Les idéologies totalitaires ont un point en commun, celui d’objectiver le mal à l’extérieur de l’« homme nouveau » (1). En cela, les Lumières et la révolution française ont ouvert la voie ; l’idéologie révolutionnaire en œuvre à partir de 1789 a ainsi postulé que l’homme était bon « par nature » (2). Et là réside le choix crucial et fondamental qui va conduire toutes les idéologies meurtrières ultérieures, tant la révolution française est LA matrice des toutes les autres (Cf. Alexandre Soljenitsyne). Le mal étant objectivé, extérieur, il y a donc une possibilité simple et efficace d’accéder au bonheur sur terre : il faut néantiser, exterminer ce « mal ». Ce sera tel groupe d’individus, telle classe sociale, telle catégorie d’êtres humains. L’équation génocidaire est posée ; elle fut mise en œuvre dans plusieurs pays. La barbarie est malheureusement universelle avant la raison (le bon sens) ; pour paraphraser René Descartes, c’est « la chose du monde la mieux partagée » (Cf. Discours de la méthode, début de la première partie).
Alexandre Soljenitsyne (1918 - 2008)
L’équation ne s’arrête pas là ; il n’y a pas d’échappatoire - c’est un des aspects totalitaires de ces régimes. Tel individu ne veut pas croire en cette « société nouvelle » ? Il refuse de se complaire dans cette idéologie « libératrice et salutaire » ? Il ne veut pas participer à la « construction du bonheur sur terre » ? Il est donc assurément malade, son être est assurément « corrompu », il doit donc être « corrigé », voire « soigné ». C’est un « psychotique lent », disait-on en Union Soviétique...
Les idéologies modernes du libéralisme, du mondialisme n’échappent pas à cette critique. Le totalitarisme de ces idéologies apparaît d’ailleurs de plus en plus sans fard. Une phrase attribuée à Margaret Thatcher est symptomatique à cet égard : « There is no alternative ». Il n’y a plus de discussion possible, la main invisible du marché à tranché. Cette phrase de l’ancien Prime Minister de Downing Street fut reprise plus récemment sur le continent, ici et là, notamment par l'ancien Président Sarkozy et l'actuel hôte de l’Élysée.
Et ces idéologies (libérale et mondialiste) apparaissent curieusement comme des hérésies antiques ; elles ne sont pas sans correspondre, en effet, au pélagianisme lequel prônait l’individualisme, les droits de l’homme tout puissant, etc. Ceci au point que Pélage puisse être vu, à cet égard, comme une sorte de précurseur du Protestantisme. Dans cet ordre d’idée, il n’est pas étonnant que le capitalisme libéral et l’idéologie du marché aient été propagés, véhiculés (3) par des anglo-saxons protestants.
L’Église terrassant l'hérésie (Église de Herzeele; France)
Les islamistes radicaux ont également cette même approche anthropologique objectivant le Mal, cette même vision du monde exclusive, distinguant ce dernier entre le territoire de l’Islam (Dar al-Islam) et le territoire de la guerre (Dar al-Arb). De Ibn Tayymiya à Sayed Kotb en passant par Mawlana Maududdi et Taqiuddin an-Nabhani, nous avons cette conception mondaine révolutionnaire/totalitaire. Une vision binaire, où subsiste néanmoins un îlot intermédiaire, celui du contrat (temporaire, bien entendu).
Ce qui pourrait également faire le lien entre ces différentes idéologies, c’est le puritanisme. Par delà leurs différences et/ou oppositions apparentes, ces idéologies partagent un fond commun de contractualistes, de scripturalistes, pourrait-on dire.
Le christianisme - et en particulier catholicisme - se situe, lui, aux antipodes de cette conception de l’homme. L’élément anthropologique fondamental, à la racine de cette opposition est - dans le catholicisme en tout cas - l’existence du péché originel : le mal n’est pas extérieur à nous, indépendant de nous, mais nous traverse tous autant que nous sommes ; il est constitutif de la nature humaine, de la condition de créature. C’est notre condition de mortel. Cette disposition anthropologique fera que, principiellement bien sûr (car le catholique dispose du libre-arbitre), le regard sur l’autre sera toujours humain et non barbare. Saint Thomas d’Aquin eut de remarquables pages sur ce sujet dans sa « Summa contra Gentiles » (4).
Saint Thomas d’Aquin, le docteur angélique. Retable de Carlo Crivelli (1494)
Notes :
(1) Lire Hannah Arendt qui aborde ce sujet dans son remarquable essai sur les origines du totalitarisme.
(2) Rousseau en étant le parangon.
(3) et qu’il soit d’ailleurs défendu par les mêmes encore aujourd’hui, bien qu’ils aient « converti » à leur hérésie nombre de païens ou d’ex-catholiques à travers le monde.
(4) Cf. Livre Quatrième, L’Incarnation, Chapitre 50
Iconographie :
Alexandre Soljenitsyne :
http://journées-soljenitsyne.com/wp-content/uploads/2011/05/101.jpg
St Thomas d’Aquin :
http://fr.academic.ru/pictures/frwiki/67/Carlo_Crivelli_007.jpg
L’Église terrassant l’hérésie :
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