Les 11 et 12 juin 2001, à l’auditorium du CNRS, rue Michel Ange, s’est tenu un Colloque à l’initiative du CEHD (centre d’études et d’histoire de la défense) qui avait pour thème « Les forces spéciales : concept et histoire ». Près d’une centaine de personnes s’étaient déplacées pour écouter les différents orateurs. Dans l’assistance, de nombreux généraux en retraite, plusieurs anciens hauts responsables des affaires de défense et de sécurité. Une ombre au tableau pourtant, l’âge moyen de l’ensemble des auditeurs, relativement élevé.
Le président de séance, pour cette première demie journée, fut le Général Saleün (CR depuis le 1er janvier 2000), ancien chef du COS, et actuel Maire de Paimpol ; il passa rapidement la parole à Pierre Dabezies. Ce dernier nous parla des forces non conventionnelles en général, émaillant son propos de son expérience dans celles-ci. Ancien SAS pendant la seconde guerre mondiale, passé par le GCMA en Indochine jusqu’en 1953, il servit également en Algérie et l’on se souvient sa prise de position en faveur du Général de Bollardière et de son soutien à la légalité tout comme à l’éthique républicaine ; il est aujourd’hui Professeur émérite à la Sorbonne. L’orateur suivant, le Capitaine Philippe Guyot, officier d’active, passé par la Légion Etrangère, et aujourd’hui à la section d’études du service historique de l’armée de terre (SHAT), aborda un sujet original : la contre guérilla du Colonel Dupin au Mexique. La problématique que posait le Capitaine Guyot était de savoir si cet événement exotique relevait du concept de forces spéciales. C’est au Mexique que l’action se situe, précisément dans les années 1863-1865. Sur ce théâtre d’opération, où la France est engagée, le Colonel Dupin crée une « troupe spéciale » composée d’individus relevant de onze nationalités et qui menèrent la vie dure à l’ennemi. Très précis et très documenté dans son travail, ayant recours à la technique (ordinateur portable et diaporama animé) le CNE Guyot après avoir cerné le cadre historique, les étapes de la mise en place de cette « troupe spéciale », les différentes actions menées par cette dernière, sans oublier ses rapports avec les troupes françaises régulières, aborda le bilan global de l’action du COL Dupin ; il dégagea ainsi les principes d’action du meneur d’hommes français en Amérique du Nord :
- la sûreté (tant pour le personnel que le cantonnement, comme les déplacements),
- l’absence de mouvement sans renseignements préalables,
- l’intelligence du Chef (avant, pendant et après le mouvement) qui emploie la ruse avant la force,
- la rapidité et la détermination dans l’action.
Très construit, sans aucun délayage ni faiblesses d’aucune sorte, le propos et l’excellent travail du CNE Guyot méritait d’être salué.
La seconde intervention, écrite par Jean-Luc Susini (du Centre d’Histoire Militaire d’études de Défense nationale de Montpellier, malheureusement absent) et lue par Pascal Le Pautremat, traitait d’un sujet peu connu : Les Corps Francs allemands entre 1918 et 1922. Dans le temps qui lui fut imparti, le lecteur nous dressa un tableau général de ces troupes particulières qui furent avant tout « au service de l’Allemagne et non d’un Gouvernement » ; elles comptaient 150 000 hommes, répartis en 800 unités allant de la Section à la Division. Les Corps Francs bénéficiaient d’une très large autonomie dans le combat comme dans la logistique ; ils combattaient, ne stationnant pas après la victoire pour occuper le terrain, et ne faisaient pas de poursuite. Jean-Luc Susini note que trop peu d’études ont été faites sur cette troupe d’élite ; il fut cité quelques ouvrages sur le sujet, anglo-saxons notamment, mais à aucun moment les remarquables travaux de Dominique Venner (Baltikum, Les Corps Francs allemands de la Baltique) ne furent recensés ; une carence inexplicable. Après la Grande Guerre terrible de 1914-1918, les Corps Francs (tous des volontaires) combattirent encore cinq longues années, et l’on peut dire que ce fut un véritable creuset pour ces milliers d’hommes. Ce n’est pas par hasard si beaucoup d’entre eux devinrent par la suite des cadres plus ou moins proches du mouvement national-socialiste ; comme le décrit Ernst Jünger, la guerre est « matrice » (Cf. La guerre notre mère), elle génère un homme nouveau avec de nouvelles idées, plus radicales, très anti-bourgeoises.
Le propos suivant, de Pierre Razoux, nous ramena à une époque plus récente, et dans une région plus orientale, avec son évocation des forces spéciales israéliennes. Très général et néanmoins intéressant, l’orateur leva bien des mythes sur ces unités dont l’aura est constamment nourrie de multiples récits romanesques. Détaillant leurs succès mais aussi leurs nombreux échecs, Pierre Razoux s’est bien attaché à distinguer les Forces spéciales à proprement parler, des Services de renseignement et des unités d’élite de Tsahal. Ce que l’on pourrait reprocher cependant à Pierre Razoux c’est qu’il n’a pas souligné le fait qu’Israël était un pays en état de guerre, et que cela avait des conséquences directes sur la structure, l’emploi et l’état d’esprit de ces hommes des forces spéciales de ce pays. Pour prendre un exemple, le souci de légalité (tant vis à vis des habitants de Palestine que vis à vis du monde extérieur, de la communauté internationale) ne se pose pas pour les hommes des forces spéciales israéliennes; l’état de guerre à ses raisons que l’état de droit ne peut invoquer.
Restant dans le domaine étranger, Jean-Pierre Renaud, LCL (ER) et Président du Centre d’Histoire militaire d’études de Défense nationale de Montpellier, présenta les forces spéciales de l’armée de Terre espagnole. Ce qui fut notamment constaté c’est le suivisme des espagnols par rapport aux français ; que ce soit pour l’ALAT, la FAR ou enfin le COS, peu de temps après leur naissance sur notre territoire, les mêmes unités se créaient au delà des Pyrénées. Les forces spéciales espagnoles sont actuellement en pleine restructuration, et à la fin de celle-ci, les FS n’auront plus que des objectifs stratégiques précisa Jean-Pierre Renaud. Cependant le temps manqua à l’orateur pour faire état de l’ensemble de son travail à l’assemblée, et il en résultat une présentation trop succincte de ces unités.
La première matinée s’acheva sur l’allocution de l’Amiral Lanxade, ancien CEMA de 1991 à 1995, et qui présenta le COS, le Commandement des Opérations Spéciales. Commandement opérationnel (et non organique) interarmées, le COS a pour but principal de réduire le nombre de personnel dans le cadre d’opération (à la différence des Etats-Unis où le but est zéro mort), de limiter la chaîne de commandement. Le COS intègre bien par ailleurs la nouvelle donne morale universelle : il doit agir dans un cadre de légitimité clair. Ainsi se posa le problème de l’intervention sur la grotte d’Ouvéa qui entraîna des poursuites judiciaires, même si une amnistie vînt au bout du compte. Le COS doit ainsi mener constamment, dans les actions qu’il est amené à conduire, une recherche en légitimité tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du territoire, l’aspect légitimité juridique internationale étant aujourd’hui fondamental (tribunaux internationaux). Mais, nous dit l’Amiral, un autre aspect important du COS est l’élément communication ; le temps réel, autrement dit, l’immédiateté, devient la règle fondamentale en dehors des contingences de temps de lieu et de distance, ce pour une efficacité maximale. Tout comme Pierre Razoux, l’ancien CEMA souligna le distinguo qu’il y avait à faire entre les Mission Militaire de Coopération, la DGSE et les Forces Spéciales. Reste que si l’on a pu constater avec Jean-Pierre Renaud le suivisme des espagnols par rapport aux français, ce qui aurait pu être avoué par l’Amiral Lanxade est le suivisme des français par rapport aux américains ; en effet, qu’est-ce que le COS sinon une réplique - miniature - de l’USSOCOM ? Les FS, elles aussi, subissent l’influence de la mondialisation, i.e. de l’américanisation.
Pascal Le Pautremat, chargé de mission au Centre d’études d’histoire de la Défense, et cheville ouvrière du Colloque, parla ensuite d’histoire, avec une évocation des Commandos Marine français. Le fil du discours fut chronologique, certes émaillé d’illustrations projetées, mais consternant de platitude ; pour un auditoire aussi sélectionné que celui présent au Colloque, rien de ce qui fut dit ne l’était déjà su. Très surprenant pour un Docteur en Histoire, le propos fut vague, davantage le résultat d’un travail de « recherche » d’une journée sur des ouvrages grand public que le produit dense et riche que l’on était en droit d’attendre.
Xavier Guilhou, sauva heureusement l’intérêt porté au débat par son sujet portant à la controverse : les nouvelles missions des forces spéciales, les actions civilo-militaires. L’orateur, officier de réserve du COS, Président d’Action d’Urgence et de développement (AUDE) et membre de la Commission Défense du MEDEF, nous présenta ces actions civilo-militaires en prenant pour exemple ce qui fut mené au Kosovo et qu’il suivit de très près. Le propos fut structuré, bien présenté (animations informatiques) et pris l’allure d’un débat de stratégie commerciale, où comment lancer une opération sur un pays donné, avec les moyens donnés. Mais comment comprendre ces « actions civilo-militaires » ? Après un raté au moment de la guerre du Golfe, la France a cherché à rattraper son « retard » dans cette modalité d’action d’inspiration typiquement américaine, et cela s’est traduit par « les actions menées par les forces armées en temps de paix comme en temps de guerre pour préserver ou être en mesure de reconstruire les structures économiques, administratives et culturelles d’un pays », autrement dit à maintenir, conserver et développer le fil rouge de la rentabilité économique d’une action de guerre avant, pendant et après l’avoir mené. Ces actions civilo-militaires sont critiquables car elles posent un grave problème d’interférences entre le civil et le militaire ; non seulement il n’y a déjà plus depuis longtemps de distinction entre le front et l’arrière, mais les militaires se voient aujourd’hui confier de plus en plus des missions relevant d’un travail de Police, et voilà à présent que les civils portent uniforme, non pas pour faire la guerre mais pour œuvrer dans une autre dimension : la maîtrise des marchés. Est-ce un bon choix ? C’est la question qui est lancée.
Le COL (ER) Paul Gaujac nous ramena heureusement sur des terrains plus sûrs avec son allocution ayant pour objet la typologie des forces spéciales pendant la seconde guerre mondiale. Paul Gaujac, dont on se souvient qu’il perdit sa place de directeur du Service Historique de Vincennes (SHAT), dans les 24 heures qui suivirent ses propos publics sur un sujet sensible (sur l’Affaire), nous fit un très bon tableau sur les différentes unités de FS et leur genèse. L’on vit évoquer tour à tour les Commandos, les SAS, les SBS, le SOE, sans oublier une mention sur les adversaires, la Division Brandebourg. Des sables de Libye, en passant par les froid de Norvège, de Milton Hall à Ringway, c’est un sujet très vivant et nourri qui fut livré ; malheureusement, un manque de temps ne permit pas au COL Gaujac de donner tout l’ampleur nécessaire à son sujet.
L’avant-dernier sujet par Marie-Catherine et Paul Villatoux, bien connus des lecteurs de la Revue, nous permit de rester dans le cadre du dernier conflit mondial, en traitant de la guerre psychologique et des opérations spéciales. Abordant d’une part la political warfare britannique et d’autre part la psychological war américaine, nos deux orateurs posèrent toutes les données de la problématique : la guerre psychologique relève-t-elle des forces spéciales ? Il fut clair, à la lumière du discours de nos deux orateurs, que la réponse est encore loin d’être tranchée ; les structures ambivalentes qui furent adoptées vis à vis de cette « force spéciale », tant en Grande-Bretagne qu’aux Etats-Unis, démontrent l’embarras devant cette question. Gageons que la future thèse de Paul Villatoux nous apporte bientôt des éléments de certitude.
La première journée s’acheva sur une unité française très peu connue du dernier grand conflit mondial, le Groupe Spécial Parachutiste de la Marine. C’est un Normalien, assistant de recherche, section études du Service Historique de la Marine, François Dumasy, qui nous fit part de ses découvertes, appuyant son texte de propos recueillis auprès de l’Amiral Sanguinetti qui fut membre de cette unité spéciale. Vers 1943 naissait donc le GSPM sous le commandement du CNE de Corvette Alain ; cette micro unité, sous la coupe de la DGSS, se composa de trois équipes (Sampan, Keck, Skooner) qui furent lâchées sur la côte méditerranéenne à partir de Juin 1944, avec des missions spécifiques « marine » (actions sur les ports) théoriquement en liaison avec les maquis locaux. Cependant, bien qu’intéressant, ce GSPM ne sort que très difficilement de la nébuleuse des groupuscules de « forces spéciales » de la guerre.
La dernière demie journée s’ouvrit sur les forces spéciales soviétiques dans la guerre froide que nous évoqua parfaitement Laurent Henninger. Dans son allocution, le chargé de mission au Centre d’études d’histoire de la Défense, leva le brouillard et les incompréhensions sur ces fameux Spetznaz. De 1917 aux années 1980, nous fut dressé l’éventail des missions qui furent confiées à cette unité. La Guerre d’Espagne fut « fondatrice » pour les Spetznaz, l’échec qu’elles subirent en Finlande en 1939-40 leur permit de prendre en compte de l’expérience des Eclaireurs-Skieurs finnois. C’est la grande guerre patriotique qui fut néanmoins la « matrice » de ces forces soviétiques. Ce n’est que dans les années 1950 qu’elles furent réactivées, dans le cadre du concept de « guerre prolongée ». Elles agirent en 1968 en Tchécoslovaquie, en 1975 à Saïgon, en 1979 en Afghanistan, dans les années 80 en Angola, pendant les jeux olympiques de Moscou, bref sur des terrains nombreux et surtout variés. Laurent Henninger précisa bien que ces forces spéciales soviétiques ne furent pas constituées de façon permanente, dans le principe des Task Forces, et qu’elles dépendirent du GRU, de la Tcheka, du GPU, du MVD, du KGB ; par ailleurs, l’orateur souligna bien qu’il n’y avait pas de Spetznaz type. Dans leur longue tradition, depuis 1812, de l’emploi de force non conventionnelle, « spéciales », les russes ont intégré complètement les forces spéciales à leur armée. Contrairement l’Europe occidentale où les FS sont vues comme concurrentes par les Commandant d’unités traditionnelles et où elles subissent des hostilités de l’Etat-Major, les FS russes sont constitutives de l’armée rouge au même titre que l’artillerie, l’infanterie, etc. C’est une arme « comme les autres », mais pas tout à fait... Ce qu’il faut noter c’est que son personnel vient de toutes les unités de l’armée rouge, et que ses missions sont diverses : lutte anti-terroriste, lutte anti-maffia, pour les Spetznaz du KGB ; lutte anti-immigration et anti-contrebande pour les FS des gardes frontières (ils furent instructeurs au Vietnam); mais il y a les FS travaillant dans le renseignement, l’intelligence, l’analyse, la reconnaissance, et ceux qui œuvrent dans l’action (sabotage, destruction, assassinats, etc.). Bref, c’est un stimulant discours que nous offrit Laurent Henninger qui déplora le peu de synthèses existantes sur ces Forces Spéciales soviétiques, hormis quelques travaux en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. L’actualisation de ces travaux est une tâche immense laissa entendre l’auteur, et nous en sommes sûrs.
Le premier des orateurs étranger à prendre la parole, Anthony Clayton, centra son discours sur les FS britanniques, en inscrivant ces unités dans la longue tradition d’Albion. De la guerre de trente ans, en passant par le premier conflit mondial, jusqu’au Moyen-Orient dans les années 20, Anthony Clayton, Professeur d’histoire à l’Académie militaire royale de Sandhurst, nous brossa le tableau de ces FS de la couronne. Il nous parla bien entendu des FS pendant la seconde guerre mondiale, avec les Long Range Desert Group (LRDG), mais aussi des SAS, des SBS (tous issus des Royal Marines), des unités de la Royal Navy chargées de la reconnaissance des côtes, du SOE, de la Force 136 en Extrême-Orient, des Malaysian Scouts. Il poursuivit son tableau avec l’évocation des FS à Bornéo durant les années 60, période dite de « confrontasi », également à Muscat, à Oman, pour la protection des installations pétrolières. En Irlande du Nord où les FS sont chargées de la surveillance des frontières qui voient passer des flux d’armes vers l’Irlande du Sud. L’épisode des Malouines ne fut pas oublié, tout comme la prise d’otages à l’Ambassade d’Iran à Londres en 1990, mais aussi en Gambie, où les FS réinstallèrent le Président dans ses fonctions. Durant la guerre du Golfe, les FS britanniques effectuèrent des pénétrations profondes, lancèrent des opérations psychologiques, participèrent activement à la destruction des sites Scud ; au Sierra Léon, où elles participèrent à la libération de prisonniers. Un tableau fort riche qui démontra les capacités d’adaptabilité des FS de la Couronne. Cependant, précisa Anthony Clayton, les missions des FS peuvent recouvrir d’autres secteurs ; avec les Special Project Team, c’est la lutte contre les marchands de drogue ; mais parmi les missions qui leur sont confiées, il y a aussi des missions de body guard pour la protection des hautes personnalités, des missions de lutte contre les guérillas. Les SAS servent en général quelques années puis réintègrent leurs unités d’origine ; par la suite, les CO comme les NCO ont en général un bon développement de carrière.
Raymond Muelle nous ramena sur le territoire français avec son propos sur le 11ème Choc pendant la guerre d’Algérie. Sujet des plus « chauds » du moment s’il en était, mais que cet ancien de l’Armée d’Afrique et des Commandos de France, qui devint chef de Commandos au 11ème BCAP puis BPC entre 1954 et 1960, ne porta pas sur le terrain du sensationnel. Raymond Muelle, auteur de nombreux et excellents ouvrages touchant aux services spéciaux français, nous compta tout d’abord l’origine du 11ème Choc durant la dernière guerre mondiale, en nous soulignant l’imbrications entre cette unité et le service action. En 1946 est crée le 11ème BCAP, sous le commandement du CNE Motin ; lui succède les CNE Rivière, Aussarès, Godard puis Decorse ; en 1948, il est a noter que le « 11 » participa à la répression des grèves dans le Nord de la France, mais aussi à des manœuvres conjointes en Allemagne où elles impressionnèrent nos alliés ; en 1951, le théâtre indochinois voit l’arrivée et la création du GCMA puis du GMI. Arrive enfin la période Algérienne ; en 1954, le COL Decorse crée le « Groupement de Marche 11 » qui mène des opérations de pacification pendant un an ; en 1956, le « 11 » participe à l’opération sur Suez (une Centaine), aux opérations de sécurité à Orléanville (nous sommes en pleine Bataille d’Alger), c’est aussi le moment de la création du Groupement Léger d’Intervention, avec les CNE Léger et Krotoff. Jusqu’en 1958, le Bataillon s’occupe toujours de pacification, mais prend part active à l’opération K (comme Kabylie) comme à d’autres, crée des maquis anti-FLN (en liaison avec la DST ; l’Algérie est alors la France). Toujours en 58, certaines factions de l’unité participent comme « service action » à des opérations clandestines en Tunisie, au Maroc, se lancent dans des attaques de convois d’armes (en Tunisie et en Libye) à partir de la Corse (c’est l’Ops « Main Rouge »). Avec la création du Comité de Salut Public le « 11 » commence à être manipulé par le mouvement gaulliste (Foccard), et se lance dans des opérations sur le territoire métropolitain avec le lancement du Front Algérien d’Action Démocratique à Paris pour contrer le FLN ; ce sera le temps de la 3ème force, contée superbement par Raymond Muelle dans La guerre d’Algérie en France. Après le putch des Généraux, et pour éviter un déchirement et une guerre interne au « 11 » entre gaullistes et Algérie Française, l’unité est dissoute ; le prétexte fut la découverte de tracts OAS dans des poubelles de l’unité... Raymond Muelle ne dépassa pas le cadre de son exposé, et évita à juste titre de traiter de la question de la torture. Il aurait été néanmoins judicieux que quelqu’un se chargea de cette question. Les Détachements Opérationnels de Protection (DOP), ces unités organiques et constituées de personnels issus des différentes armes, relevant pourtant bien de ce que l’on appelle les « forces spéciales ». Mais ceci est une autre histoire.
L’avant dernier intervenant, le GAL (ER) Faivre, ancien chef de corps du 13ème RDP, nous évoqua son régiment et l’histoire de celui-ci entre 1960 et 1990. Héritier d’un régiment à cheval de 1676, il fut motorisé en 1933 et devint parachutiste en 1952. C’est un régiment inter arme qui, dans sa forme récente, vit le jour par le besoin de renseignements tactique en profondeur. En 1959, il est à Corte pour un entraînement sur les conditions de vie en zone d’insécurité, ses équipes sont alors en liaison directe avec le Corps d’Armée ; ces fameuses équipes sont constituées de deux fois trois hommes, répartis en groupe RENS et en groupe TRANS. Les renseignements sont transmis du terrain vers la station directrice puis, de là, au centre opérationnel ; enfin, via le peloton de liaison arrière avec le système de transmission Air70 ou Cartel, vers l’exploitation, c’est à dire au Corps d’Armée, au 2ème Bureau, à l’EMA/Rens eu B2 Centre Europe. Dans les années 1970, le régiment travaille pour le renseignement stratégique et plus pour le renseignement tactique, ainsi il travaille non plus pour l’échelon divisionnaire mais directement pour l’Armée. Le GAL Faivre insista sur l’importance des systèmes de transmission, lesquels sont passés d’un poids de 30 Kg à 26 puis à 17 Kg, tout en se développant en puissance et en qualité ; cet allègement notable n’a fait que poursuivre la dynamique de fonctionnement du régiment dans les années suivantes. Le « 13 » a été amené à travailler à l’étranger, en Mauritanie notamment, pour la protection du train transportant les minerais (or, fer et cuivre); les équipes du « 13 » étaient en tenue mais ne pouvaient porter le béret amarante. Cependant, le GAL Faivre, auteur d’un récent ouvrage aux éditions de l’Harmattan sur la guerre d’Algérie, ne s’est pas étendu sur ces opérations spéciales, à peine les évoqua-t-il. En 1995, les régiment devenait entièrement professionnel. L’orateur nous conta l’incroyable histoire de ce régiment qui manqua de disparaître au moment de l’arrivée des chars Leclerc ; le « 13 » était voué à la transformation en simple régiment de blindés, quand il fut sauvé par le propos d’un diplomate américain qui vanta les mérites du 13ème Dragon. Malheureusement, là encore, le manque de temps ne permit pas au GAL Faivre de s’étendre davantage sur ce merveilleux régiment qui compte parmi les plus beaux de France.
Enfin, avec Charles Cogan, le dernier thème évoqué fut celui des FS et du renseignement de son pays au travers de l’exemple de la crise de l’Ambassade américaine de Téhéran en 1979. Une prise d’otage de 53 personnes à l’Ambassade des Etats-Unis et de 3 autres au Ministère des Affaires Etrangères, le 4 novembre 1979 dans la capitale iranienne amena les américains à mettre en place une opération après que différentes options furent tour à tour envisagées puis abandonnées (blocus naval, minage des ports, action Airborne sur l’aéroport de Téhéran et l’Ambassade, et même une déclaration de guerre). L’opération « Griffes de l’aigle » commença le 24 avril 1980, avec l’emploi de la Delta Force crée seulement 4 jours avant la prise d’otage ; mais cette opération vit d’autres unités y participer : en dehors de l’armée de Terre et sa Force Delta, il s’y trouvait l’Air Force avec ses C130, les Marines qui pilotaient des hélicoptères RF53D de la Navy, mais aussi la CIA chargée des renseignements à l’intérieur de Téhéran. Mais différents incidents / accidents ne permirent pas à cette opération de se dérouler comme prévu ; incidents techniques, tempête de sable et accident mortel sur la base de Desert One (point étape entre le porte-avions et l’Ambassade) finirent par l’annulation de la mission alors qu’elle était largement engagée. En 1981, sous la Présidence Reagan, les prisonniers furent finalement libérés après négociations et l’entremise des autorités algériennes. Charles Cogan, Professeur à l’Université de Harvard, souligna qu’en dehors de l’impact très lourd du Vietnam dans la mise en place de cette opération, les problèmes survenus dans l’échange d’informations entre militaires de quatre services au cours de l’opération « Griffes de l’aigle » marquèrent les instances décisionnelles. C’est cet échec qui conduisit à la refonte totale des FS américaines, refonte qui vit l’apparition de l’USSOCOM (United States Special Operation Command) situé en Floride. C’est sur ce dernier propos, fort bien fait et documenté, que le Colloque s’acheva, non sans que l’organisateur, Pascal Le Pautremat, remercia les orateurs et les participants.
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