd'hui dans leurs choix quand bien même ils sont courtisés discrètement. Mais la TNI n'étant pas monolithique, les américains vont vraisemblablement trouver des interlocuteurs complaisants, tant dans les services spéciaux indonésiens (BIN) que, surtout, à la tête de l'Etat et dans l'exécutif indonésien.
A moins d'un réveil des mouvements musulmans anti-américains, les Etats-Unis semblent entrés dans une phase plus active dans leurs relations avec l'Indonésie ; l'ancrage américain dans l'archipel s'opère sous nos yeux mais il est loin d'être encore achevé.
(texte arrêté au 28 octobre 2002).
1945-1949 : hésitations puis engagement américain.
La République d’Indonésie voit le jour peu de temps après les bombardements américains d’Hiroshima et de Nagasaki, le 17 août 1945. Néanmoins, il ne s’agit, à cette date, que de la déclaration d’indépendance unilatérale (Proklamasi) par Sukarno vis à vis de la puissance coloniale : les Pays-Bas. Ce mouvement d’indépendance a été exalté par le Japon qui a défait les hollandais le 28 mars 1942 et qui a été jusqu’à garantir aux indonésiens, début août 1945, une indépendance au 24 du même mois. Après les bombardements atomiques américains, les japonais se rendent le 15 août aux alliés mais l’armée et la marine du Soleil Levant conservent le contrôle sur l’archipel ; le Japon acceptant de restituer l’Indonésie aux hollandais de manière graduelle.
Entre la date de la Proklamasi et le transfert officiel de souveraineté à la République d’Indonésie par les Pays-Bas[1], suivront trois années de luttes violentes tant interne à l’Indonésie (factions rivales, musulmans radicaux, communistes, séparatistes), que contre les hollandais[2], les australiens[3] et les britanniques[4]. Dans ces toutes premières années de lutte pour l’indépendance, les Etats-Unis soutiennent les Pays-Bas. Il s’agit de ré-instaurer une souveraineté solide, quelle qu’elle soit, dans l’archipel.
Au même moment, dans la région, les Philippines, seule colonie américaine outre-mer, accèdent à l’indépendance le 4 juillet 1946. Les britanniques, quant à eux, quittent définitivement l’Indonésie le 29 novembre 1946 et, avec les Etats-Unis, l’Australie et l’Union Soviétique, ils soutiennent la cause de la République Indonésienne devant les Nations Unies. Ainsi, le 1er août 1947, le Conseil de Sécurité des Nations Unies appelle-t-il à un cessez-le-feu; trois jours plus tard, un accord entre Sukarno et les hollandais est ratifié mais, sur le terrain, il n’est pas respecté. Le Gouverneur Van Mook, tentent une dernière carte : l’établissement de plusieurs Etats dans l’archipel, dans l’espoir de créer une Indonésie Fédérale plus ou moins indépendante mais encore liée à la couronne néerlandaise.
Les Etats-Unis ne se désintéressent pas du sort de l'Indonésie. Ainsi, le 17 janvier 1948, c’est sur l’USS Renville[5] que les hollandais signent, sous les auspices des NU, un cessez-le-feu qui leur est plutôt favorable. Les Etats-Unis feront néanmoins pression sur les hollandais pour que soit inclus la mention « République d’Indonésie », condition préalable exigée par les indonésiens. Ce n’est toutefois pas l’indépendance.
Par la suite, plusieurs éléments vont modifier l’attitude, jusqu’à lors modérée, des USA vis à vis des hollandais. Puissance anti-coloniale par nature, les Etats-Unis constatent que la Hollande n'est même pas en mesure d'instaurer une paix durable et rapide dans l'archipel. En effet, en mai 1948, Kartosuwirjo se proclame Imam de l’Etat Islamique d’Indonésie (Darul islam) ; c’est le début d’une rébellion sanglante contre à la fois les hollandais et la jeune République indonésienne. Mais ce sont surtout les événements de Madiun (Java Centre) avec la tentative de coup d’Etat communiste du 18 septembre 1948[6] qui fait se tourner les américains résolument aux côtés des indonésiens. La répression fait apparaître les républicains indonésiens comme franchement anticommunistes et, dès lors, les Etats-Unis exercent une pression très forte sur les Pays-Bas pour qu’ils accèdent pleinement à la demande d’indépendance de l’Indonésie. Le 11 octobre, Van Mook démissionne de son poste de « Lieutenant-Gouverneur des Indes néerlandaises », et la Hollande crée moins d’un mois plus tard un poste de « Haut représentant de la Couronne ». La puissance coloniale fait fi des pressions américaines et des Nations Unies[7], et poursuit sa politique propre vis à vis de l’archipel. En décembre 1948, à l’exception d’Aceh et de quelques endroits de Sumatra, toute l’Indonésie est sous contrôle hollandais. Excédés, les USA suspendent leurs aides en faveur des hollandais car ils s’aperçoivent que l’argent du Plan Marshall participe au budget militaire néerlandais lequel finance en grande partie la guerre en Indonésie. Avec les pressions émanant du Conseil de Sécurité des NU[8] pour une cessation des hostilités[9], et enfin l’exigence d’une indépendance totale au premier juillet 1950[10], des accords se tiennent finalement à La Hague entre le 23 août et le 2 novembre 1949, accords qui aboutissent à un transfert formel de souveraineté le 27 décembre 1949[11].
On le voit, durant cette première période, les Etats-Unis ont changé radicalement de point de vue : ils ont soutenu en un premier temps la puissance coloniale dès la fin de la guerre dans le Pacifique puis, craignant que ne s'instaure un gouvernement indonésien non favorable à leurs intérêts, ils ont défendu la jeune République indonésienne menacée par les communistes à compter de septembre 1948. Nous sommes au début de la guerre froide, le monde de l’après-guerre se structure et les alliances se nouent ; l’Indonésie bénéficie de la bipolarisation qui s’instaure sur le monde.
1949-1958 : des relations cordiales.
Les premières années de la République ne sont pas paisibles ; les mouvements sécessionnistes[12], islamiques[13] et communistes[14] demeurent. En pleine guerre froide, Sukarno lance la Conférence de Bandung, réunissant les « non-alignés » : Tchou-En-Lai, Nehru et Nasser en tête. En mai 1956, Sukarno visite les Etats-Unis ; en novembre de la même année, il suggère la Démocratie dirigée. ce n’est pourtant que l’année suivante[15] que ce système de gouvernement voit officiellement le jour, le but étant de venir à bout de l’instabilité croissante et constante du pays, de dépasser le régime des partis. La tension monte graduellement et, le 14 mars 1957, Sukarno proclame finalement la Loi martiale ; les journaux sont censurés, de nombreux politiciens sont arrêtés pour corruption. D’aucun voient dans ce durcissement une étape vers un Gouvernement plus proche des communistes ; néanmoins, dans la pratique, la démocratie dirigée n’a apporté plus de pouvoir qu’à Sukarno seul. C’est la période où les sociétés hollandaises sont nationalisées[16], où 46 000 citoyens hollandais sont expulsés[17] par le Gouvernement indonésien. Un tournant s’opère tant pour l’Indonésie elle-même que pour le regard américain sur ce pays. C'est la période au cours de laquelle l'Indonésie vacille davantage et menace de s'échapper irrémédiablement vers le camp communiste; mais dans cette période de flottement, les Etats-Unis ne s'engagent pas, ne bénéficiant pas de relais forts sur place à même de s'imposer face à Sukarno, leader sans partage.
1958-1966 : des relations contrastées et diplomatie secrète.
La rébellion se renforce, et Sukarno se rapproche des mouvements de gauche[18]. Le 14 février 1958, un Gouvernement d’opposition voit le jour ; c’est celui du PRRI[19] avec à sa tête Sjafruddin. Les Etats-Unis, voient l’occasion d’utiliser cette opposition face aux « gauchissement » de la politique de Sukarno. Une aide secrète américaine est apportée aux forces de la rébellion ; en mai 1958, un pilote américain est abattu à Amboine (Moluques) alors qu’il apportait de l’aide aux rebelles. Sukarno accuse les américains d’ourdir la révolte, de soutenir les mouvements séparatistes d’Aceh et de Célèbes, de saper son autorité. Les relations entre les deux pays se détériorent. Les pays voisins (Philippines, Taiwan, Corée du Sud et la nouvelle Malaysie) soutiennent eux aussi le PRRI. En septembre 1958, Nasution, chef d’Etat-Major des armées, interdit le grand parti musulman Masjumi et d’autres partis politiques jugés proches du PRRI. En juillet 1959, Sukarno dissout l’Assemblée, rétablit la Constitution de 1945 tout en se faisant nommer lui-même Premier Ministre et, le mois suivant[20], il crée un nouveau système de Gouvernement appelé Manifesto Politik (ou gouvernement par décret) ou Manipol, à l’idéologie pas vraiment définie. Alors que le régime se durcit, le rapprochement avec les communistes s’opère ouvertement ; il s’agit de contrer le puissant parti musulman, le PRRI et les sécessionnistes. Dès le début de l’année 1960, Sukarno commence à utiliser un nouveau slogan mobilisateur : Nasakom (Nasionalisme, Agama – religion – et Komunisme). En janvier de cette année, Kroutchev rend une visite à Jakarta. Alors que l’armée indonésienne, elle, rejette les communistes qui prennent de plus en plus de pouvoir, Sukarno libère les membres du Politburo arrêtés par les militaires.
En janvier 1961, Nasution, alors Ministre de la Sécurité Nationale, visite et les USA et l’URSS ; les Etats-Unis n’accordent aucune aide, alors que l’Union Soviétique ne donne pas moins de 400 millions de dollars à Jakarta. En mai de la même année, Sukarno rencontre JF Kennedy ; les relations entre les deux pays se réchauffent quelque peu. Le but de la tournée de Sukarno est de regagner la confiance américaine pour bénéficier d’un soutien aux Nations Unies dans les négociation concernant la question de la Papouasie occidentale. En février 1962, c’est Robert Kennedy, Ministre de la Justice, qui conduit les négociations sur la question. Mais, malgré ce « soutien américain », le mois suivant, Sukarno nomme Aidit (chef du PKI) ministre conseiller. Les négociations sur la Papouasie (ou Irian Jaya) se termine néanmoins sur l’accord[21] des Pays-Bas de restituer le territoire aux Nations Unies dans les deux mois ; les NU, de leur côté, s’engageant à transférer l’Irian Jaya à l’Indonésie en mai de l’année suivante si des élections locales approuvaient cette intégration. 1962, c’est aussi le début de la Konfrontasi, la lutte entre la Malaisie (encore sous contrôle britannique) et l’Indonésie au sujet de deux provinces du Nord de Bornéo[22].
En septembre de l’année suivante, la Malaisie est crée, et les communistes indonésiens attaquent l’ambassade britannique à Jakarta ; l’Indonésie rompt ses relations diplomatiques avec Kuala Lumpur. En décembre 1963, le chef du PKI retourne d’un voyage en Union Soviétique et en Chine Populaire ; les communistes indonésiens commencent à développer leur politique agraire socialiste, à confisquer les terres des grands propriétaires ruraux. Il en résulte des affrontements violents avec les organisations islamiques. Devant cette communisation flagrante, le Président L.B. Johnson retire toute aide économique à l’Indonésie toutefois, dans le même temps, il soutient secrètement les militaires indonésiens pro-américains.
En 1964, c’est Robert Kennedy qui finalise le cessez-le-feu entre la Malaisie et Jakarta ; les attaques de guérilla continuent. En janvier, le PKI confisquent les biens britanniques en Indonésie. En mars 1964, c’est la rupture ; Sukarno prononce un discours où il dit aux USA « d’aller au diable », les biens américains en Indonésie sont confisqués. C’est la relance de la Konfrontasi laquelle coûte de plus en plus cher à Jakarta. La République Populaire de Chine offre à l’Indonésie, si elle le souhaite, 100 000 armes légères en vue de constituer une milice paysanne. Sukarno est de plus en plus sous la coupe des communistes ; c’est la période où il dénonce des « complots de la CIA ». En mai 1965, Sukarno appelle à la création d’une armée paysanne, il dénonce des « complots de l’armée » fomentés avec l’aide de l’ambassade britannique et dirigés contre lui. En juin, les communistes tiennent la Police de Jakarta ; le mois suivant, ils organisent la liquidation des anti-communistes du parti de Sukarno, le PNI. En août, Sukarno coupe les ponts avec le Fond Monétaire International, la Banque Mondiale et Interpol; c’est la spirale de l’isolement vis à vis du monde occidental.
Durant cette période, les Etats-Unis tentent de ne pas heurter l'Indonésie de front; il leur faut éviter que l'archipel ne tombe dans les mains des chinois ou du moins dans le camp communiste (URSS). Cela a toujours été une constante et la hantise américaine dans cette région. Georges Kennan, le père de la doctrine de l'endiguement, présentait d'ailleurs l'Indonésie comme un Etat d'une importance stratégique majeure. N'affrontant donc pas de front l'archipel, les Etats-Unis et ses services "travaillent" en sous main pour au moins éviter le pire, au mieux faire retomber le pays dans le giron du "monde libre".
1966-1992 : la période faste
Le 17 août, date anniversaire de l’indépendance, Sukarno défend dans un discours, l’idée d’une « alliance anti-impérialiste » comprenant Pékin et d’autres pays communistes asiatiques. La RPC est proche de Jakarta comme elle ne l’a jamais été. Mais le 30 septembre, c’est le coup d’Etat (G30S, Gerakan 30 September), où les communistes sont accusés d’avoir assassiné neuf officiers supérieurs dont six généraux; le G30S se dit « pro-Sukarno, anti-corruption, anti-américain et anti-CIA ». Le jeune Suharto, chef du Kostrad[23], annonce le 1er octobre 1965, à la radio, que six généraux ont été tués, mais qu’il contrôle l’armée et vient de mettre fin à un coup d’Etat qui menaçait Sukarno. La lutte contre les communistes commence. Tout en laissant Sukarno au poste de Président, Suharto met en place ses hommes et ses réseaux ; il isole de plus en plus le Président et tient en fait les rênes du pouvoir. Le 11 mars 1966, la chose s’officialise avec la signature par Sukarno du document Supersemar[24] qui donnent tous les pouvoirs au jeune Général Suharto. Une des premières mesures consiste à interdire le PKI. Les Etats-Unis sont heureux de ce changement, d'autant plus qu'ils n'y sont pas étrangers.
Dès son arrivée au pouvoir, Suharto rétablit des relations privilégiées avec les USA. Dans la lutte anti-communiste, la CIA fournit aux militaires indonésiens la liste des suspects, envoie des « conseillers » sur place. C’est près de 500 000 personnes qui vont ainsi être supprimées : les chefs communistes et leurs familles, les communisants et autres sympathisants gauchistes. Les partis et mouvements musulmans participent à cette curie. L'Indonésie ne doit en aucun cas retomber dans le giron communiste; la vigueur de la répression anti-communiste fait l'admiration des Républicains américains.
En août 1966, c’est la normalisation des relations avec la Malaisie. Les écoles chinoises sont fermées. Le leader de la RMS (République des Moluques du Sud) est exécuté. L’Assemblée (MPR) déclare que la préambule de la Constitution de 1945, comprenant le Pancasila (les cinq principes[25]), est inaltérable. Suharto met en place son régime dit de l'Ordre Nouveau (Orde Baru) en rupture avec celui de Sukarno qui représente l'ancien.
En février 1967, les propriétés saisies aux britanniques et aux américains sont restituées. En Mars, le MPR retire tout pouvoir à Sukarno et Suharto est nommé Président. En avril, l’Indonésie rompt ses relations avec la République populaire de Chine. La compagnie américaine Freeport ouvre la mine de Gratsberg en Irian Jaya[26]. En août, création de l’ASEAN, regroupant l’Indonésie, la Malaisie, Singapour, les Philippines et la Thaïlande; cet ensemble régional reflète la dynamique américaine de l'endiguement. Début 1968, les relations avec les Etats-Unis se développent grandement et sont alors très amicales. En décembre 1969, le président Nixon visite Jakarta. L’année suivante, Suharto se rend à Washington. Le 21 juin 1969, Sukarno, meurt à Bogor.
Dans les six années qui suivent, l’Indonésie va connaître une récession malgré l’aide américaine qui passe par le biais de l’IGGI (the Inter-Governmental Group on Indonesia) ; début 1970, 60% du budget indonésien est financé par l’aide étrangère, dont l’IGGI. Avec la révolution des Œillets au Portugal, en avril 1974, le Timor oriental est indépendant. Avec le feu vert tacite des Etats-Unis, l’Indonésie envahit la partie orientale de l’île de Timor menacée de tomber dans le camp communiste si le FREITILIN (le mouvement de guérilla indépendantiste) arrivait au pouvoir; c’est l’opération Seroja le 7 décembre 1975.
Durant le temps de l'annexion du Timor Oriental, l'Indonésie a perpétré des massacres considérables. Avec la bénédiction des américains (nous sommes en pleine guerre froide) des tueries auront lieu, portant le nombre de victimes à environ 200 000, avec un apogée en 1978. Lors de l'invasion de la partie Est de l'île en 1975, Richard Woolcott, Ambassadeur australien à Jakarta, encourageant son gouvernement à suivre un cours "pragmatique" inspiré du "réalisme à la Kissinger" (alors secrétaire d'Etat dans l'administration Ford), expliqua que l'Australie avait tout avantage à ce que les réserves de pétrole du Timor tombent entre les mains de l'Indonésie "plutôt qu'entre celles du Portugal ou d'un Timor indépendant"[27]. Les australiens n'agissent pas seulement pour eux seuls, les compagnies américaines se joignent à la prospection lancée dans la Mer du Timor. Les relations militaire-militaire USA-Indonésie sont alors au zénith. Beaucoup de cadres de la TNI (l'armée indonésienne) vont se former aux Etats-Unis.
En 1976 débute un conflit qui se poursuivra jusqu'à aujourd'hui; c'est celui d'Aceh, province au Nord de Sumatra. Le mouvement sécessionniste, le GAM (Mouvement pour un Aceh Libre) est dirigé par Hassan Di Tiro. L'objectif des combattants de l'AGAM (le bras armé du GAM) est une indépendance totale de la province d’Aceh, et non une simple autonomie ; toutefois, les modalités de cette indépendance sont objets de controverses parmi les acteurs achenais eux-mêmes. Les Etats-Unis n'interfèrent en rien dans les affaires intérieures indonésiennes, laissant toute latitude répressive à Suharto; la province d'Aceh devient en 1989 et pour neuf ans, Zone d'Opérations Militaires (Daerah Operasi Militer ou DOM). Jusqu'en 1992, les rapports entre les USA et l'Indonésie sont au mieux; la consolidation du flan Sud de la mer de Chine méridionale est opérée.
1992-1999 : un notable désengagement
Mais, longtemps indifférents ou muets quant à la question du Timor Oriental, le Gouvernement et l’opinion publique américains s’intéressent de très près, depuis le début des années 1990, à la question des droits de l’homme dans l’ancienne colonie portugaise. Les Démocrates américains font sentir la différence dans leur approche des relations internationales. Dans le même temps, les USA rejettent les revendications archipelagiques de l’Indonésie, parce qu’elles accorderaient à Jakarta la juridiction de détroits stratégiques entre les océans Indien et pacifique. Les Etats-Unis se sont aussi vigoureusement opposés à l’Indonésie quand celle-ci s’est faite le partisan ardent de la création d’une Zone sans Armes Nucléaires en Asie du Sud-Est (S.E.A.N. Weapon Free Zone).
En 1991, le commerce des Etats-Unis avec l’archipel est supérieur à celui avec l’Europe de l’Est ; même si l’Indonésie s’est toujours targuée d’être un pays non-alignés, elle a néanmoins reconnu l’importance de la présence militaire et économique américaine en Asie du Sud-Est.
Après que furent même envisagées la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays et la fin de l’aide et des facilités commerciales américaines dans l’archipel, la question des droits de l’Homme ressurgissant aux Etats-Unis, la participation de l’Indonésie aux programmes IMET[28] est refusé fin 1992. Ceci intervient en réponse à l’incident du 12 novembre 1991 survenu au Timor Oriental où les forces de sécurité indonésienne ont tiré sur des activistes timorais. Sous l’administration Clinton, les américains soutiennent résolument et activement les pourparlers entre autorités portugaises et indonésiennes sous l’égide de l’ONU.
En 1997, l’Indonésie est un des pays d’Asie du Sud-Est le plus touché par la crise financière et monétaire. C’est le début de la fin de l’ère Suharto, les américains ne peuvent continuer à soutenir à bout de bras cet autocrate indéfendable. En 1998, après une série d’émeutes estudiantines[29] et une répression sanglante, le Président indonésien quitte finalement le pouvoir et Baccharuddin Jusuf Habibie devient Président par intérim[30], jusqu’au vote du MPR qui porte au poste suprême Abdurrahman Wahid, dit « Gus Dur », le 20 octobre 1999; la vice-Présidente est Megawati Sukarnoputri.
Les négociations portant sur la question timoraise, qui ont débuté sous la tutelle des NU mais aussi américaine[31], conduiront finalement au vote pour l’indépendance en septembre 1999[32]. Les Etats-Unis envisagent un temps une option fédérale pour l'Indonésie mais se rendent compte que cela pourrait conduire au chaos généralisé; ils sont alors soucieux de la personne qui pourrait être la mieux placée lors des prochaines élections présidentielles, mais ils ne s'engagent pas pour autant. L'aspect anti-corruption et droits de l'homme reste le discours tenu par Washington.
Commencent alors au Timor les affrontements entre partisans pro et anti Jakarta, avec le rôle des milices anti-indépendantistes soutenues par l’armée indonésienne. Cela conduira à l’intervention des forces de l’ONU, sous un commandement australien, pour séparer les belligérants. Un amendement est voté au Sénat américain - amendement portant le nom de son initiateur, Leahy - lequel interdit la vente d’armes aux pays ne respectant pas les droits de l’Homme et dont l’Indonésie fait partie. Le Timor oriental quitte l'Indonésie; la perte de cette province augmente le ressentiment des indonésiens et surtout des militaires tant vis à vis des australiens que des américains, considérés comme des "lâcheurs".
1999-2002 : un retour à petits pas
Sous la présidence Wahid, les relations avec les Etats-Unis sont cordiales mais sans plus. Gus Dur se rend aux Etats-Unis plusieurs fois et fait montre d'une réelle volonté de s'attaquer à la corruption comme à la prééminence de l'omnipotente armée, deux dossiers sensibles aux yeux de l'administration américaine. La Banque Mondiale se penche avec bienveillance sur le cas indonésien. En décembre 1999, les relations diplomatiques avec le Portugal sont renouées. Les USA campent toujours sur leurs positions vis à vis de la question timoraise : les généraux indonésiens responsables d'exactions doivent être jugés. C'est un préalable à toute reprise de relations militaire-militaire, à la fourniture de matériels et pièces détachées. Un procès concernant les atteintes portées aux droits de l'homme au Timor est lancé par Jakarta; le but indonésien étant d'éviter un jugement par une instance internationale. Ce procès en interne permet dans le même temps aux Etats-Unis de ne pas trop se voir reprocher leurs attitudes passées.
Alors que les yeux sont toujours tournés vers le Timor, aux Moluques, un conflit entre chrétiens et musulmans débute; il fera entre 6 000 et 12 000 morts dans l'indifférence la plus totale; les USA ne veulent pas interférer dans les affaires indonésiennes sur cette question, de peur de s'aliéner les mouvements musulmans qui se développent dans le pays depuis la chute de Suharto.
La question d'Aceh est toujours d'actualité; le GAM (Mouvement pour un Aceh Libre) poursuit sa lutte armée contre la présence des forces de l'ordre et de l'armée indonésienne. A l'orient de l'archipel, un autre mouvement sécessionniste se manifeste de plus en plus, c'est l'OPM (Organisation pour une Papouasie Libre, crée en 1965) et le Présidium Papou, avec à sa tête Theys Hiyo Eluay. Ces deux provinces d'Aceh et de Papouasie sont très riches en matières premières et hydrocarbures et de nombreuses sociétés américaines y sont présentes mais non rejetées par les rebelles, à l'exception de PT Freeport[33] en Papouasie, à cause de l'impact négatif de la mine de Gratsberg sur l'environnement et les terres sacrées papoues. Les relations avec l'Australie ne sont pas au mieux non seulement depuis l'affaire du Timor mais également parce que Jakarta accuse les australiens de soutenir les mouvements sécessionnistes en Papouasie par le biais d'ONG et de Pasteurs évangéliques protestants.
Face à ces divers mouvements, Gus Dur met en place la loi sur l'autonomie des provinces; cette loi prend effet au 1er janvier 2001, et elle accorde 70% des richesses aux provinces, le reste étant reversé à Jakarta. Aceh et la Papouasie occidentale bénéficient d'un "statut d'autonomie spéciale". Mais rien ne change dans les provinces rebelles. S'attaquant à une politique de réforme des institutions, le Président indonésien s'attire nombre d'inimitiés et en particulier des militaires. Porté au pouvoir par une coalition hétéroclite, Gus Dur est de plus en plus contesté. Et bientôt, il est évincé du pouvoir par le MPR qui élit Megawati Sukarnoputri le 21 juillet 2001. L'armée indonésienne appuie le mouvement, et joue la carte de la démocratie, cherche à se forger une nouvelle image de respectabilité.
L'arrivée au pouvoir de Megawati est bien perçue par les Etats-Unis, lesquels ne savaient pas "gérer" son prédécesseur jugé trop "fantasque". Nationaliste, Megawati défend fortement l'intégrité du territoire indonésien ; elle est soutenue par les pays occidentaux, et notamment par les USA, en ce sens. Les relations avec Canberra se réchauffent, et la prospection et l'exploitation des réserves du Timor Gap se développent. L'Australie est en fait un paravent américain dans cette zone de l'archipel car la majorité des sociétés pétrolières travaillant là sont américaines.
Avec l'arrivée de Megawati, le complexe militaro-industriel américain met en branle une vaste opération politico-diplomatique pour que les relations commerciales touchant le matériels militaires soient reprises. Ainsi, peu à peu, les barrières tombent, hormis l'amendement Leahy qui doit passer par un vote du Sénat pour être levé. Nombre d'activistes des droits de l'homme critiquent cette attitude, jugeant que les militaires indonésiens n'ont pas opéré une réforme en profondeur, suffisante, à même de garantir une rupture effective d'avec les pratiques du temps de l'Ordre Nouveau.
11 septembre 2001 : une nouvelle ère, un renforcement
Avec les attentats multi-cibles de New York et Washington, l'Asie du Sud Est devient le second front de la lutte engagée par l'administration Bush contre le terrorisme. Depuis la fin des années 90, les mouvements islamistes se sont développés dans la région (Sud des Philippines, Malaisie et Indonésie), et ce d'autant plus avec la fin de l'ère Suharto. La Présidente Megawati est en phase avec Washington dans cette lutte et ce malgré les critiques émanant des mouvements musulmans - pas exclusivement radicaux - qui développent un discours franchement anti-américain. L'Indonésie soutient officiellement l'attaque de l'Afghanistan. Jakarta bénéficie de ces retombées, et se voit accorder des dons et des prêts de près de 600 millions de dollars pour renforcer les forces de sécurité de l'archipel.
Avec les attentats de Bali et de Manado (Nord de Célèbes), l'Indonésie est victime du terrorisme internationaliste d'origine islamiste. Le terrorisme n'est pas une nouveauté dans l'archipel car les mouvements sécessionnistes le pratiquaient mais après le 12 octobre 2002, la mise à jour du réseau de la Jemaah Islamiyah plonge d'autant plus l'Indonésie et son gouvernement dans le camp américain. La population, elle, est plus rétive à cet engagement; même les mouvements musulmans modérés émettent des réserves à ce rapprochement avec Washington. Par ailleurs, les mouvements des droits de l'homme craignent un renforcement du pouvoir et des militaires. Megawati, qui a toujours été proche des militaires, utilise l'occasion pour développer les assises de son pouvoir. Les prochaines élections présidentielles sont prévues pour 2004, il faut donc avoir les militaires de son côté tout en ne froissant pas les mouvements musulmans. C'est une gymnastique assez dure, et il est difficile de contenter tout le monde. Les Etats-Unis dans tout cela retrouvent un moyen légitime de renouer avec Jakarta et de reprendre la coopération en matière militaire. Précisons que depuis 1966, quand bien même des froids ont pu survenir, seul le secteur touchant à la défense a pu être touché ; les autres industries (pétrolières, gazières, minières) poursuivant leurs activités sans aucun soucis, bénéficiant même de protections de l'armée indonésienne qui y trouve son compte tant financièrement que dans ses prérogatives.
Il est fort à parier que, bientôt, le dernier obstacle - l'amendement Leahy - sera levé; il y va de la survie de la politique des industries de défense américaines dans l'archipel car les militaires indonésiens ne sont plus ceux de l'ère Suharto ; ils ont vu ce à quoi pouvait conduire des liens trop exclusifs avec les Etats-Unis : la perte d'indépendance et la fin d'approvisionnement en pièces détachées rendent la TNI incapable d'agir comme elle le souhaite. Ainsi, plusieurs généraux cherchent-ils à diversifier leurs sources d'approvisionnement ; la Chine, la Russie et les pays européens sont perçus comme des alternatives nécessaires pour rompre l'exclusivité américaine en la matière. Par ailleurs, les hauts gradés de l'Etat-Major indonésien, qui sont tous passés par le Timor, n'ont pas oublié le revirement américain à partir des années 1990, et ils sont donc plus circonspects aujourd'hui dans leurs choix quand bien même ils sont courtisés discrètement. Mais la TNI n'étant pas monolithique, les américains vont vraisemblablement trouver des interlocuteurs complaisants, tant dans les services spéciaux indonésiens (BIN) que, surtout, à la tête de l'Etat et dans l'exécutif indonésien.
A moins d'un réveil des mouvements musulmans anti-américains, les Etats-Unis semblent entrés dans une phase plus active dans leurs relations avec l'Indonésie ; l'ancrage américain dans l'archipel s'opère sous nos yeux mais il est loin d'être encore achevé.
Notes :
[1] le 27 décembre 1949.
[2] La puissance coloniale encore souveraine. Début 1946, les forces néerlandaises (la KNIL) comptent environ 20 000 soldats en Indonésie ; des effectifs qui monteront jusqu’à 92 000.
[3] Lord Mountbatten, le Commandant Suprême des Forces Alliées en Asie du Sud-Est, assigne aux australiens la responsabilité de Bornéo (Kalimantan) et de l’Est de l’Indonésie (Célèbes, Moluques, Papouasie, petites îles de la Sonde). A compter du 15 décembre 1945, les forces hollandaises commencent à remplacer, comme puissance occupante dans la partie orientale de l’archipel, les troupes britanniques.
[4] Le Général Mallaby arrive le 25 octobre 1945 avec le 49ème Régiment d’Infanterie Indienne. Les britanniques prennent en charge Sumatra et Java. Le Major Général Hawthorn remplace Mallaby le 30 octobre 1945, après l’assassinat de ce dernier quelques heures après la signature d’un cessez-le-feu avec Sukarno et Hatta, les deux leaders indonésiens. La plupart des forces britanniques présentes en Indonésie viennent des Indes ; Nehru protesta vivement contre l’utilisation de troupes indiennes à l’encontre des indonésiens. Ce fut une des raisons majeures du retrait britannique.
[5] Bâtiment de transport américain basé aux Philippines mais qui a mouillé, pour les négociations, au port de Jakarta.
[6] Le « coup de Madiun » fut la seconde tentative de révolte – infructueuse - du PKI, le parti communiste indonésien ; la première ayant eu lieu en juillet 1926.
[7] Humiliation par les hollandais des forces des NU à Kaliurang.
[8] Non sans que les Etats-Unis y soient étrangers.
[9] 24 décembre 1948.
[10] 28 janvier 1949
[11] Début 1950, ce n’est pas moins de 300 000 citoyens hollandais qui quittent l’Indonésie, et le 26 juillet 1950, l’armée royale des indes hollandaises (KNIL) est officiellement dissoute. La Papouasie occidentale reste toujours aux mains des hollandais.
[12] Aux Moluques avec la République des Moluques du Sud (RMS) et son chef Sumokil.
[13] Toujours le Darul Islam de Kartosuwirjo.
[14] Le PKI avec Aidit, son chef, de 1951 à 1965.
[15] Le 21 février 1957.
[16] Le 1er décembre 1957, Sukarno annonce la nationalisation de 246 sociétés hollandaises.
[17] Le 5 décembre 1957.
[18] Communistes et socialistes.
[19] Pemerintah Revolusioner Republik Indonesia.
[20] le 17 août.
[21] Le 15 août 1962.
[22] Sabah et Sarawak.
[23] Commandement des Réserves Stratégiques.
[24] « Surat Perintah Sebelas Maret ».
[25] le nationalisme (Kebangsaan), l'humanisme (Kemanusiaan), un gouvernement représentatif (Kerakyatan), la justice sociale (Keadilan Social), le monothéisme (Ketuhanan).
[26] La plus grande mine d'or et de cuivre du monde.
[27] Noam Chomsky, in "L'Indonésie, atout maître du jeu américain", Le Monde Diplomatique, juin 1998.
[28] programmes d’enseignement et d’entraînement militaires internationaux
[29] En mars, avril et surtout mai 1998.
[30] Le 21 mai 1998.
[31] Le 5 mai 1999, les portugais et les indonésiens signent un accord à New York sur un vote d'autodétermination de l'île.
[32] 78% en faveur de la séparation d’avec l’Indonésie.
[33] filiale indonésienne de Freeport-McRohan.
[2] La puissance coloniale encore souveraine. Début 1946, les forces néerlandaises (la KNIL) comptent environ 20 000 soldats en Indonésie ; des effectifs qui monteront jusqu’à 92 000.
[3] Lord Mountbatten, le Commandant Suprême des Forces Alliées en Asie du Sud-Est, assigne aux australiens la responsabilité de Bornéo (Kalimantan) et de l’Est de l’Indonésie (Célèbes, Moluques, Papouasie, petites îles de la Sonde). A compter du 15 décembre 1945, les forces hollandaises commencent à remplacer, comme puissance occupante dans la partie orientale de l’archipel, les troupes britanniques.
[4] Le Général Mallaby arrive le 25 octobre 1945 avec le 49ème Régiment d’Infanterie Indienne. Les britanniques prennent en charge Sumatra et Java. Le Major Général Hawthorn remplace Mallaby le 30 octobre 1945, après l’assassinat de ce dernier quelques heures après la signature d’un cessez-le-feu avec Sukarno et Hatta, les deux leaders indonésiens. La plupart des forces britanniques présentes en Indonésie viennent des Indes ; Nehru protesta vivement contre l’utilisation de troupes indiennes à l’encontre des indonésiens. Ce fut une des raisons majeures du retrait britannique.
[5] Bâtiment de transport américain basé aux Philippines mais qui a mouillé, pour les négociations, au port de Jakarta.
[6] Le « coup de Madiun » fut la seconde tentative de révolte – infructueuse - du PKI, le parti communiste indonésien ; la première ayant eu lieu en juillet 1926.
[7] Humiliation par les hollandais des forces des NU à Kaliurang.
[8] Non sans que les Etats-Unis y soient étrangers.
[9] 24 décembre 1948.
[10] 28 janvier 1949
[11] Début 1950, ce n’est pas moins de 300 000 citoyens hollandais qui quittent l’Indonésie, et le 26 juillet 1950, l’armée royale des indes hollandaises (KNIL) est officiellement dissoute. La Papouasie occidentale reste toujours aux mains des hollandais.
[12] Aux Moluques avec la République des Moluques du Sud (RMS) et son chef Sumokil.
[13] Toujours le Darul Islam de Kartosuwirjo.
[14] Le PKI avec Aidit, son chef, de 1951 à 1965.
[15] Le 21 février 1957.
[16] Le 1er décembre 1957, Sukarno annonce la nationalisation de 246 sociétés hollandaises.
[17] Le 5 décembre 1957.
[18] Communistes et socialistes.
[19] Pemerintah Revolusioner Republik Indonesia.
[20] le 17 août.
[21] Le 15 août 1962.
[22] Sabah et Sarawak.
[23] Commandement des Réserves Stratégiques.
[24] « Surat Perintah Sebelas Maret ».
[25] le nationalisme (Kebangsaan), l'humanisme (Kemanusiaan), un gouvernement représentatif (Kerakyatan), la justice sociale (Keadilan Social), le monothéisme (Ketuhanan).
[26] La plus grande mine d'or et de cuivre du monde.
[27] Noam Chomsky, in "L'Indonésie, atout maître du jeu américain", Le Monde Diplomatique, juin 1998.
[28] programmes d’enseignement et d’entraînement militaires internationaux
[29] En mars, avril et surtout mai 1998.
[30] Le 21 mai 1998.
[31] Le 5 mai 1999, les portugais et les indonésiens signent un accord à New York sur un vote d'autodétermination de l'île.
[32] 78% en faveur de la séparation d’avec l’Indonésie.
[33] filiale indonésienne de Freeport-McRohan.
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