17 décembre 2008

Interview du Lieutenant Général (ER) Kiki Syahnakri.

Réalisé début Août 2002 par Philippe RAGGI.



















Petit portrait, état des services.
Le Major-Général Kiki Syahnakri a été nommé Adjoint au Chef d'Etat Major de l'Armée de Terre Indonésienne (WAKASAD) le 6 Novembre 2000, et il vient de faire valoir ses droits à la retraite en Mai 2002. Agé de 55 ans, il fut diplômé de l'Académie Militaire (AKABRI) en 1971.
Entre 1994 et 1995, durant huit mois, il fut Commandant Militaire de Dili, l'actuelle capitale du Timor indépendant. Par la suite il devint "assistant opération" auprès du Chef d'Etat-Major de l'Armée de Terre, où il fut l’artisan d’une réforme de l’entraînement des soldats, afin d'améliorer leur professionnalisme. Plus tard, ce même programme d'entraînement a été appliqué à l'échelon Bataillon et des Commandements de Brigade.
A partir de Septembre 1999, Kiki Syahnakri devint Chef du Commandement Militaire d'Udayana (coiffant les petites îles de la Sonde, et donc le Timor). C'est le Général Wiranto, en ce temps chef des armées indonésiennes, qui le nomma Chef du Commandement Militaire d'Udayana, avec pour dure mission de "restaurer la sécurité et l'ordre au Timor" en deux semaines (!). Une mission quasi-impossible, laissait-il entendre, au moment de sa prise de commandement; le Major-Général ajoutait que même le Général Schwartzkopf n'aurait pu accomplir une telle mission.
Au cours de son Commandement, il réussit malgré les pires difficultés à infléchir la courbe des actes de violence et de destruction dans l'île de Timor. Cette île, livrée à l'anarchie, était la proie des "milices" pro-intégration et pro-indépendance depuis les résultats du vote du 30 Août 1999.
Quand le 27 Septembre 1999, les forces de l'INTERFET prirent le relais des forces indonésiennes, un semblant d'ordre était rétabli dans les deux côtés de l'île. En effet, le Général Syahnakri avait entrepris de désarmer les "milices" anti-indépendance qu'il préfère appeler "combattants pro-intégration". Ce fut un travail de longue haleine, et non encore totalement achevé; les multiples difficultés logistiques et le manque patent d'effectif étant les principaux obstacles.
Syahnakri ne fut pas un "étranger" au Timor; il parle couramment le Tetun (dialecte local), et il a des amis dans les deux camps, tant parmi les pro-intégrationnistes que parmi les indépendantistes.
Il fut de ceux qui respectèrent la décision prise par les Timorais de l'Est au cours du vote du 30 Août 1999; "même s'ils furent mes anciens ennemis, ils sont à présent un peuple libre qui nous est voisin; et il n'y a aucune autre alternative que de maintenir de bonnes relations avec eux, et je pense qu'ils ne défendraient pas leurs intérêts s'ils ne maintenaient de bonnes relations avec l'Indonésie", souligne Syahnakri qui connaît très bien les chefs indépendantistes tels Ramos Horta, Leandro Isac et Taur Matan Ruak.

Le Général Syahnakri nous a reçu dans son bureau situé dans un building de Jakarta. Au mur, on peut admirer entre autre un portrait du Général Sudirman. Sur une commode, des trophés et autres récompenses du temps de la période active du Général; quelques photos encadrées avec des Généraux étrangers, notamment des australiens.


Retranscription de l'interview :


Mon Général, la TNI va bientôt avoir un nouveau chef, qu’en pensez-vous, notamment eu égard aux discussions sur le fait que le futur Panglima [Chef d'Etat Major des Armées] devrait être de l’Armée de Terre ou de l’Armée de l’Air ?

En ce qui me concerne, que le prochain chef des armées soit de l'armée de Terre ou non n'est pas un sujet en soi. Le plus important est qu'il corresponde aux critères requis. Le premier sur la liste de ces critères est qu'il soit capable, doué, et qu'il ait la capacité indispensable pour faire face aux défis actuels, c'est à dire : la solution aux problèmes d'Aceh, d'Irian [la partie occidentale de la Papouasie Nouvelle Guinée] et des Moluques, la poursuite du processus de réforme, le maintien de la solidarité au sein de la TNI.

Vous allez atteindre l’âge de la retraite comment envisagez-vous votre avenir ? Allez-vous rester dans l’armée si l’on vous proposait de prolonger votre période active ? Si vous quittez l’armée, pensez-vous comme beaucoup de Généraux (ER) entrer en politique ?

J'ai une ferme et des terres dans l'Ouest de Java [le Général a eu sa première récolte de fraises au début du mois]. Une prolongation de ma période d'activité ne serait pas un problème. En tant que soldat je dois être prêt à m'acquitter de toute tâche que l'on me confierait pour autant que cela aille dans le sens des intérêts de la nation et de l'Etat. Quant à entrer en politique, cela ne m'intéresse pas du tout.

Quand vous voyez certains Généraux mis en examen à propos du Timor, pensez-vous que ce soit œuvre de Justice ou une affaire de politique ?

Personnellement, je souhaiterais une approche juridique, et non politique de la chose. Mais la question est hautement politisée. Prenez par exemple l'insistance américaine pour que certains généraux soient impliqués au procès portant sur la violation des Droits Humains au Timor Oriental.
Si la Loi ne fait pas d'eux des coupables, en quoi devrions nous les condamner ? Cette pression américaine sur l'Indonésie est une manœuvre politique. C'est un objectif (un dessein) américain que de voir certains généraux coupables dans le procès concernant le Timor Oriental. Ceci n'est pas équitable d'autant plus si la Loi ne fait pas d'eux des coupables. C'est une ambivalence américaine.
D'un côté ils veulent aider la TNI, la Police, en fournissant des équipements, mais ils imposent que l'aide soit utilisée pour chasser les terroristes de leur choix. On ne peut utiliser l'aide pour autre chose que cela. Les Etats-Unis avancent l'argument de la violation des Droits Humains par la TNI et la Police, si l'aide qu'ils donnent n'est pas utilisée pour autre chose que pour la guerre contre le terrorisme. Mais en 1998 par exemple, il a été demandé à la TNI et à la Police d'aider à la protection de ses citoyens; il n'était pas question pour la TNI, ou pour la Police, de violer les Droits de l'Homme en le faisant, pour autant que ses citoyens étaient en sécurité.

A qui le soldat doit-il obéir en premier lieu ? A ses supérieurs hiérarchiques directs ? Aux chefs supérieurs des armées ? Aux directives du Gouvernement ? La question peut se poser dans certaines provinces reculées de votre pays.

La question de la chaîne de commandement est universelle. Il y a une hiérarchie; par exemple vous avez le cas d'une section qui doit suivre les ordres de son chef de section, une compagnie qui doit suivre les ordres de son commandant d'unité, et ainsi de suite jusqu'au gouvernement central. Un abus dans la chaîne de commandement peut être fatal. Prenez par exemple le coup d'Etat communiste du 30 septembre 1965 (impliquant des militaires).
Il est vrai qu'en réalité, il arrive parfois vous ne pouvez pas suivre strictement la chaîne de commandement. Une section d'une compagnie "A" dans une zone d'opération, par exemple, sera beaucoup plus proche des ordres de son chef de bataillon que de ceux de son commandant de compagnie. Le chef de section rend compte au chef de bataillon et suit ses ordres, présupposant que le chef de bataillon connaît davantage la zone que le commandant de compagnie. D'un autre côté, le commandant de bataillon doit informer le commandant de compagnie de la situation. Un abus dans la chaîne de commandement, en prenant directement ses ordres d'autre que ceux qui sont de vos supérieurs hiérarchiques directs, peut s'avérer fatal, c'est ce qui s'est passé en 1965.
L'abus dans la chaîne de commandement est habituellement politique et elle est apparu quand la TNI était lourdement impliquée dans le politique. Comme conséquence, le politique s'est davantage saisi de la TNI. Il y a certes toujours eu quelques préoccupations politiques électorales au sein de la TNI mais seulement à un petit niveau.

Comment doit s’opérer l’articulation entre les impératifs militaires conjoncturels (rétablir l’ordre et donc utiliser la force) et le respect des droits de l’homme ?

Universellement il y a des lois qui régissent les conflits armés, les lois humanitaires/humaines.
Chaque pays a les siennes eu égard aux différents types de menaces auquel il fait face. En Indonésie nous avons une loi d'urgence qui régit l'implication des armées dans les échanges qu'elles pourraient avoir avec les menaces (armées). A un niveau subalterne, il y a des règles d'engagement. Au niveau pratique il y a des directives, comme celles qui ont été données pour les troupes envoyées à Aceh : comment effectuer des reconnaissances, comment venir en aide aux forces de Police, etc. A l'exception de cela, il y a un ensemble de procédures pour s'assurer que les troupes sur le terrain ne commettent pas de violations des Droits Humains. En fait, toutes les ordonnances, règles de conduite, directives et procédures aident les troupes à atteindre leurs objectifs sans violer la loi.
Les dommages ne peuvent être évités dans aucune opération militaire. C'est pourquoi nous avons toutes ces ordonnances et règles de conduite, etc. Cependant, nous ne pouvons éviter des violations; c'est quelque chose d'inévitable, même pour un pays comme les Etats-Unis. La chose importante est de se maintenir dans le respect de la loi et là seulement nous pouvons éliminer la possibilité d'une violation.

A Aceh, la province la plus occidentale de l’Indonésie où une force armée sécessionniste (le GAM) affronte la TNI, la situation semble s’améliorer depuis quelques temps (moins de civils touchés, moins de militaires tués). Quelle en est la raison ? Est-ce du à la mise en place d’un nouveau commandement militaire régional, à une approche « socio-culturelle », ou bien à d’autres raisons ?

Il est vrai que l’approche sociale à Aceh a contribuée à l’amélioration des conditions sur le terrain.
Toutefois, le facteur le plus important et qui a vraiment contribué à cela sont les sérieux efforts pour améliorer la détermination des troupes de la TNI envoyés à Aceh.
Concernant le Commandement Militaire d’Iskandar Muda (Kodam), il est manifeste que pour l’armée, un système de commandement est meilleur qu’un système de coordination. Aceh a deux Korem (commandements militaire de district), Lilawangsa et Teuku Umar. Auparavant, ils étaient sous la houlette du commandement militaire de Bukit Barisan basé à Medan. Il est plus efficace d’avoir un commandement à Aceh pour avoir un contrôle direct et une supervision.
Les achenais sont fiers de leur Kodam. Ce sont les achenais eux-mêmes qui ont proposé le rétablissement du Commandement Militaire d’Iskandar Muda. C’était une réelle proposition issue de la base. Ils préfèrent avoir leur propre Commandant (militaire) au lieu de quelqu’un de Sumatra du Nord. C’est un peuple fier et digne.

Un certain nombre d'hommes politiques ou de commentateurs disent que certains militaires, d’active ou en retraite, sont derrière les événements des Moluques. Ils organiseraient le désordre non seulement pour se placer, eux et l'Armée, dans une position de recours, mais également pour répondre en écho aux attaques que subit l'ancien Président Suharto devant la justice. Que pensez-vous de ces critiques ?

Je ne vois aucune implication d’officiers de haut rang dans l’affaire des Moluques. Je crois avant tout que cela a été politisé.
D’un autre côté, il faut admettre que des membres de la TNI ont été impliqués à titre individuel, ce qui peut se comprendre. En ces temps de réforme, beaucoup de personnes violent la loi, les règlements et l’éthique. Les membres de la TNI non plus ne sont pas immunisés contre ces déviations et en dépit de leur promesse de loyauté, ils sont entraînés vers des issues sectaires. Il y a des individus, de petites unités qui, sous l’influence d’une solidarité sectaire voisine ayant pour racine des intérêts ethniques et religieux, sont impliqués aux Moluques. Ils voient leurs pères, leurs frères, leurs oncles tués par d’autres groupes (ethniques et religieux). Les liens émotifs sont les raisons expliquant leur implication. C’est pourquoi je suis d’accord mais seulement en partie avec votre propos. Heureusement, la direction de la TNI a pris des mesures fermes contre les membres qui ont été impliqués dans le conflit, jusqu’à les radier de l’armée, bien que cela fut décidé certainement un peu tard. C’est Cilangkap (Le QG de la TNI) qui en a pris la décision.

Certains observateurs, comme Van Zorge Associates, disent que la TNI est traversé par trois courants : les conservateurs, les activistes et les partisans d’une ligne dure. Vous reconnaissez-vous dans un de ces courants ? Que pourriez-vous nous dire sur les différents courants de pensée existant au sein de l’institution militaire indonésienne ?

Je ne ferais pas ce genre de classification. Ceux que vous désignez par « partisans d’une ligne dure » sont ceux qui voudraient des changements radicaux alors que les « conservateurs » voudraient des changements plus gradués. Je pense qu’il est préférable tout d'abord d’expliquer l’existence de ces groupes.
Après tout, qui ne souhaite pas de changements ? Tout le monde dans la TNI veut du changement.
Si vous voulez, les « radicaux » sont les personnes comme Saurip Kadi [Major Général, ancien assistant pour les affaires territoriales de l'armée de Terre]ou le défunt Agus Wirahadikusumah [également Major Général qui dirigea sous la Présidence d'Abdurrahman Wahid, quelques mois le Kostrad, le Commandement des réserves stratégiques. Décédé le 30 août 2001]. Mais ils sont plutôt considérés comme des opportunistes.
Les groupes existants sont un héritage de l’ancienne implication de la TNI en politique ; ce sont des scories du temps passé, lorsque la TNI était encore impliqué dans le politique. Comme je l’ai dit à plusieurs reprises, si la TNI entre en politique, la politique elle aussi entre dans la TNI, faisant d’elle une organisation colorée arc-en-ciel. Le préjudice n’a pas cessé par la création de groupes « colorés » : les groupes rouge et blanc, les verts, les blancs, les marrons, les uns et les autres, tous ont affecté le processus de recrutement ainsi que le développement de carrière des membres « engagés ». Au résultat, le système du mérite n’a plus fonctionné, puisque les officiers comptaient sur leurs alliances (politiques) pour leur avancement de carrière. Ceci causa à la suite des torts au professionnalisme de la TNI, un déclin des compétences du plus bas au plus haut niveau de la hiérarchie.
Cet héritage ne peut pas s’éliminer en un an ou deux. Les considérations politiques continuent à jouer un rôle dans le recrutement et la nomination des officiers. La situation empire également du fait que des politiciens continuent de « recruter » des officiers de la TNI pour leurs propres bénéfices. Ceci a retardé la consolidation des efforts.
Ayant donné ces éléments, je classerais donc les membres de la TNI entre professionnels et opportunistes.
Il y a des indications qui portent à croire néanmoins que les « professionnels » deviendraient plus forts. Prenez par exemple le système de recrutement au Seskoad (Collège d’Etat Major et de Commandement; [notre Collège Interarmées de Défense]). Le recrutement d’étudiants (sous Suadi Atma [Brigadier Général, ancien commandement en second de l'Académie Militaire Indonésienne]) était effectué professionnellement et le résultat était des diplômés de très bonne tenue. Quand j’étais Colonel, personne ne réussissait avec les félicitations ; même ceux qui avaient des « B » étaient de moins en moins nombreux jusqu’à ce que des résultats moyens se situent entre 0 et 39. Peu à peu, avec l’amélioration du processus de recrutement, les résultats se sont aussi améliorés. Nous avons commencé à voir des « B », même des « A », parce que les officiers avaient réalisé qu’ils devaient réellement étudier pour réussir leurs examens. Les liens politiques ne pouvaient plus être d’aucune aide.
Le Collège en question (toujours sous Suadi Atma) a également modifié le système des examens. Il est de notoriété publique que les étudiants avaient les réponses avant même les examens. Ce ne fut plus le cas par la suite car Suadi avait mis en place différents centres d’examens répartis dans tous le pays et où les épreuves se déroulaient simultanément. Par exemple, ceux qui se trouvaient en Papouasie commençaient à 9 heures le matin, les autres en Indonésie centrale à 8 heures et le reste, dans la partie occidentale du pays, à 7 heures. De cette façon, ils ne pouvaient pas s’échanger les réponses comme cela se faisait auparavant.
Suadi avait également mis en place cinq séries de questionnaires et avertissait à la dernière minute seulement laquelle serait utilisée. C’est un défi pour les étudiants que de travailler correctement. Je pense que c’est l’exemple même de professionnels améliorant leurs assises.
Ceci mis à part, le QG de l’armée de Terre a introduit un nouveau procédé de promotion. Il retarderait ou même annulerait une promotion si l’officier concerné était recommandé par des « éléments extérieurs ». Tous le monde à l’intérieur de l’armée de Terre est à cent pour cent d’accord avec ce nouveau système. De la sorte, les officiers sont libres vis à vis des interférences extérieures et politiques. Ils ne se sentent plus redevable à qui que ce soit pour leur promotion et ne doivent plus un jour ou l’autre renvoyer l’ascenseur.

Pensez-vous que le système politique dissociant le Président d’une part et l'exécutif d’autre part (confié à un Premier Ministre, comme en France) soit le bon pour l'Indonésie ? et pensez-vous que la réponse aux différents troubles sécessionnistes / séparatistes qui secouent l'Indonésie, soit la mise en place d'un Etat Fédéral ?

Franchement, je ne suis pas un grand connaisseur dans ce domaine. Ce serait une bonne idée de séparer les pouvoirs. Nous avons eu dans le temps d'ailleurs un premier ministre (Sjahrir) [aujourd'hui il y seulement un poste de vice-Président].
Ni le système dual, ni le système présidentiel ont été véritablement pratiqué en Indonésie. Sous Pak Harto le gouvernement (présidentiel) a travaillé plus efficacement qu'il ne peut le faire aujourd'hui.
Avant Suharto, les gouvernements allaient et venaient, ceci à cause du nombre important de valses politiques. Au temps de Pak Harto le gouvernement était efficace mais manquait d'instances de contrôle. Cependant, le manque (la faiblesse) de contrôle (contre balancement du pouvoir) était davantage le résultat d'une faiblesse du système et des règlements qui donnaient trop de pouvoir au gouvernement, que du fait qu'il s'agissait d'un système présidentiel (le pouvoir concentré dans les mains d'une seule personne/institution).
Personnellement, je pense que nous devrions revoir la réglementation. Ce qui arrive aujourd'hui, est un retour à la situation des années 50, quand les personnes et les groupes plaçaient leurs intérêts au-dessus de ceux de l'Etat et des intérêts nationaux. Peu nombreux sont ceux qui pensent réellement aux intérêts de la nation; au contraire, ils placent leurs intérêts politiques avant toutes autres considérations. Le fédéralisme n'est pas une réponse au problème du séparatisme. C'est la tâche de la TNI que de sauvegarder l'intégrité de la nation et de l'Etat. Le séparatisme n'est pas la seule question qui menace le pays. Le fédéralisme pourrait même encourager les régions à exiger une séparation d'avec la République et créer ainsi davantage de zones instables autres que Aceh et l'Irian [la Papouasie occidentale].
L'autonomie régionale accordée [à partir du 1er janvier 2001]a elle-même apporté des problèmes.
Surabaya et Pasuruan à l'Est de Java, à titre d'exemple, sont enfermés dans des disputes à propos de l'assainissement de l'eau. Cela a presque débouché sur un conflit. Quand j'étais Commandant militaire d'Udayana, on m'avait demandé de parler lors d'un séminaire sur l'autonomie régionale à l'Université Udayana de Denpasar. En tant qu'officier militaire, j'ai présenté un point de vue militaire et me suis concentré sur l'aspect sécuritaire. Et j'ai dit que l'autonomie régionale pouvait déclencher de nouveau conflits ceci à cause du déséquilibre existant dans ressources naturelles.
Kalimantan de l'Est, Riau et l'Irian, par exemple, génèrent des revenus régionaux (fort) différents par rapport à d'autres provinces moins dotées. Au résultat, cela conduirait à un flot de personnes issues des régions pauvres vers les provinces riches. Batam est un bon exemple. Il attire des personnes de différentes ethnies de l'Indonésie, des Bataks aux Flores; ils s'affrontent entre eux et il est difficile de les contenir. Cette sorte d'exode peut créer des conflits inter ethniques et pourrait menacer la solidarité nationale. Alors, vous voyez, même l'autonomie régionale est en mesure de générer un grand nombre de problèmes; et vous pouvez imaginer donc, ce qui arriverait si l'Indonésie devenait un Etat fédéral.
L'autonomie régionale peut également causer des tensions sur les zones frontières. Il est un fait est que les frontières inter-régionales sont un héritage des vieux royaumes et que plusieurs régions frontalières sont des frontières religieuses et ethniques ou une combinaison des deux. Prenez Java du Centre et Java de l'Ouest par exemple. La partie occidentale de Java est Sundanaise, alors que Java du Centre est Javanaise. Ou encore Bali, à l'Est jouxtant la partie orientale de Java, province à prédominance musulmane alors que Bali est elle-même hindoue. Sur son Ouest, il borde Nusa tenggara de l'Ouest, qui est un mélange d'hindous (minoritaire) et de musulmans (majoritaire). Les lignes de conflits pourraient donc conduire à des affrontements à caractère ethnique ou religieux.
C'est pourquoi je pense qu'un système fédéral ne résoudrait pas le problème; tout au contraire, cela l'augmenterait. Du moins, actuellement, étant donné les conflits ethniques et religieux, nous ne sommes pas prêts pour un Etat fédéral.

L'Armée indonésienne, colonne vertébrale et moelle épinière du pays, doit elle renoncer au principe de la dwi-fungsi ? et pourquoi ? Comment l'Armée peut elle entamer une réforme sans renoncer à ce qui fait sa spécificité dans la société indonésienne ?

Peut-être qu'il serait bon de définir ce qu'est la Dwifungsi avant d'en parler. Si la Dwifungsi veut dire implication de la TNI dans le politique, alors oui, nous sommes presque tous pour le retrait du politique (pour les officiers d'active) et il est d'ailleurs quasiment entendu que la TNI quittera l'arène politique en 2004.
D'un autre côté, si l'on entend la Dwifungsi comme référence à ce que ce concept représentait initialement, c'est à dire un rôle, une fonction sociale et non politique, toutes les organisations militaires du monde entier ont ce rôle, cette fonction sociale. Si l'on regarde dans le passé, on constate que ce n'est pas avant 1986 que la TNI a adopté un rôle politique, comme il est stipulé dans le Catur Darma Eka Karya (la doctrine Cadek de 1986); auparavant, la Dwifungsi était limitée au rôle social. Il serait malheureux que les militaires n'aient pas l'autorisation de pratiquer leur rôle, leur fonction sociale. Même les militaires américains ont un rôle social, par exemple dans leurs opérations "non guerrières" comme les missions civiques. Le concept de Dwifungsi originel était limité aux missions civiques, c'est seulement après qu'il s'est étendu et a inclus son volet politique. Quitter la sphère politique est notre devoir.

Toujours au sujet de la Dwi-fugsi, quel est selon vous l'échelon le plus petit où l'Armée doit être présente ? Le village, le sous district, le district, regency, la province ?

Sur ce sujet, même nos observateurs sont partagés, ils ne peuvent faire la différence entre un commandement, une organisation territoriale d'une part et les fonctions territoriales d'autre part. Le commandement territorial est une organisation qui sert, entre autres choses, à mettre en œuvre les fonctions territoriales de la TNI. En tant qu'organisation, il peut changer, mais la fonction territoriale, comme la fonction sociale, est le même dans chaque pays. Depuis sa naissance, la TNI a eu une fonction territoriale. Dans le but de défendre l'indépendance de l'Indonésie, le peuple a formé le TKR (Tentara Kemanan Rakyat/Forces de Sécurité Populaire), qui est devenu plus tard la TRI (Tentara Republik Indonesia/ les Forces armées de la République d'Indonésie). Ceci veut dire que la TNI prend sa source dans les communautés, du peuple, lequel est concerné par les affaires de défense et de sécurité. Au cours de son développement, elle est devenue une force armée organisée et a développée une tactique appelée wehrkreise avec la TNI comme élément essentiel. Il y a eu une synergie qui s'est développée entre la TNI et le peuple, ce dernier fournissant le renseignement, la logistique et même de la main d'oeuvre supplétive à la troupe. Ceci n'a pu seulement arriver que grâce aux bonnes relations existant entre le peuple et la TNI.
Après les années 50, la TNI a eu a faire face à des rebellions armées et a continué à s'appuyer sur le concept de wehrkreise, bien que le nom de Kodam ne fût pas encore usité. Toutefois, le principe était quasiment le même, nous avions des Bintara (sous-officiers) attachés aux bureaux de district.
Aujourd'hui, ils sont appelés Wanra (Perlawanan Rakyat/ Défense Populaire) et leur rôle consiste en la collecte du renseignement. Juste avant le coup d'Etat communiste de 1965, Pak Yani (le Chef d'Etat Major de l'Armée de terre) a amélioré le système et a rétabli les Koramil (Commandements militaires de subdistricts) au niveau du district. En ce temps là, la TNI avait déjà des Commandements militaires régionaux (Kodam), des Centres de Commandement militaire (Korem) et des Commandements militaires de district (Kodim).
A cette époque, l'objectif de la structure organisationnelle territoriale était de contenir l'influence grandissante des communistes. Il y a eu des cas d'attaques communistes, comme celle de l'incident fameux de Bandar Betsy. Le corps territorial était nécessaire pour protéger le peuple de l'influence communiste, des attaques communistes.
Durant le gouvernement de l'Ordre Nouveau, le concept territorial fut maintenu à cause du fait qu'il était ressenti comme indispensable. Toutefois, l'objectif avait été modifié et il était nécessaire pour la sauvegarde du développement national, et la situation était devenue plus compliquée qu'avant. Le Corps territorial a alors servi à gérer les potentialités du peuple en vue d'une défense. Dans l'industrie, par exemple, chaque pays possède une industrie de défense. Au Japon, l'industrie automobile est tenue de produire des composants pour les véhicules blindés et autres véhicules tactiques. Un jour ou l'autre, quand nécessité fait loi, l'industrie automobile peut immédiatement se transformer en industrie de défense. Le secteur des transports et communications également, peut contribuer à la défense nationale. Prenez Singapour par exemple, et bien ils construisent des autoroutes qui peuvent aussi servir de pistes d'attérissage en temps de crise.
Pour ce qui est de l'Indonésie, nous avons, par exemple, les Iles Miangas à Sangir Talaud, au Nord de Célèbes. C'est le point le plus septentrional du pays. Nous avons besoin de ces îles comme point de surveillance. Nos avions ne peuvent atteindre les Miangas sans ravitaillement en carburant. En outre, les pilotes doivent aussi se reposer après plusieurs heures de vol en mission de surveillance.
Dans ce contexte, l'aéroport de Sam Ratulangi à Manado devrait être modifié pour s'adpter aux avions F-16. Ou alors nous aurions besoin d'une piste d'attérissage aux Miangas en mesure de recevoir des avions de transport Hercules. Ce n'est pas le travail de la TNI que de modifier et d'améliorer les aéroports, mais nous pouvons, par le biais du Ministère de la Défense, proposer au Ministère des Transports de le faire dans un but de défense.
Ceci sont des choses que la TNI doit gérer dans le cadre des potentialités de défense nationale et ce sont les choses couvertes par la fonction territoriale de la TNI. Donc il est important de bien différencier la fonction territoriale de l'organisation territoriale.
Au sujet des commandements territoriaux, nous n'avons pas eu de Kodam, ou de Koramil ou encore de Kodim (organisations territoriales) pendant la période révolutionnaire, mais la fonction territoriale de la TNI existait bien. Pendant la révolution pour l'indépendance, les bataillons étaient reconnu par le nom de leurs chefs, par exemple, Bataillon Nasuhi (dirigé par Nasuhi), Bataillon Wirahadikusumah (dirigé par Wirahadikusuah), Battaillon A. Yani etc, et chacun a eu un très bon rôle territorial.
Aujourd'hui, nous n'avons pas d'argent pour remplacer les organisations territoriales dans le but de sauvegarder le territoire. Si ces organisations sont dissoutes, qui protègera le pays ?
D'un autre côté, nous devons rejetter la possibilité de leur dissolution un jour. Selon une enquête portant sur l'organisation territoriale de la TNI menées par l'Institut des Sciences (LIPI) en 2000, 75% des questionnés ont répondu que l'organisation territoriale de la TNI était toujours nécessaire alors que 25% était d'accord pour sa dissolution. Cependant, il faut noter que les 75% des interrogés étaient issus de groupes aux revenus bas et moyens, alors que les 25% restant étaient issu des classes favorisées. Avec le temps, l'Indonésie prospérant, le pourcentage des gens ayant de meilleurs revenus et un plus haut niveau d'instruction augmentera et un jour, 75% d'entre eux pourrait demander le démantellement de l'organisation territoriale de la TNI. Cela prend plus d'une décennie pour arriver à un tel pourcentage. Alors, je ne suis pas d'accord pour la dissolution de l'organisation territoriale. A l'heure actuelle, il est plus important de le réorganiser et de revenir au concept originel, lequel est d'utiliser le potentiel populaire pour les besoins de défense.

Le KOSTRAD est une unité éminemment spécifique en Indonésie ; selon vous, la nomination au Pangkostrad devrait répondre à quels critères précis étant donné la position stratégique, et aussi nécessairement "politique", du KOSTRAD ?

Le Chef du Kostrad (Pangkostrad) se doit d'être une personne ayant des qualités vraiment éprouvées d'homme de terrain, et qui est en mesure de coordonner toutes les unités sous son commandement. Le Kostrad est une force inter-armes (Infanterie, Cavalerie, Génie, etc.), inter-départementale (interdivisionnelle) et un Pangkostrad doit donc saisir les caractéristiques propres à chaque division (unité), et il doit savoir créer une synergie entre les différentes divisions.

Le KOSTRAD a été impliqué dans des malversations financières avant l’arrivée du Général Ryakudu. Comment ce genre de choses peuvent-elles arriver dans une unité d'élite qui doit avoir des cadres ayant une moralité d'homme d'élite ?

Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais peut-être à cause de l'implication d'avec le Politique. Mais sous le Commandement de Ryamizard [actuellement Chef d'Etat Major de l'armée de Terre], les dotations ont été correctement utilisées pour améliorer le professionnalisme et le bien être des soldats. L'amélioration du professionnalisme par l'entraînement et la formation est ce qu'un chef peut offrir de mieux à ses troupes parce que lorsque les troupes sont très bien entraînées, elles font un excellent travail dans les zones de conflits (batailles) et elles reviennent en vie. L'entraînement est donc la meilleure des choses que l'on puisse offrir aux troupes, et ce fut le cas du Kostrad sous Ryamizard, dans l'utilisation des dotations pour l'entraînement.

L'Armée indonésienne actuelle a-t-elle selon vous les moyens humains, matériels et budgétaires suffisants pour accomplir sa mission dans les meilleurs conditions ? Que faudrait-il pour cela ?

La TNI manque effectivement de tous ce que vous venez d'énumérer, moyens humains, matériels et budgétaires. A titre d'exemple, le budget pour l'entraînement couvre seulement un trentième de ce qui serait nécessaire. Nous avons besoin d'un budget conséquent afin d'améliorer la qualité de nos ressources humaines par une meilleure formation et un équipement nécessaire, pour aider nos hommes dans la réalisation de leurs tâches.

Suite aux attentats du 11 septembre 2001, et aux menaces terroristes, l’Indonésie a été critiquée pour être le sanctuaire de certains réseaux islamistes plus ou moins lié à Al Qeida. Que répondez-vous à ces critiques ?

Selon les informations disponibles, il n'y a aucuns liens directs. S'il y avait des liens, la TNI et le peuple indonésien seraient à même de répondre à cette menace. Le peuple est le meilleur atout dans la lutte contre le terrorisme. Le terrorisme ne peut survivre et prospérer que s'il est aidé par la population. Le peuple doit donc être impliqué dans le combat contre le terrorisme car la TNI ne peut le faire seule.

Le Pancasila ne privilégie pas une religion plutôt qu'une autre, tout comme la Constitution de 1945. Que doit être selon vous la place de l'Islam dans la nation indonésienne d'une part et dans la vie politique par ailleurs ?

L'idéologie de la TNI est l'idéologie de l'Etat, et l'idéologie de l'Etat est le Pancasila. La TNI est chargée de maintenir l'implication de la population indonésienne dans le système de défense et de préserver la diversité du peuple. Pancasila est donc la meilleure réponse, il n'y a pas de place pour l'extrémisme, qu'il soit de droite ou de gauche.

Suite à l’amendement Leahy, les USA ne peuvent depuis 1999 fournir l’Indonésie en matériels militaires n’est-ce pas une « opportunité » pour diversifier vos matériels et par exemple traiter avec des pays comme la France ?

Qu'il y ait ou non d'amendement Leahy, nous devons diversifier la provenance de nos matériels.

Les rapports entre l'Indonésie et la France sont-ils, a votre avis, satisfaisants dans l'état actuel des choses ? Quels seraient les domaines de coopération spécifiques que vous souhaiteriez voir se développer entre nos deux pays ?

Les relations franco-indonésiennes ne sont pas encore arrivées à un stade satisfaisant à mon sens. La France est dotée d'une armée des plus modernes du monde, aussi bien en compétences qu'en équipements. L'Indonésie peut apprendre de la France. Peut-être qu'au travers d'échanges d'élèves officiers, comme le Seskoad [le Collège Interarmées de Défense indonésien], ou d'exercices conjoints, ou de manœuvres communes de nos forces spéciales comme nous le faisons avec différents pays, dont la Thaïlande.

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