Voici un élément signifiant et qui peut aider à la compréhension des comportements de tel ou tel politique, de tel ou tel homme public en définitive. Il illustre bien l’aveuglement qui frappe notre « classe dirigeante » (Gaetano Mosca* ). La chose est simple.
Pierre-André Taguieff, dans sa préface à l’ouvrage de Julien Freund** - il s’agit de la thèse de doctorat de Freund, réédité chez Dalloz ; à un prix scandaleusement prohibitif, d’ailleurs - rapporte un dialogue entre Jean Hyppolite, alors membre du jury, et Julien Freund au moment de sa soutenance de thèse, le 26 juin 1965. Il y a plusieurs témoins et l’échange rapporté est avéré.
Sur les pas de Carl Schmitt, Julien Freund (1921-1993)
Jean Hyppolite, offusqué par les implications de la thèse de Freund, dit : « Sur la question de la catégorie de l'ami-ennemi (l’essence même du politique), si vous avez vraiment raison, il ne me reste plus qu'à aller cultiver mon jardin. »
Et Julien Freund de répondre : « Écoutez, Monsieur Hyppolite, vous avez dit […] que vous aviez commis une erreur à propos de Kelsen (ndr : Hans Kelsen, juriste, 1881-1973). Je crois que vous êtes en train de commettre une autre erreur, car vous pensez que c'est vous qui désignez l'ennemi, comme tous les pacifistes. Du moment que nous ne voulons pas d'ennemis, nous n'en aurons pas, raisonnez-vous. Or c'est l'ennemi qui vous désigne. Et s'il veut que vous soyez son ennemi, vous pouvez lui faire les plus belles protestations d'amitiés. Du moment qu'il veut que vous soyez son l'ennemi, vous l'êtes. Et il vous empêchera même de cultiver votre jardin. »
Et Jean Hyppolite, décontenancé, de répondre : « Dans ce cas, il ne me reste plus qu'à me suicider. »
Pierre-André Taguieff cite ensuite le commentaire critique fait par Raymond Aron à propos de Jean Hyppolite et rapporté par Julien Freund : « Votre position est dramatique et typique de nombreux professeurs. Vous préférez vous anéantir plutôt que de reconnaître que la politique réelle obéit à des règles qui ne correspondent pas à vos normes idéales. »
Ce qui est relaté dans cette anecdote vieille de 56 ans est toujours vrai ; cet aveuglement grève notre présent et préjuge de notre avenir en tant que peuple, en tant que Nation. Il faut pourtant aujourd’hui être réaliste et dire ce qui est, même si cela fait mal.
Jusques à quand cet aveuglement ? Jusqu'au moment de l'écrasement sur le mur de la réalité ?
"Français, votez pour moi ! Ayez confiance..."
Notes :
* Cf. The Ruling Class (Elementi de Scienza Politica). Curieusement, ce livre majeur en sciences sociales, n’est pas traduit en français. Est-ce vraiment un hasard ? On peut heureusement le trouver en langue anglaise :
http://www.amazon.com/Ruling-Class-Elementi-Scienza-Politica/dp/0313226172/ref=ntt_at_ep_dpi_1
**Julien Freund, L'essence du politique, réédité chez Dalloz. On peut trouver un des chapitres de cet ouvrage édité au Seuil; coll. Points politiques, sous le titre Qu'est-ce que la politique ?
Crédit photos :
Julien Freund, http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/0/0c/Freund3.JPG
Pour l'autruche, http://www.nuggetsfactory.com/shop/product.php?id_product=4801
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