« L’idéologie est l’abandon de la pensée au profit de la formule. Or, des situations changeantes nécessitent une pensée originale. Quiconque essaie de résoudre tous les problèmes à l’aide d’une même formule, refuse de penser ».
John Kenneth Galbraith
The Good Society: The Humane Agenda (1996)
Chap. 3 ; The Age of practical judgment
S’il est un dogme bien établi aujourd’hui dans la fonction publique (comme ailleurs), c’est celui de l’impérieuse nécessité de l’externalisation. Tous les arguments en sa faveur sont présentés et rien jamais ne vient présenter la face noire de ce processus, tant nous ne sommes pas en pays de vraie liberté. Nous sommes engouffrés, depuis quelques décennies, dans une marche implacable et certaine, aveugle et autiste, vers un « totalitarisme mou », tant le marché pur et parfait n'existe en fait que s'il est totalitaire (Cf. la théorie de l’optimum du second rang développé par Richard Lipsey et Kelvin Lancaster dans leur article fameux de 1956).
Genèse
C’est au cours du « consensus de Washington », dans les années 90, qu’a été formalisé au plus haut niveau le dogme libre-échangiste ; celui-ci a été décliné en trois grandes sous-actions : privatisations, dérégulations, externalisations.
L’externalisation, c’est la nouvelle logique dite « gagnante » de management. C’est du moins sous cet aspect positif que la chose nous est présentée. Réduction des coûts, amélioration des performances, recentrage sur le cœur du métier sont les principaux « avantages » tirés de l’externalisation, consistant le plus souvent en la sous-traitance des activités jugées non-essentielles et non stratégiques.
L’externalisation est aujourd'hui considérée par les tenants de l’idéologie de marché, comme un facteur important de compétitivité, de « flexibilité » et de meilleure réactivité pour répondre aux nouveaux défis économiques (adaptabilité des offres, l'automatisation des chaînes et sophistication croissante des produits). Bref, c’est une merveille.
Au niveau de l’État, cela se décline par la délégation de service public, et l’on en vient ainsi à externaliser des activités jusque là régaliennes. Dans la fonction publique, l’on externalise quasiment tout et de plus en plus : externalisation de la paie, des services financiers, de la formation, de la fonction logistique, de la fonction RH, des services informatiques, de l’archivage, etc. Au passage, qu’ont dit et que disent les syndicats réformateurs et contestataires de cette affaire ? Rien. Ils ont gentiment accompagné le processus, en bons petits soldats du dogme (au pire), en parfaits idiots utiles (au mieux).
Rendez-vous avec l’Empire
Le Gouvernement mondial est déjà structuré, ses instances « prépositionnées », son fonctionnement en cours, sa finalisation imminente. Ainsi, les trois composantes du dogme libre-échangiste (privatisation, dérégulation et externalisation) sont-elles relayées à tous les niveaux, par tous les organismes. Il y d’abord l’État bien sûr, et toutes ses instances. En France, par le biais de la loi organique relative aux lois de finances - la LOLF - mise en place et votée (soulignons le) dans un consensus droite-gauche en 2001, avec une accélération en 2007 due à la mise en place de la révision générale des politiques publiques - la RGPP - par le gouvernement Fillon. Mais il y a aussi un autre niveau, celui de l’Union Européenne, avec, entre autres rouages, les commissions bruxelloises, la Commission Européenne (Barroso II) et le Comité économique et social. Au niveau supérieur, il ne faut pas oublier l’Organisation mondiale du commerce (OMC), autre organisme relais, certes, mais aussi donneur d’ordre, de l’idéologie mondialiste libre-échangiste, sans oublier bien sûr l’incontournable Fonds monétaire international (FMI).
Le revers masqué
Ce dont on ne parle pas ou ce qui n’est pas mis en avant au sujet de cette externalisation, ce sont ses effets moins « positifs », tels : les coûts plus élevés, l’insatisfaction des usagers (internes et externes) quant à la qualité et aux résultats, la perte d’autonomie, un affaiblissement stratégique, la perte de l’esprit d’entreprise, la perte de cohésion, la substitution d’une logique comptable de rentabilité à la logique de service public. Une déstructuration bien pratique pour rendre les entreprises plus dépendantes les unes des autres, et… surtout les autres. Car ne nous y trompons pas, seuls bénéficient financièrement et structurellement de ce processus, les très grosses entreprises. Quant à l’État, dans ce processus, il perd l’étendue de son pouvoir régalien, il met en danger non seulement son indépendance, mais aussi sa sécurité, son autonomie (auto nomos, se donner sa propre loi), c'est-à-dire en définitive, sa liberté. Mais tout cela est logique en somme, tant l’idéologie de marché vise à l’affaiblissement de l’État, à sa réduction et tant et plus. En un mot, l’État se suicide, se saborde, ou plutôt les dirigeants à sa tête le tue, le néantise, sur l’autel de l’idéologie, au nom du dogme économique libéral.
"Mein Führer, ça marche !"
Dans le contexte précité, notons qu’il y a deux types de dirigeants dans la fonction publique à l’origine de cette transformation sociétale : les idéologues conscients de ce qu’ils font et les autres, la grande majorité, les zombies : de bons petits soldats du système et autres idiots inutiles (voire nuisibles) qui ne semblent pas constater qu’ils scient la branche sur laquelle ils se trouvent et sont même persuadés - pour certains, les plus « zélés » - qu’ils ne sont pas concernés par la situation, que ce sont leurs subalternes qui vont pâtir de la situation mais pas eux, tant ils font partie de « l’élite », des « élus »...
A tout bien peser et penser, je crois finalement qu’il serait tout de même difficile d’externaliser une chose au sein de notre appareil d’État, de notre fonction publique : la connerie. Il semble en effet que ce soit souvent le cœur de métier dans de nombreux ministères…
Iconographie : Dr Strangelove de Stanley Kubrick (1964).
NB : cet article a été écrit en août 2012.
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